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Un "cahier de doléances" pour François

Carlota a traduit la "lettre au Pape" d'une catholique mexicaine, Lucrecia Rego de Planias (29/9/2013).

Cette dernière énumère les griefs que l'on peut avoir envers notre Pape - sans se départir d'un ton mi-familier, mi-affectueux, mais qui n'est pas celui de la révolte. Si elle y met une certaine mauvaise foi, et si les arguments pour la contrer ne manquent pas, ces griefs ne sont pas un fantasme de sédévacantistes, on les voit écrits noir sur blanc sur des sites qui n'ont rien d'extrêmistes.
Comme le pape lui-même encourage la familiarité envers sa personne, le ton ne me paraît pas scandaleux (mais je ne me le serais jamais permis...)
En somme, il pourrait répondre à cette lettre, comme il le fait à beaucoup d'autres, même venant d'athées irrécupérables comme Scalfari (c'est ce dernier lui-même qui le dit)
Ceci prouve entre autre qu'il a mis là le doigt dans un engrennage qui pourrait devenir périlleux.

Carlota est très réservée sur la "lettre de Lucrecia" (1).

Je crois qu'il est intéressant, avant de la lire, de situer son auteur, Lucrecia Rego de Planias, que nous avions rencontrée ici: benoit-et-moi.fr/2011-I/
C'est un peu long, et pour ceux qui n'ont pas trop de temps (ou qui ne voient pas bien où je veux en venir) je résume à très gros traits.

* * *

Dans le livre-interviewe "Lumière du Monde", Benoît XVI, répondait à une question de Peter Seewald au sujet de Marcial Maciel:

«En fin de compte, beaucoup ont été appelés à un principe juste par un personnage qui ne l'était pas. C'est cela qui est étrange, cette contradiction, que pour ainsi dire un faux prophète puisse avoir une action positive».

Le Père Scalese (malheureusement à nouveau muet !!!) réagissait à «l'intervention de la Directrice du portail Catholic.net, Lucrecia Rego Planas, qui a écrit un article intitulé "Marcial Maciel: une figure énigmatique pour Benoît XVI" [qui] a fait du bruit. La dame, qui fait partie du mouvement laïc Regnum Christi [des légionnaires du Christ], relève dans le cas Maciel une sorte de dilemme: "Ou bien Jésus-Christ était un menteur, ou, sinon, il doit nécessairement y avoir quelque chose qui n'a pas encore été découvert dans les "preuves accablantes" qui ont été montrées au Pape»...

Il ajoutait: «Je vous dirai que l'article de Mme Rego ne m'a pas plu, surtout pour le ton (pour autant qu'il soit possible de percevoir le ton d'un texte écrit dans une langue étrangère), qui me semble peu respectueux envers le Saint-Père» mais il admettait qu'elle posait de vraies questions, notamment en citant l'Evangile selon Matthieu: "A leurs fruits vous les reconnaîtrez. Cueille-t-on des raisins sur des épines ou des figues sur des chardons? Ainsi tout bon arbre produit de bons fruits, et tout arbre mauvais produit de mauvais fruits, un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un mauvais arbre porter de bons fruits"

Carlota avait alors traduit l'article de Lucrecia Rego Planias, y ajoutant une notice biographique (2).

Bon, après ces préambules, voici la fameuse lettre traduite par Carlota, l'original en espagnol est ici: lacomunidad.elpais.com/lplanas/2013/9/26/perplejidad-carta-al-papa-francisco

     

Perplexité
Une lettre au Pape François

Je partage avec vous (ndt: les lecteurs du blog) la lettre que j’ai envoyée ce matin à notre Pape François. Je pense qu’il la recevra d’ici deux jours à partir d’aujourd’hui.
Huixquilucán, Mexique, le 23 septembre 2013
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Très cher Pape François,

