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L'illusion d'un retour à l'Eglise primitive

Un article de Vittorio Messori dans le Corriere (11/11/2013)

C'est curieux comme depuis l'avènement de François, et plus spécialement depuis le retour de Rio, des intellectuels catholiques reconnus se voient contraints de préciser, d'expliquer, de justifier, des attitudes, des propos ou même, des non-dits, du Pape.
Ici, c'est au tour de Vittorio Messori, qui, puisant des exemples dans l'histoire la plus ample, depuis l'Eglise primitive jusqu'à la politique italienne actuelle, en passant par les grands totalitarismes du XXe siècle, nous explique que le rêve d'une Eglise "pauvre" et dépouillée de ses structures - que certains ont pu caresser à partir de l'attitude d'un Pape "pauvre" - n'est qu'une chimère, démentie par ... le Pape lui-même.

     

L'illusion d'un retour à l'Eglise primitive

Il Corriere della dera
10 novembre 2013
(Texte en italien www.finesettimana.org, ma traduction)
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Quelques-unes des nombreuses choses dites par le Pape François et certains de ses choix inédits - à commencer par le refus du palais vatican et de la villa de Castel Gandolfo - sont en train de réveiller un mythe antique et toujours récurrent chez les catholiques. Autrement dit, le rêve d'un retour à l'Eglise primitive, toute de pauvreté, fraternité, simplicité, absence de structures hiérarchiques, lois canoniques. Un «mouvement» svelte, démocratique, en somme, et pas une Église lourde, qui étouffe l'Esprit. Que l'on démantèle donc l'institution cléricale, assez avec le Vatican, sa Curie, ses banques, ses diplomates, que l'on revienne enfin à la communauté de Jérusalem après la Pentecôte.
En vérité, le mythe des origines est déjà réfuté par les Actes des Apôtres eux- mêmes: deux des premiers convertis, les époux Ananie et Saphire, trichent sur le prix du terrain qu'ils disent avoir vendu pour la communauté et Pierre assiste même à leur mort immédiate . Les lettres de Paul sont brûlantes envers les comportements réprouvables des communautés fondées par lui ou, en tout cas, érigées depuis peu.
Quiconque connaît l'histoire de l'Eglise primitive sait que c'est aussi une histoire de luttes entre courants, d'accusations mutuelles d'hérésie, de schismes, parfois de violences internes, de martyrs, mais aussi de transfuges, en nombre tel que la question est devenue centrale quant à savoir si et comment réadmettre dans la communauté la foule des lapsi, ceux qui avaient renié la foi par peur. Dès le début, selon l'avertissement de Jésus lui-même, le bon grain s'était mélangé avec les mauvaises herbes envahissantes.
Mais la nostalgie récurrente, et qui aujourd'hui semble revivre, pour une Église des origines, égalitaire, pauvre, où la foi est libre de superstructures - à commencer par la Curie vaticane - ne va pas seulement à l'encontre du témoignage de l'histoire. Elle va également contre une loi implacable que les sociologues connaissent bien. La loi selon laquelle les grandes réalités sociales naissent comme «mouvements» , en général à partir d'une personne charismatique, mais se dissolvent rapidement et toujours si, une fois l'enthousiasme initial refroidi, elles n'acceptent pas de devenir des institutions hiérarchiques, dans des structures solides et ordonnées. Seules celles-ci assurent la durabilité et la possibilité d'influer sur la société.
La politique fournit des confirmations constantes du caractère illusoire de l'ébullition de ceux qui se révoltent contre les partis-institution, estampillés hiérarchiques, bureaucratiques, dogmatiques, coûteux. Il faut se débarrasser des chefs, des cartes, des trésoriers, de la discipline interne! Parmi ces chimères, nous avons justement l'exemple frappant du showman passé à la politique, Beppe Grillo. Il a prêché et il continue de prêcher, comme une nouveauté spectaculaire (alors qu'elle est vieille et usée comme le monde ) la possibilité d'opposer aux partis maléfiques un «mouvement», né et dirigé d'en bas, ayant aujourd'hui à sa disposition, entre autres choses, le Grand Réseau , où tous peuvent espérer être égaux. Grillo, cependant, est très vite tombé victime de la pire infortune pour un tribunus plebis: le succès électoral inattendu et excessif. Tant qu'il s'agissait d'en appeler aux entrailles de la foule, dans la rue, entre les cris et les insultes, il semblait - au moins aux simples - que le « mouvementisme » était la solution.
Mais on peut être satisfait des applaudissements uniquement lorsque l'on est à l'abri dans une niche, quand on crie non à tout et que l'on reste aux marges. Quand, n'ayant pas de responsabilité de gouvernement , on peut se permettre de ne pas faire face à la réalité. Et à la place, c'est ce qui est arrivé au malheureux Grillo: une responsabilité fastidieuse, qui a a tout de suite montré que le «mouvement» ne fonctionne pas, ne peut pas fonctionner et qu'il n'y a que deux alternatives. Ou bien l'inaction et ensuite la dissolution avec l'exode des déçus et avec l'anarchie de sectes en lutte l'une contre l'autre; ou bien se résigner et se transformer en l'un de ces partis déjà couverts d'insultes .

