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Une interviewe bouleversante de Mario Palmaro

C'est lui l'écrivain catholique de sensibilité traditionaliste, gravement malade, à qui le pape a téléphoné ces jours-ci, et dont a parlé Antonio Mastino. L'interviewe est antérieure à ce coup de fil, et elle fait découvrir une figure humaine vraiment extraordinaire. La dernière réplique est sublime (18/11/2013, mise à jour).

Monique m'écrit:
C'est un homme qui parle avec toute la profondeur d'un chrétien - encore jeune, mais proche de la mort.
Il définit bien les limites de la critique d'un Pape: c'est un enseignement pour nous.
Le Pape François a fait un noble geste en lui téléphonant.

Voir aussi

     

Mario Palmero est l'auteur, conjointement à son ami Alessandro Gnocchi, de plusieurs articles qui ont paru sévères, sur le pape François, publiés sur Il Foglio et dont certains ont été traduits dans ces pages. Le premier s'intitulait "Ce pape ne nous plaît pas", et avait valu aux auteurs, outre une volée de bois vert des catholiques bien-pensants, d'être privés de leur rubrique régulière sur Radio Maria.
Quand Antonio Mastino a parlé d'un écrivain catholique gravement malade qui avait reçu un coup de fil de François, j'avais immédiatement pensé à l'un d'eux (qui d'autre?).
Mario Palmaro ne voulait certes pas que cela se sache, mais il est quelqu'un de connu, et Internet est à l'évidence un nid de ragots. Un blogueur indiscret (qui l'avait su comment?) a argué de son devoir (?) d'information pour divulguer la nouvelle sur son site Vino Nuovo (que Mastino semble avoir en piètre estime).
Le site traditionaliste Rorate Caeli reproduit ce matin des extraits d'un entretien téléphonique de Mario Palmaro avec un quotidien italien...

Extraits traduits

«Oui, c'est vrai. J'ai reçu l'appel téléphonique du pape. C'est arrivé il y a deux semaines, le 1er Novembre, jour de la Toussaint. Mais naturellement, j'ai gardé cela pour moi. Personne n'était censé être au courant, c'était une conversation d'une nature tout à fait privée. Mais les agences en ont parlé »

Mario Palmaro a répondu aux questions du quotidien italien Libero, après que le site Vino nuovo ait rapporté la nouvelle, arguant de son devoir de journaliste (comment l'avait-il su?)
«Cela m'ennuie que la nouvelle ait été rendues publique, et si cela n'avait dépendu que de moi-même et d'Alessandro (Gnocchi), à qui je l'ai confiée tout de suite, elle n'aurait jamais été connue. Aussi parce que le pontife n'avait évidemment pas l'intention que son geste soit rendu public, tout comme le contenu de notre conversation».
«Le pape François m'a dit qu'il était très proche de moi, ayant appris mon état de santé, et ma grave maladie, et j'ai remarqué clairement sa profonde empathie, l'attention à la personne en tant que telle, au-delà des idées et des opinions, alors que je traverse un temps d'épreuve et de souffrance».
«J'ai été étonné, stupéfait, et surtout ému: pour moi, en tant que catholique, ce que je vivais était l'une des plus belles expériences de ma vie; mais je me sentais le devoir de rappeler au pape que j'avais, avec Gnocchi, exprimé des critiques spécifiques concernant son travail, tandis que je lui renouvelais ma fidélité totale [à lui] en tant que fils de l'Église. Le pape m'a à peine laissé finir ma phrase, en disant qu'il avait compris que ces critiques avaient été formulées avec amour, et combien c'était important pour lui de les recevoir... [Ces mots] m'ont grandement réconforté».