J’ai beaucoup de plaisir à avoir cette opportunité de te saluer.
Tu ne te rappelles sûrement pas de moi et je le comprends, car, en voyant tant de personnes chaque jour, il doit être très difficile pour toi de te rappeler les personnes avec lesquelles tu as dialogué, et vécu un instant de ta vie.
Tout au long des dernières 12 années, nous nous sommes rencontrés, toi et moi, plusieurs fois, dans des réunions, des rencontres et des congrès de l’Église, qui se sont déroulés dans des villes d’Amérique centre et du sud sur différents sujets (communication, catéchisme, éducation), ce qui m’a donné l’occasion de vivre avec toi plusieurs jours, en dormant sous le même toit, en partageant la même salle à manger et jusqu’à la même table de travail.
À cette époque tu étais l’archevêque de Buenos Aires et j’étais la directrice d’un important média catholique. Maintenant tu n’es rien de plus et rien de moins que le Pape et moi… seulement une mère de famille, chrétienne, avec un époux très bon et neuf enfants, qui donne des cours de mathématiques et qui essaie de collaborer le mieux qu’elle peut avec l’Église, du lieu où Dieu l’a mise.
De ces réunions auxquelles nous nous sommes trouvés ensemble, il y a déjà quelques années, je me rappelle que, à plus d’une occasion, tu t’es adressé à moi en me disant : « Fillette, appelle-moi Jorge Mario, nous sommes amis », à quoi j’ai répondu apeurée : « En aucune façon, M. le Cardinal ! Dieu me préserve de tutoyer l’un de ses princes sur la Terre ! »

Maintenant, au contraire, oui, j’ose te tutoyer, car tu n’es plus le Card. Bergoglio, mais le Pape, mon Pape, le doux Christ sur la terre, à qui j’ai la confiance de m’adresser comme à mon propre père.
Je me suis décidée à t’écrire parce que je souffre et j’ai besoin que tu me consoles . Je vais t’expliquer ce qui m’arrive, en essayant d’être la plus brève possible. Je sais que tu aimes consoler ceux qui souffrent et maintenant je suis l’un de ceux-là.

Quand j’ai fait pour la première fois ta connaissance, alors que tu étais le cardinal Bergoglio, et durant ces moments de vie partagée proche l’un de l’autre, cela a attiré mon attention et m’a déconcertée que tu ne faisais jamais les choses comme les autres cardinaux et évêques. Pour donner quelques exemples, tu étais le seul d’entre eux à ne pas faire la génuflexion face au Saint Sacrement ni durant la Consécration ; si tous les évêques se présentaient en soutane ou en costume qui allait jusqu’aux talons, parce que c’est ainsi que les normes de la réunion le demandaient, tu te présentais en costume de ville avec le col romain. Si tous s’asseyaient aux places réservées pour les évêques et les cardinaux, tu laissais le siège vide du cardinal Bergoglio, et tu t’asseyais même à l’arrière, en disant : « ici je suis mieux, ici je me sens plus à l’aise ». Si les autres arrivaient dans une voiture correspondant à leur dignité d’évêque, toi tu arrivais, plus tard que les autres, occupé et pressé, en racontant à haute voix tes rencontres dans le transport en commun public que tu avais choisi pour arriver à la réunion.

En voyant ces choses, - quelle honte de le raconter !, je me disais en moi-même :
– « Eh bien…quelles envies d’attirer l’attention! Parce que, si on veut être vraiment humble et simple, il serait mieux se comporter comme les autres évêques pour passer inaperçu ? »

Mes amis argentins qui eux aussi assistaient à ces réunions, remarquèrent d’une certaine manière mon désaccord et me disaient :

- « Non, non tu n’es pas la seule. Il nous déconcerte toujours, car nous savons qu’il a les critères clairs puisque dans ses discours formels, il montre des convictions et une certitude toujours fidèles au Magistère et à la Tradition de l’Église ; c’est un courageux et fidèle défense de la droite doctrine. Mais… au paraître, il aime avoir un bon accueil de tous et être bien avec tout le monde, de sorte qu’il peut un jour dire un discours à la télévision contre l’avortement et le jour suivant à la même télévision, apparaître en train de bénir les féministes pro-avortement sur la « Plaza de Mayo » ; il peut dire un discours merveilleux contre les francs-maçons et, quelques heures après, être en train de dîner et de trinquer avec eux au Rotary Club » .

