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L'Eglise de François et l'inculturation

Magister: Certains passages d'Evangelii Gaudium s'éloignent des magistères précédents, "avec une sympathie évidente pour une pluralité de formes d’Église, modelées sur les cultures locales respectives" (3/12/2013)

>>> L'article de Sandro Magister: "L'option fédéraliste de l'évêque de Rome" (chiesa.espresso.repubblica.it/)
>>> Voir aussi: Le problème des Conférences épiscopales
>>> Benoît XVI à Ratisbonne: Il y a sept ans Ratisbonne

Evangelii Gaudium

Un peuple aux multiples visages
115.
Ce Peuple de Dieu s’incarne dans les peuples de la terre, chacun de ses membres a sa propre culture. La notion de culture est un précieux outil pour comprendre les diverses expressions de la vie chrétienne présentes dans le peuple de Dieu. Il s’agit du style de vie d’une société précise, de la manière propre qu’ont ses membres de tisser des relations entre eux, avec les autres créatures et avec Dieu. Comprise ainsi, la culture embrasse la totalité de la vie d’un peuple. Chaque peuple, dans son évolution historique, promeut sa propre culture avec une autonomie légitime. On doit cela au fait que la personne humaine « de par sa nature même, a absolument besoin d’une vie sociale », et elle se réfère toujours à la société, où elle vit d’une façon concrète sa relation avec la réalité. L’être humain est toujours culturellement situé : « nature et culture sont liées de façon aussi étroite que possible ». La grâce suppose la culture, et le don de Dieu s’incarne dans la culture de la personne qui la reçoit.

116.
En ces deux millénaires de christianisme, d’innombrables peuples ont reçu la grâce de la foi, l’ont fait fleurir dans leur vie quotidienne et l’ont transmise selon leurs modalités culturelles propres. Quand une communauté accueille l’annonce du salut, l’Esprit Saint féconde sa culture avec la force transformante de l’Évangile. De sorte que, comme nous pouvons le voir dans l’histoire de l’Église, le christianisme n’a pas un modèle culturel unique, mais « tout en restant pleinement lui-même, dans l’absolue fidélité à l’annonce évangélique et à la tradition ecclésiale, il revêtira aussi le visage des innombrables cultures et des innombrables peuples où il est accueilli et enraciné ». Chez les divers peuples, qui expérimentent le don de Dieu selon leur propre culture, l’Église exprime sa catholicité authentique et montre « la beauté de ce visage multiforme ». Dans les expressions chrétiennes d’un peuple évangélisé, l’Esprit Saint embellit l’Église, en lui indiquant de nouveaux aspects de la Révélation et en lui donnant un nouveau visage. Par l’inculturation, l’Église « introduit les peuples avec leurs cultures dans sa propre communauté », parce que « toute culture offre des valeurs et des modèles positifs qui peuvent enrichir la manière dont l’Évangile est annoncé, compris et vécu ». Ainsi, « l’Église, accueillant les valeurs des différentes cultures, devient la “sponsa ornata monilibus suis”, “l’épouse qui se pare de ses bijoux” (cf. Is 61, 10) ».

117.
Bien comprise, la diversité culturelle ne menace pas l’unité de l’Église. C’est l’Esprit Saint, envoyé par le Père et le Fils, qui transforme nos coeurs et nous rend capables d’entrer dans la communion parfaite de la Sainte Trinité où tout trouve son unité. Il construit la communion et l’harmonie du peuple de Dieu. L’Esprit Saint lui-même est l’harmonie, de même qu’il est le lien d’amour entre le Père et le Fils. C’est lui qui suscite une grande richesse diversifiée de dons et en même temps construit une unité qui n’est jamais uniformité mais une harmonie multiforme qui attire. L’évangélisation reconnaît avec joie ces multiples richesses que l’Esprit engendre dans l’Église. Ce n’est pas faire justice à la logique de l’incarnation que de penser à un christianisme monoculturel et monocorde. S’il est bien vrai que certaines cultures ont été étroitement liées à la prédication de l’Évangile et au développement d’une pensée chrétienne, le message révélé ne s’identifie à aucune d’entre elles et il a un contenu transculturel. C’est pourquoi, en évangélisant de nouvelles cultures ou des cultures qui n’ont pas accueilli la prédication chrétienne, il n’est pas indispensable d’imposer une forme culturelle particulière, aussi belle et antique qu’elle soit, avec la proposition de l’Évangile. Le message que nous annonçons a toujours un revêtement culturel, mais parfois dans l’Église nous tombons dans une sacralisation vaniteuse de la propre culture, avec laquelle nous pouvons manifester plus de fanatisme qu’une authentique ferveur évangélisatrice.