[Le principal devoir pour Palmaro et Gnocchi] «est celui d'être lucide et vigilant en ce qui concerne le contenu de la doctrine catholique, et, même dans ce que nous avons écrit sur "Il Foglio", la fidélité au pape n'a jamais été remise en cause».
[Palmaro dit que] «le retrait du site du Vatican de l'interview accordée par le pape François au journaliste italien Eugenio Scalfari, nous a fait nous demander ce qui n'allait pas dans le contenu de ce texte, comme nous l'avions remarqué, entre autres choses».
«Notre intention est de nous maintenir constamment sur la voie que nous avons toujours suivie, répondant devant notre conscience. Cela sans jamais changer dans la fidélité au Pape et à l'Eglise, mais précisément en raison de cette fidélité et cet amour».

     

L'interviewe qu'il accordée à la revue des dahoniens [ndt: prêtres du Sacré Coeur de Jésus, congrégation cléricale fondée en 1878 à Saint-Quentin, dans l'Aisne par le chanoine français Léon Dehon] est vraiment bouleversante, et j'aimerais que mes lecteurs lui fassent une place dans leurs prières.
Je précise (ou je rappelle) que je ne suis d'aucune chapelle... mais il y en a que je préfère à d'autres.

Nos lecteurs seront peut-être surpris à la fois par l'interlocuteur et le contenu de cet entretien. Mario Palmaro, avocat et bioéthicien, appartient à la galaxie des catholiques traditionalistes. Quant aux réponses, il convient d'abord de préciser ce que nous partageons par rapport à ce que nous ne partageons pas. Il semble cependant opportun de donner la parole à une sensibilité différente parce que l'exercice du dialogue est une pratique exigeante, en premier à l'intérieur, puis à l'extérieur de l'Église, parce que les vérités des autres parties ne doivent pas être perdues, parce que, quand les dialogues institutionnels languissent, il revient aux communautés d'assumer la responsabilité de la foi de tous. Palmaro, avec Alessandro Gnocchi, a écrit un article intitulé "Ce pape ne nous plait pas" A nous et au peuple chrétien, il plait beaucoup. Il reste, et c'est ce qui compte, la foi commune et la piétié devant les épreuves de la vie dont nous parlons dans le dernier échange (Lorenzo Prezzi) .

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L'occasion manquée des lefebvristes

- Professeur Palmaro, vous (et le monde ecclésial que vous interprétez d'une certaine façon) avez soutenu à juste titre, la tentative de Benoît XVI de faire rentrer dans la communion le mouvement «schismatique» lefebvriste. Mais quand, en Juillet 2012, le chapitre général et refusé de donner une réponse positive à l'invitation du Saint-Siège, quelle position avez-vous prise à ce sujet? Quel jugement portez-vous aujourd'hui sur l'attitude de ce mouvement ?

- Bien que je n'en ai jamais fait partie, il y a quelques années, j'ai eu la chance de connaître de près la Fraternité Saint-Pie X, fondée par Mgr Marcel Lefebvre. En collaboration avec le journaliste Alessandro Gnocchi, nous avons décidé d'aller voir ce monde de nos propres yeux, et de le raconter dans deux livres et dans plusieurs articles. Je dois dire que beaucoup de préjugés que j'avais au fond de moi se sont révélées infondée: j'ai rencontré beaucoup de bons prêtres, des frères et des sœurs dédiés à une sérieuse expérience de vie catholique, dotés d'une humanité cordiale et ouverte, et j'ai été très favorablement impressionné par la personne de Mgr Bernard Fellay, l'évêque qui dirige la FSSPX, un homme bon et de grande foi. Nous avons découvert un monde de laïcs et de prêtres qui prient chaque jour pour le pape, tout en assumant une position résolument critique en particulier sur la liturgie, sur la liberté religieuse, l'œcuménisme. Nous avons vu beaucoup de jeunes, beaucoup de vocations religieuses, de nombreuses familles catholiques «normales» qui fréquentent la Fraternité. Les prêtres en soutane qui marchent dans les rues de Paris ou de Rome, sont arrêtés par des gens qui leur demandent réconfort et espoir .
Nous connaissons très bien le polymorphisme de l'Eglise dans le monde contemporain, c'est-à-dire le fait que se dire catholique aujourd'hui ne signifie pas suivre la même doctrine: l'hétérodoxie est très répandue, et il y a des religieuses, des prêtres, des évêques, des théologiens qui critiquent contestent ou nient ouvertement des pans de la doctrine catholique. En conséquence, nous nous sommes demandés: comment est-il possible que, dans l'Église, il y ait de la place pour tout le monde, sauf pour ces frères catholiques en tout, absolument fidèles à 20 des 21 conciles tenus dans l'histoire du catholicisme ?
Alors que nous écrivions le premier livre, est arrivée l'annonce de la levée de l'excommunication par Benoît XVI, une décision historique. Restait à ce point à établir le statut canonique de la Fraternité. Papa Ratzinger était très désireux de cette réconciliation, qui pour l'instant ne s'est pas concrétisée. Je pense que le pape Benoît XVI a été une opportunité historique pour la pleine réconciliation, et c'était vraiment dommage de laisser passer ce train. Depuis toujours, je soutiens que la FSSPX doit faire tout son possible pour sa régularisation canonique, mais j'ajoute que Rome doit offrir à Mgr Fellay et à ses fidèles des garanties de respect et de liberté, en particulier en ce qui concerne la célébration du vetus ordo et la doctrine généralement enseignée dans les séminaires de la Fraternité, qui est la doctrine catholiquede toujours.