Mon cher Pape François, celui qui fut le cardinal Bergoglio, que j’ai connu de près: un jour parlant avec animation avec Mgr Duarte et Mgr Aguer au sujet de la défense de la vie et de la Liturgie et, ce même jour, au dîner, conversant, toujours avec animation, avec Mgr Ysern et Mgr Rosa Chávez au sujet des communautés de base et les terribles barrières que signifient « les enseignements dogmatiques » de l’Église. Un jour, ami du Cardinal Cipriani et du Cardinal Rodríguez Maradiaga, parlant de l’éthique de l’entreprise et contre les idéologies New Age et, un instant après, ami de Casaldáliga et de Boff, en parlant de la lutte des classes et de la « richesse » que les techniques orientales peuvent apporter à l’Église .

Avec ces antécédents, tu comprendras que j’ai ouvert des yeux énormes quand j’ai entendu ton nom après le “Habemus Papam” et depuis lors (avant que tu ne le demandes) j’ai prié pour toi et pour ma chère Église. Et je n’ai cessé de le faire, pas même un seul jour, depuis lors.

Quand je t’ai vu sortir au balcon, sans mitre (ce n'est pas la coutume de porter une mitre en cette occasion) et sans mozette, rompant le protocole du salut et la lecture du texte en latin (pour la bénédiction), en cherchant avec cela à te différencier du reste des Papes de l’histoire, j’ai dit en souriant préoccupée au fond de moi:

- « Oui, il n’y a pas de doute. Il s’agit du cardinal Bergoglio ».

Dans les jours qui ont suivi ton élection, tu m’as donné plusieurs occasions pour confirmer que tu étais le même que celui que j’avais connu de près, toujours cherchant à être différent, donc tu as demandé des choses différentes, un anneau différent, une croix différente, une chaise différente et même une chambre et une maison différente du reste des Papes, qui toujours s’étaient accommodés du déjà existant, sans requérir des choses « spéciales » pour eux.

En ces jours-là j’étais en train de récupérer de la douleur immense que je ressentais de la renonciation de mon très cher et très admiré Pape Benoît XVI, avec lequel je m’étais identifiée dès le début d’une manière extrême, par la clarté de ses enseignements (c’est le meilleur professeur du monde), par sa fidélité à la Sainte Liturgie, pour son courage à défendre la droite doctrine au milieu des ennemis de l’Église et pour mille choses de plus que je ne vais pas énumérer.

Avec lui au gouvernail de la Barque de Pierre, je sentais que je marchais sur la terre ferme. Et avec sa renonciation, j’ai senti que la terre disparaissait sous mes pieds mais je l’ai compris, car réellement les vents étaient trop tempétueux et la papauté signifiait quelque chose de trop rude pour ses forces diminuées par l’âge, dans la terrible et violente guerre culturelle qu’il livrait. Je me sentais comme abandonnée au milieu de la guerre, en plein tremblement de terre, dans le plus féroce d’un ouragan et ce fut le moment où tu es arrivé pour le remplacer à la barre du gouvernail ! Nous avons un capitaine de nouveau, rendons grâce à Dieu ! J’avais complètement confiance (sans aucun doute sur le moyen) en ce que, avec l’assistance de l’Esprit Saint, avec la prière des tous les fidèles, avec le poids de la responsabilité, avec le conseil de l’équipe de travail au Vatican et avec la conscience d’être observé par le monde entier, le Pape François laisserait derrière les choses spéciales et les ambivalences du Cardinal Bergoglio et prendrait immédiatement le commandement de l’armée, pour, avec des forces renouvelées, continuer sur ses pas dans la lutte intense que son prédécesseur venait de livrer.