Toutes les idéologies politiques qui ont ravagé le siècle dernier (le communisme , le fascisme , le national-socialisme), toutes se sont présentées au début , comme des «mouvements» contre la caste perfide des partis. Et toutes sont devenues très vite des partis uniques, ont créé des régimes oppressifs, totalitaires, comme on n'en avait jamais vus. Au nom des enthousiasmes «mouvementistes», elles ont créé des nomenklatura privilégiées et des hiérarchies intouchables telles qu'on n'en avaient jamais vues.

Mais alors, pour en revenir à l' Église: dans la perspective de la foi, dans la logique de l'Incarnation, Dieu a voulu avoir besoin des hommes, il leur a confiés la Parole et les Sacrements du salut pour qu'ils les annoncent et les gèrent avec une communauté. Une communauté qui - toujours dans la dialectique du Deus incarnatus - dans sa structure visible, externe, n'est pas exempte de la dynamique qui régit toute autre réalité humaine.
Donc , au commencement il y eut le «Mouvement du Christ», il y eut le « Groupe du Nazaréen », animé directement par les apôtres, dans un grand enthousiasme. Mais, une fois terminé «l'état naissant », on passa rapidement et nécessairement à l'institution, à la structure avec une communauté hiérarchique et, peu à peu, organisée avec des lois internes et externes, et des biens mobiliers et immobiliers. Tout comme en politique, le mouvement initial - s'il veut durer et compter - devient nécessairement parti, ici on passa à l'Eglise comme structure stable, organisé, professant avec autorité. Ce ne fut pas, comme le prétendent les utopistes, une déviation, une déformation, une trahison du Christ serviteur et pauvre, ce fut une évolution inévitable, et même nécessaire, de la réalité humaine. Et l'Eglise catholique est l'une d'elles, même si ici - cas évidemment unique - la structure institutionnelle n'est qu'un contenant, elle n'existe que pour servir le Mystère d'un Dieu qui enseigne et rachète .

En somme, l'attitude des chrétiens qui aujourd'hui plus nombreux que jamais, réclament un retour à la simplicité du début n'est qu'une illusion. On ne peut pas revenir en arrière. Donc, il n'y a pas de place pour une certain animosité envers la Curie du Vatican, envers ceux qui, jour après jour, gérent les biens de l'Eglise. Le manichéisme de ceux qui veulent faire la distinction entre un «pape bon» et une «Curie mauvaise» n'a aucun sens
Le Pape François, un jésuite, provient du plus compact ordre ecclésial et il est le premier à rejeter une telle opposition: au contraire, il a remercié à plusieurs reprises ses collaborateurs, envers qui il se dit pleinement solidaire. Bien sûr, Ecclesia semper reformanda, au moins dans sa structure humaine: la «machine vaticane» doit constamment être adaptée à l'époque, simplifiée dans les méthodes, améliorée (si possible) dans son personnel, du Cardinal au greffier. N'oubliant pas, cependant, que, sans la transformation en une solide institution, le «Mouvement du Christ» serait juste resté une allusion dans quelque texte d'histoire ancienne du judaïsme.