Agressivité défensive
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- Le soutien total à Benoît XVI ne semble pas se réaliser aujurd'hui avec le pape François . Les papes, on les accepte ou on les «choisit» ? Que représente une papauté aujourd'hui ?

- Le fait que le pape «plaise» aux gens est totalement sans intérêt dans la logique bimillénaire de l'Eglise: le Pape est le vicaire du Christ sur la terre, et doit plaire à Notre Seigneur. Cela signifie que l'exercice de son pouvoir n'est pas absolu, mais est subordonné à l'enseignement du Christ, qui se trouve dans l'Eglise catholique, dans sa tradition, et qui est alimenté par la vie de grâce à travers les sacrements. Alors, cela signifie que le pape lui-même est jugeable et criticable par le catholique, à condirtion que cela se passe dans la perspective de l'amour de la vérité, et que l'on utilise comme critère de référence la Tradition, le Magistère. Un pape qui contredirait en matière de foi et de morale, l'un de ses prédécesseurs, devrait certainement être critiqué. Nous devons nous méfier de la logique mondaine selon laquelle le pape se juge avec les critères démocratiques de la satisfaction de la majorité, ou de la tentation papolâtrique selon laquelle «le pape a toujours raison». En outre, depuis des décennies, nous sommes habitués à critiquer de manière destructrice des dizaines de papes du passé, faisant preuve pour cela de peu de sérieux historiographique; eh bien, alors, je ne vois pas pourquoi les papes régnants ou plus récents devraient être soustraits à tout type de critique. Si l'on juge Boniface VIII ou Pie V, pourquoi pas aussi Paul VI ou François ?

- Dans le monde des sites et magazines les plus liés à la tradition (récente), on enregistre souvent une forte exposition agressive. Est-ce vrai? De quoi cela dépend-il? Comme le jugez-vous?

- Le problème de l'attitude de certaines personnes ou réalités liées à la tradition est sérieux, et ne peut pas être nié. Une vérité présentée ou proposée sans charité est une vérité trahie. Le Christ est notre chemin, vérité et vie, et c'est pourquoi nous devons toujours prendre exemple sur lui, qui fut toujours carré dans la vérité et invincible dans l'amour. Je crois que le monde de la tradition est parfois acerbe et polémique pour trois raisons : d'abord, un certain syndrome de l'isolement, qui rend soupçonneux et vindicatifs, et qui se manifeste aussi à travers des personnalités problèmatiques; en second lieu, le scandale sincère que certaines orientations du catholicisme contemporain éveillent chez ceux qui connaissent bien l'enseignement doctrinal des papes et de l'Eglise jusqu'à Vatican II; enfin, à cause du peu de charité que le catholicisme officiel montre envers ces frères, qui sont apostrophés avec mépris comme «traditionalistes» ou «lefebvristes» (ndt: et en France, pire encore, «intégristes»), oubliant qu'ils sont malgré tout plus proches de l'Eglise que ne le sont les membres d'une autre confession chrétienne ou aussi d'autre religion. La presse catholique officielle ne consacre pas une ligne à cette réalité - faite de centaines de prêtres et de séminaristes - et donne ensuite des pages entières aux penseurs qui n'ont rien, même vaguement, de catholique .