Mais, à ma grande surprise et confusion, mon nouveau général, au lieu de prendre les armes en arrivant, a commencé son mandat en utilisant le temps du Pape pour téléphoner à son coiffeur, à son dentiste, à son gardien et à son vendeur de journaux , attirant les regards sur sa personne et non vers les affaires relevant de la papauté .

Six mois ont passé depuis lors et je reconnais avec affection et émotion que tu as fait des trillons de bonnes choses.
J’aime beaucoup (énormément) tes discours formels (aux politiques, aux gynécologues, aux communicants, à la Journée de la Paix, etc.) et tes homélies lors des Fêtes Solennelles, parce qu’en elles, on note une minutieuse préparation et une profonde méditation de chaque parole employée. Tes paroles, dans ces discours et homélies ont été un véritable aliment pour mon esprit. J’aime beaucoup que les gens t’aiment et t’applaudissent. Tu es mon Pape, le Chef Suprême de mon l’Église, de l’Église du Christ !
Cependant, et c’est la raison de ma lettre, je dois te dire que j’ai aussi souffert (et souffre) de beaucoup de tes paroles, parce que tu as dit des choses que j’ai ressenties comme des estocades dans le bas ventre à mes intentions sincères de fidélité au Pape et au Magistère.

* * *

Je me sens triste, oui, mais le meilleur mot pour exprimer mes sentiments actuels c’est la perplexité. Je ne sais, vraiment pas ce que je dois faire, je ne sais ce que je dois dire et ce que je dois taire, je ne vers où tirer ou lâcher. J’ai besoin que tu m’orientes, cher Pape François. Vraiment je souffre, et beaucoup, de cette perplexité qui me maintient immobile.
Mon grave problème est que j’ai consacré une grande partie de ma vie dans l’étude de la Sainte Écriture, de la Tradition et du Magistère, avec comme objectif d’avoir des raisons fermes pour défendre ma foi. Et maintenant, beaucoup de ces bases fermes sont devenues contradictoires avec ce que mon cher Pape fait et dit. Je suis perplexe, vraiment, et j’ai besoin que tu me dises ce que je dois faire.
Je m’explique avec quelques exemples :

Je ne peux pas applaudir un Pape qui ne fait pas la génuflexion face au Saint Sacrement ni au moment de la Consécration comme le marque le rituel de la Messe, mais je ne peux pas non plus le critiquer car c’est le Pape!
Benoît XVI nous a demandé dans la lettre apostolique Ecclesiae Unitatem que nous informions l’évêque du lieu des infidélités et des abus liturgiques que nous verrions. Mais… dois-je informer le Pape, ou qui au-dessus de lui, que le Pape ne respecte pas la liturgie ? Ou que le Pape ne s’y reporte pas ? Je ne sais ce que je dois faire. Je désobéis aux indications de notre Pape émérite.

Je ne peux pas me sentir heureuse de ce que tu aies éliminé l’usage de la patène et des prie-Dieu pour les communiants , et cela m’enchante encore moins que tu ne t’abaisses jamais à donner la communion aux fidèles, que tu ne te nommes pas « le Pape » mais seulement « l’évêque de Rome », que tu n’utilises plus l’anneau du pécheur, mais de cela non plus je ne peux pas me plaindre, car tu es le Pape !

Je ne peux pas me sentir fière de ce que tu aies lavé les pieds d’une femme musulmane le Jeudi Saint, car c’est une violation des normes liturgiques, mais je ne peux en dire un mot, car tu es le pape, celui que je respecte et à qui je dois être fidèle !

J’ai beaucoup souffert quand tu as puni les frères franciscains de l’Immaculée parce qu'ils célébraient la Messe dans le rite ancien car ils avaient la permission expresse de ton prédécesseur, par le motu proprio "Summorum Pontificum". Et les punir signifie aller contre les enseignements des Papes antérieurs. Mais à qui puis-je conter ma souffrance ? Tu es le Pape!