118.
Les évêques de l’Océanie ont ainsi demandé que chez eux l’Église « fasse comprendre et présente la vérité du Christ en s’inspirant des traditions et des cultures de la région » et ils ont souhaité que « tous les missionnaires travaillent en harmonie avec les chrétiens autochtones pour faire en sorte que la foi et la vie de l’Église soient exprimées selon des formes légitimes appropriées à chaque culture ».
Nous ne pouvons pas prétendre que tous les peuples de tous les continents, en exprimant la foi chrétienne, imitent les modalités adoptées par les peuples européens à un moment précis de leur histoire, car la foi ne peut pas être enfermée dans les limites de la compréhension et de l’expression d’une culture particulière. Il est indiscutable qu’une seule culture n’épuise pas le mystère de la rédemption du Christ.

Ratisbonne (Benoît XVI)

Cet intime rapprochement mutuel.. qui s'est réalisé entre la foi biblique et le questionnement philosophique grec, est un processus décisif non seulement du point de vue de l'histoire des religions mais aussi de l'histoire universelle, qui aujourd'hui encore nous oblige.
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Au regard de la rencontre avec la pluralité des cultures, on dit volontiers aujourd'hui que la synthèse avec l'hellénisme, qui s'est opérée dans l'Église antique, était une première inculturation du christianisme qu'il ne faudrait pas imposer aux autres cultures. Il faut leur reconnaître le droit de remonter en deçà de cette inculturation vers le simple message du Nouveau Testament, pour l'inculturer à nouveau dans leurs espaces respectifs.

Cette thèse n'est pas simplement erronée mais encore grossière et inexacte.
Car le Nouveau Testament est écrit en grec et porte en lui-même le contact avec l'esprit grec, qui avait mûri précédemment dans l'évolution de l'Ancien Testament. Certes, il existe des strates dans le processus d'évolution de l'Église antique qu'il n'est pas besoin de faire entrer dans toutes les cultures.
Mais les décisions fondamentales, qui concernent précisément le lien de la foi avec la recherche de la raison humaine, font partie de la foi elle-même et constituent des développements qui sont conformes à sa nature.
     

Dans son dernier billet intitulé "L'option fédéraliste de l'évêque de Rome", Sandro Magister souligne les deux points d'Evangelii Gaudium par lesquels François se démarque de ses prédécesseurs - en réalité tout spécialement de Benoît XVI.
Le premier concerne le rôle des conférences épiscopales, cela a été évoqué ici: Le problème des Conférences épiscopales.

Mais le second n'est pas moins important: il contredit l'un des thèmes-clés du pontificat de Benoît XVI, celui qu'il a développé dans la conférence de Ratisbonne: "ce lien indissoluble entre la foi et la raison, entre la révélation biblique et la culture grecque, entre Jérusalem et Athènes":
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Magister cite l'exhortation:

"Bien qu’il soit vrai que certaines cultures ont été étroitement liées à la prédication de l’Évangile et au développement d’une pensée chrétienne, le message révélé ne s’identifie à aucune d’entre elles et il possède un contenu transculturel".

En affirmant cela, le pape Bergoglio semble s’opposer à ceux qui soutiennent que l'annonce de l’Évangile possède une pureté originelle par rapport à quelque contamination culturelle que ce soit. Pureté qui devrait lui être restituée, en la libérant principalement de ses revêtements "occidentaux" d’hier et d’aujourd’hui, pour lui donner à chaque fois la possibilité de "s’inculturer" en de nouvelles synthèses avec d’autres cultures.

Mais, présenté en ces termes, ce rapport entre le christianisme et les cultures laisse de côté ce lien indissoluble entre la foi et la raison, entre la révélation biblique et la culture grecque, entre Jérusalem et Athènes, auquel Jean-Paul II a consacré l'encyclique "Fides et ratio" et sur lequel Benoît XVI a focalisé son mémorable discours prononcé à Ratisbonne le 12 septembre 2006 :
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Sur ce point essentiel, "Evangelii gaudium" n’est pas nécessairement en contradiction avec le magistère de Jean-Paul II et de Benoît XVI. Mais il est certain qu’elle en est éloignée.
Là encore avec une sympathie évidente pour une pluralité de formes d’Église, modelées sur les cultures locales respectives.

Je laisse le mot de la fin à Monique, qui note:

En repensant avec un peu de recul à EVANGELII GAUDIUM, il me semble que sous des dehors attrayants et généreux, ce document signe le désaveu du pontificat de Benoît XVI et de la PENSEE de Joseph Ratzinger. Aucun des thèmes majeurs de ce dernier n'apparaît dans le texte, même si le Pape Benoît XVI est cité de temps en temps.

Sandro Magister dit en substance la même chose!