Accueil

Scalfari, le Pape et la conscience (2)

Un article de Sandro Magister (13/9/2013)

>>> Cf. Scalfari, le Pape, et la conscience

     

Mon billet précédent m'a valu, comme c'était peut-être prévisible, quelques lettres de protestation.
Je suis d'autant plus satisfaite de trouver dans le dernier billet de Sandro Magister sur son blog personnel Settimo Cielo un écho à la critique (respectueuse) de Monique, et le vaticaniste cite le même extrait du discours de Benoît XVI à la Curie Romaine en décembre 2010, que je reproduisais hier.
François n'a certes rien dit qui s'oppose à la doctrine de l'Eglise (cf. catéchisme de l'Eglise catholique; n. 1777), mais il y a mis les formes. Prenant le risque d'être incompris, voire instrumentalisé, comme Scalfari n'a pas manqué de le faire immédiatement.

     

Dans la "gentille cour" de la Repubblica
(jeu de mot: gentile corte - Cour des gentils)
Sandro Magister, Settimo Cielo
http://magister.blogautore.espresso.repubblica.it/2013/09/12/nel-gentile-cortile-di-la-repubblica/
-------

Le 25 Septembre, le cardinal Gianfranco Ravasi tentera à nouveau de dialoguer avec le très laïc Eugenio Scalfari, dans le temple d'Hadrien, à Rome, prochaine étape de la cour des Gentils, prévue depuis un certain temps.
Mais à présent, la scène, c'est le pape François qui l'occupe avec sa réponse par voie de presse à deux lettres ouvertes que Scalfari lui avait écrites dans "La Repubblica".

¤ La première, le 7 Juillet, avec un titre qui ne présageait rien de bon: > Les réponses que les deux papes ne donnent pas

¤ Et la seconde le 7 Août: > Les questions d'un non-croyant au pape jésuite nommé François

Cette dernière avec un passage qui attribuait au nouveau pape trois innovations très appréciées:
"Votre mission comporte deux scandaleuses nouveautés: l'Église pauvre de François, l'Église horizontale de Martini. Et une troisième: un Dieu qui ne juge pas, mais pardonne. Il n'y a pas de damnation, il n'y a pas d'enfer. "

Mais encore une fois exprimant du scepticisme: "Je ne pense pas que vous répondrez."

¤ Voilà au contraire que la réponse est arrivée. Sans avertissement, parce que le pape François, de même qu'il décroche le téléphone et appelle qui et quand il veut, aime à faire pareil par écrit: > "Très estimé Docteur Scalfari…

¤ La lettre à Scalfari du pape Jorge Mario Bergoglio, datée du 4 Septembre, a été publiée dans "la Repubblica", le 11 au matin et dans l'après-midi du même jour, "L'Osservatore Romano" l'a reproduite dans son intégralité: > Parlons de la foi. Lettre à ceux qui ne croient pas

¤ Scalfari a accompagné la publication de la réponse du pape d'un résumé des huit questions qu'il avait formulées précédemment: > La brebis égarée

¤ Et le lendemain, 12 Septembre, il est intervenu avec son commentaire sur la lettre papale: > Le courage du pape François qui ouvre à la culture moderne

Particulièrement apprécié par le fondateur de la "Repubblicca" a été la réponse du pape François à la question «si une personne qui n'a pas la foi, ni ne la cherche, mais commet ce que l'Eglise appelle un péché, sera-t-elle pardonnée par Dieu des chrétiens?»:

«Étant donné que - et c'est la chose essentielle - la miséricorde de Dieu n'a pas de limites, si on s'adresse à lui avec un cœur sincère et contrit, la question pour ceux qui ne croient pas en Dieu est d'obéir à leur conscience. Le péché, même pour ceux qui n'ont pas la foi, c'est quand on va contre la conscience. L'écouter et lui obéisser, cela signifie, en effet, se décider face à ce qui est perçu comme bien ou acomme mal. Et sur cette décision se joue la bonté ou la méchanceté de nos actions ».

Cette réponse du pape a tellement plu à Scalfari qu'elle lui a fait écrire tout de suite après:

«Une ouverture vers la culture moderne et laïque de cette ampleur, une vision si profonde entre la conscience et son autonomie, on ne l'avait jamais entendu jusqu'ici de la chaire de saint Pierre».

Négligeant que sur la question de la conscience, Benoît XVI avait dit beaucoup plus.