Je n’ai su quoi penser ni quoi dire quand tu t’es moqué publiquement du groupe qui t’a envoyé une petit couronne spirituelle en les appelant « ceux qui comptent les prières ». La couronne spirituelle est une très belle tradition dans l’Église, que dois-je penser, si mon Pape n’aime pas et qu’ils se moquent de ceux qui les ont offerts ( cf. benoit-et-moi.fr/2013-II/articles/le-pape-franois-dialogue-avec-la-clar et également benoit-et-moi.fr/2013-II/articles/le-conte-du-confessionnal)?

J’ai mille amis « pro-vie » qui, étant des catholiques d’excellence, tu les as renversés, il y a quelques jours quand tu les as nommés obsédés et obsessionnels. Que dois-je faire ? Les consoler, en adoucissant faussement tes paroles ou les blesser plus en répétant ce que tu as dit d’eux, pour vouloir être fidèle au Pape et à ses enseignements ?

Aux JMJ tu as appelé les jeunes « à provoquer la pagaille dans les rues ». Le mot « pagaille ». Le mot « pagaille », à ce que j’en sais, est synonyme de désordre, chaos, confusion. Vraiment c’est cela que tu veux que les jeunes chrétiens provoquent dans les rues? N’y a-t-il pas assez de confusion et de désordre pour l’augmenter ?

Je connais beaucoup de femmes célibataires d’un certain âge (vieilles filles) qui sont pleines de joie, très sympathiques et très généreuses et qui se sont senties de vrais rebuts quand tu as dit aux religieuses qu’elles ne devaient pas avoir des têtes de vieilles filles. Tu as fait sentir très mal mes amies et moi j’ai eu mal à l’âme pour elles, car il n’y a rien de mal à être restée célibataire et consacrer sa vie aux bonnes œuvres. Que dois-je dire à mes amis « veilles filles » ? Que le Pape ne parlait pas sérieusement (chose que ne peut faire un Pape) ou mieux je leur dis que je soutiens le Pape dans le fait que toutes les vieilles filles ont des têtes de religieuses aigries .

Il y a deux semaines environ tu as dit que « ce que nous étions en train de vivre, c’était l’un des meilleurs temps de l’Église ». Comment le Pape peut-il dire cela, quand nous savons qu’il y a des millions de jeunes catholiques qui vivent en concubinage et tant d’autres millions de mariés catholiques qui prennent des moyens de contraception, quand le divorce est « notre pain quotidien » et que des millions de mères catholiques tuent leurs enfants à naître avec l’aide de médecins catholiques, quand il y a des millions d’entrepreneurs catholiques qui laissent pas guider par la doctrine sociale de l’Église catholique, mais par l’ambition et l’avarice ; quand il y a des milliers de prêtres qui commettent des abus liturgiques ; quand il y a des centaines de millions de catholiques qui n’ont jamais eu une rencontre avec le Christ et ne connaissent même pas l’essentiel de la doctrine… Est-ce le meilleur temps de l’Église ?

Quand tu l’as dit, cher Pape, j’ai été atterrée en pensant que tu le disais sérieusement. Si le capitaine ne voit pas l’iceberg qu’il y a droit devant, il est très probable que nous nous écraserons contre lui. Tu le disais sérieusement parce que tu le crois sérieusement ou c’était « seulement une façon de dire » .
Beaucoup de grands prédicateurs se sont sentis désolés en apprenant que tu avais dit qu’il ne faillait plus parler des thèmes sur lesquels l’Église a déjà parlé et qui sont écrits dans le Catéchisme. Dis-moi, cher Pape François, que devons-nous faire alors nous les chrétiens qui voulons être fidèles au Pape et aussi au Magistère de l’Église et à la Tradition? Devons-nous cesser de prêcher alors que Saint Paul nous a dit de le faire à temps et contretemps? Nous en finissons avec les courageux prédicateurs, nous les forçons à se taire, pendant que nous câlinons les pécheurs et qu’avec douceur nous leur disons, s’ils le peuvent et s’ils le veulent, de lire le Catéchisme pour qu’ils sachent ce que l’Église dit .

Chaque fois que tu parles des « bergers à l’odeur de brebis », je pense à tous ces prêtres qui se sont laissés contaminer par les choses du monde et qui ont perdu leur arome sacerdotal pour acquérir une certaine odeur de pourriture. Moi, je ne veux pas de bergers à l’odeur de brebis, mais des brebis qui ne sentent pas le fumier parce que leur berger les soigne et les maintient toujours propres.

Il y a quelques jours tu as parlé de la vocation de Matthieu avec ces mots: « Le geste de Matthieu m’impressionne. Il s’accroche à son argent, comme en disant : Non, non à moi ! Non, c’est argent est le mien ! » Je n’ai pu éviter de comparer tes mots avec l’Évangile (Mt 9-9), contre ce que le même Matthieu dit de sa vocation: « Et Jésus sortant de là, vit un homme qui était assis en face de la maison du percepteur, lequel s’appelait Matthieu, et il lui dit : suis-moi. Et celui-ci se leva et le suivit ».

Je ne peux pas voir où est l’attachement à l’argent (je ne le vois pas non plus dans le tableau du Caravagge). Je vois deux histoires différentes et une exégèse équivoque. Qui dois-je croire l’Évangile ou le Pape, si je veux (comme en vérité je le veux) être fidèle à l’Évangile et au Pape ?

Quand tu as parlé de la femme qui vit en concubinage après son divorce et un avortement, tu as dit que « maintenant elle vit en paix ». Je me demande : Une femme qui s’est volontairement éloignée de la grâce de Dieu peut-elle vivre en paix ?
Les Papes antérieurs, de Saint Pierre à Benoît XVI, ont dit qu’il n’est pas possible de rencontrer la paix loin de Dieu, mais le Pape François l’a affirmé. Que dois-je appuyer, le magistère de toujours ou cette nouveauté ? Dois-je affirmer, à partir d’aujourd’hui, pour être fidèle au Pape, que la paix peut se trouver dans une vie de péché ?
Ensuite tu as lâché la question mais tu l’as laissée sans réponse sur ce que doit faire le confesseur, comme si tu voulais ouvrir la boite de Pandore, en sachant qu’il y a des centaines de prêtres qui, d’une manière erronée, conseillent de poursuivre dans le concubinage. Pourquoi mon Pape, mon cher Pape, ne nous a pas dit en quelques mots ce que l’on doit conseiller dans des cas comme celui-là, au lieu d’ouvrir le doute dans des cœurs sincères?

J’ai connu le cardinal Bergoglio sur un plan presque familial et je suis un fidèle témoin de ce qu’il est un homme intelligent, sympathique, spontané, très rigolo et très spirituel. Mais je n’aime pas que la presse publie tous ses dits et mots d’esprit, car tu n’es pas un curé de village, tu n’es plus l’archevêque de Buenos Aires, maintenant tu es le Pape ! Et chaque mot que tu dis comme Pape acquiert une valeur de magistère ordinaire pour beaucoup d’entre nous qui te lisons et t’écoutons .
Enfin, j’ai déjà écrit de trop en abusant de ton temps, mon bon Pape. Avec les exemples que je t’ai donnés (bien qu’il y en ait beaucoup d’autres) je crois que j’ai laissé bien claire la douleur due à l’incertitude et à la perplexité dans lesquelles je vis.

Il n’y a que toi qui puisses m’aider. J’ai besoin d’un guide qui éclaire mes pas sur la base de laquelle l’Église a toujours parlé, qu’elle parle avec courage et clarté, qu’elle n’offense pas ceux de nous qui travaillons pour être fidèles au mandat de Jésus, qui appelle « le pain, pain et le vin, vin , péché, péché et vertu, vertu, même si avec cela il risque sa popularité. J’ai besoin de ta sagesse, de ta fermeté et ta clarté. Je te demande ton aide, s’il te plait, car je souffre beaucoup.