Se référant au cardinal John Henry Newman, le grand converti anglais béatifié par lors de son voyage de 2010 au Royaume-Uni, le pape Joseph Ratzinger déclarait à ce propos (voeux à la Curie Romaine, décembre 2010):

«En Newman, la force motrice qui le poussait sur le chemin de la conversion était la conscience. Mais qu’entend-on par cela ? Dans la pensée moderne, la parole « conscience » signifie qu’en matière de morale et de religion, la dimension subjective, l’individu, constitue l’ultime instance de la décision. Le monde est divisé dans les domaines de l’objectif et du subjectif. A l’objectif appartiennent les choses qui peuvent se calculer et se vérifier par l’expérience. La religion et la morale sont soustraites à ces méthodes et par conséquent sont considérées comme appartenant au domaine du subjectif. Ici, n’existeraient pas, en dernière analyse, des critères objectifs. L’ultime instance qui ici peut décider serait par conséquent seulement le sujet, et avec le mot « conscience » on exprime justement ceci : dans ce domaine peut seulement décider un chacun, l’individu avec ses intuitions et ses expériences.
La conception que Newman a de la conscience est diamétralement opposée. Pour lui « conscience » signifie la capacité de vérité de l’homme : la capacité de reconnaître justement dans les domaines décisifs de son existence – religion et morale – une vérité, la vérité. La conscience, la capacité de l’homme de reconnaître la vérité lui impose avec cela, en même temps, le devoir de se mettre en route vers la vérité, de la chercher et de se soumettre à elle là où il la rencontre. La conscience est capacité de vérité et obéissance à l’égard de la vérité, qui se montre à l’homme qui cherche avec le cœur ouvert. Le chemin des conversions de Newman est un chemin de la conscience – un chemin non de la subjectivité qui s’affirme, mais, justement au contraire, de l’obéissance envers la vérité qui, pas à pas, s’ouvre à lui. [..]
Pour pouvoir affirmer l’identité entre le concept que Newman avait de la conscience et la compréhension moderne subjective de la conscience, on aime faire référence à la parole selon laquelle lui-même – dans le cas où il aurait dû porter un toast –, l’aurait d’abord porté à la conscience, puis au Pape. Mais dans cette affirmation, « conscience » ne signifie pas le caractère obligatoire ultime de l’intuition subjective. C’est l’expression de l’accessibilité et de la force contraignante de la vérité : en cela se fonde son primat. Au Pape, peut être dédié le second toast, parce que c’est son devoir d’exiger l’obéissance à l’égard de la vérité.
».

* * *

Il n'est pas surprenant que l'argumentation "soft" de Bergoglio soit préférée par "la Répubblica" à celle "hard" de Ratzinger.

De la lecture de la correspondance, il émerge en somme que le pape François a conquis sans coup férir la forteresse du premier journal laïc italien, duquel ne s'élèvent désormais vers lui que des éloges. A la grande honte de ses concurrents.
En effet, pour ne pas être en reste, le "Corriere della Sera", le même jour que la publication sur "la Repubblica" de la lettre du pape, a dû inventer l'impossible pour payer lui aussi un hommage au pape François.
Il n'a rien trouvé de mieux que de défendre à épée tirée et en première page deux de ses nominations indéfendables, celle de Mgr Battista Ricca en prélat de l'IOR et celle de Francesca Immacolata Chaouqui en commissaire à la réorganisation de l'administration vaticane:
* * *

Sur la conscience "qui se mesure à la vérité", il est instructif également de relire cette autre citation de Ratzinger, tirée de l'homélie qu'il a prononcée quatre jours après la mort de Paul VI, le 10 Août 1978, dans la cathédrale de Münich dont il était alors Archevêque [1] (http://benoit-et-moi.fr/2013-II/benoit/une-homelie-inedite-de-joseph-ratzinger.html):

Le Pape Paul VI a accompli son service par foi. De cela dérive à la fois sa fermeté et sa disponibilité au compromis. Pour les deux, il a dû accepter la critique, et même dans certains commentaires après sa mort, le mauvais goût n'était pas absent.

Mais un pape qui, aujourd'hui, ne subirait pas la critique manquerait à son devoir devant l'époque. Paul VI a résisté à la télécratie et à la démoscopie (ndt: en sociologie, science dont l’objet est de sonder l’opinion) les deux pouvoirs dictatoriaux d'aujourd'hui. Il a pu le faire parce qu'il ne prenait pas comme paramètre le succès et l'approbation, mais la conscience, qui se mesure sur la vérité, sur la foi.
Et c'est pourquoi dans de nombreuses occasions, il a cherché le compromis: la foi laisse beaucoup d'ouverture, elle offre un large spectre de décisions, elle impose comme paramètre l'amour qui se sent obligé envers le tout, et impose donc beaucoup de respect. C'est pourquoi il a pu être inflexible et décidé quand l’enjeu était la tradition essentielle de l'Eglise. En lui, cette dureté ne dérivait pas de l'insensibilité de celui dont le chemin est dicté par le plaisir de pouvoir et le mépris des gens, mais de la profondeur de la foi, qui l'a rendu capable de supporter les oppositions.

     

NDT

[1] Monique me signale également:
Il y a aussi des pages remarquables sur la conscience dans:
Joseph Ratzinger, Discerner et agir, ed. Parole et silence. (p.190 à196 / p.204/ p.156).