Je sais que Dieu t’a doté d’une intelligence très vive, de sorte que, en essayant de me consoler par moi-même, j’ai pu imaginer que tout ce que tu fais et dis, fait partie d’une stratégie pour déconcerter l’ennemi, en te présentant devant lui avec un drapeau blanc et en arrivant ainsi à ce qu’il baisse la garde. Mais j’aimerais que tu partages ta stratégie avec nous qui luttons à ton côté, car, en plus de déconcerter l’ennemi, tu nous déconcertes aussi et nous ne savons pas de quel côté est notre garnison et de quel côté est le front ennemi.

Je te remercie, une fois de plus, de toutes les bonnes choses que tu as faites et dites, à l’occasion des grandes fêtes, quand tes homélies et tes discours ont été si beaux, parce que vraiment ils m’ont énormément servis. Tes paroles m’ont encouragé et poussé à aimer plus, à aimer toujours et à montrer au monde entier le visage d’amour de Jésus.

Je t’adresse une étreinte filiale très affectueuse, mon cher Pape, avec l’assurance de mes prières. Je te demande aussi les tiennes, pour moi et pour ma famille dont je t’adresse en P.J. une photographie, pour que tu puisses prier pour nous, avec des visages et des corps connus.

Ta fille qui t’aime et prie tous les jours pour toi.

Lucrecia Rego de Plana

Notes

(1) Depuis la rerrible affaire du fondateur des légionnaires du Christ, la vie professionnelle de Lucrecia Rego de Planias a changé et elle ne tient plus qu’un blog hébergé par « El País ». Elle vient, elle aussi, d’écrire au Pape qu’elle a eu l’occasion de rencontrer de par son métier alors qu’il était encore le cardinal Bergoglio. Elle livre certains souvenirs qui pourraient appartenir à la discrétion professionnelle… Je n’aime pas non plus ni le fond ni la forme de son courrier adressé au Souverain Pontife et en même temps communiqué aux internautes. J’ai néanmoins traduit sa lettre qui n’est pas pour moi une lettre confiante de questionnements entre une fille et son Père (comme le déclare son auteur), c’est une lettre qui me met mal à l’aise, elle me rappelle l’état d’esprit qu’avait notre ami mexicain évoqué récemment («Revenir à la maison ») et qui disait que, par la vanité et le zèle sans amour, il était devenu un juge. Je ne mets néanmoins pas en doute la sincérité de Lucrèce quand elle parle de son malaise actuel et dit qu’elle souffre même si ses (nos souffrances car nous en avons tous) souffrances ne sont rien à côté de celles de tant d’autres. Les questions qu’elle pose sont peut-être des abcès à crever pour éviter qu’ils ne s’aggravent encore. Admettons que cela soit l’intérêt de ce courrier…

* * *

(2) Depuis 1999 Lucrecia Rego de Planas assure la direction Catholic.net. Née en 1960 à Mexico. Elle a étudié les mathématiques et est spécialiste en statistiques. Elle a aussi une formation en philosophie de l’Éducation. Mariée, mère de 9 enfants, elle est membre du conseil pastoral de l’archidiocèse de Mexico et du conseil de bioéthique de la conférence épiscopale de Mexico. Elle a publié plus de vingt livre sur la catéchèse, la spiritualité, la famille, l’éducation, le mariage et est membre du mouvement Regnum Christi depuis 1975.
Catholic net a été le premier site catholique présent sur la toile (création en 1995 par James Mullholland ? je suppose nord-américain). Il a une version espagnole www.es.catholic.net) depuis 2000. Il travaille avec Zenit et différents organismes de l’Église. Il est aussi disponible en slovène, français, allemand, anglais et italien (malheureusement les info. ne sont pas les mêmes selon les éditions dont certaines sont beaucoup plus documentées que d’autres).

(Carlota)