Contre le modernisme
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- Commentant la disposition du Vatican relative aux Frères de l'Immaculée, vous avez invoqué l'objection de conscience des religieux en matière d'indications sur la liturgie. Comment doit être l'obéissance des religieux à leur famille spirituelle? Comment situer l'objection de conscience dans la tradition du Syllabus ?

- L'histoire des Franciscains de l'Immaculée et à mon avis très triste. C'est une mesure de redressement (inspection) décidée de Rome avec une hâte inhabituelle et avec une sévérité non moins inexplicable. Parce que je connais bien cette famille religieuse, je trouve cette décision totalement injustifiée, et j'ai présenté au Vatican, avec trois autres chercheurs, une sorte de mémoire-recours.
Je rappelle, en résumé, que la mesure «destitue» le fondateur, et empêche la célébration de la messe dans l'ancien rite à tous les prêtres de la congrégation, en contradiction flagrante avec les dispositions du motu proprio Summorum Pontificum du pape Benoît XVI. Vous avez raison: la résistance à un ordre légal de l'autorités légitime pose toujours des problèmes pour le chrétien, d'autant plus s'il est membre d'une famille religieuse. Cependant, il y a ici quelques aspects clairement inacceptables, et je considère que les prêtres Franciscains de l'Immaculée devraient continuer à célébrer la messe dans la forme extraordinaire du vetus ordo, assurant ce bi-ritualisme (ie également la «nouvelle» messe) que je crois être normalement pratiquée par les moines. J'ajoute que ce n'est pas beau de voir comment, dans une Église secouée par de nombreux problèmes et de nombreuses rébellions, une Église dans laquelle des congrégations glorieuses meurent par manque de vocations, on va frapper les Franciscains de l'Immaculée, qui au contraire ont des vocations abondantes dans le monde entier.

- Quelles sont selon vous les limites les plus évidentes de la sensibilité catholique «conciliaire» (ou «libérale», si vous préférez) ? Quelles sont ses fragilités les plus frappantes?

- Le problème fondamental, à mon avis, et la relation avec le monde, marquée par une attitude de soumission et de dépendance, comme si l'Église devait s'adapter aux caprices des hommes, alors qu'en fait, nous savons que c'est l'homme qui doit s'adapter à la volonté de Christ, roi de l'univers et de l'histoire. Quand Pie X attaqua durement le modernisme, il voulut rejeter cette tentation mortelle pour le catholicisme: faire évoluer la doctrine pour seconder l'esprit du monde. Puisque l'humanité est la proie du processus de dissolution commencé avec la Révolution française, et poursuivi avec la modernité et la post-modernité, l'Eglise est aujourd'hui plus que jamais appelée à résister à l'esprit du monde. Beaucoup de choix faits au cours des 50 dernières années par l'Eglise sont au contraire le symptôme d'un fléchissement: la réforme liturgique , qui a construit une messe pour la sensibilité contemporaine, détruisant un rite en vigueur depuis des siècles, l'orientant entièrement sur la parole, l'assemblée et la participation et mortifiant la centralité du Sacrifice; l'insistance sur le sacerdoce universel, qui a dévalué le sacerdoce ministériel, déprimant des générations de prêtres et conduisant à une crise sans précédent des vocations; l'architecture sacrée, qui a édifié des monstres antiliturgiques; l'abolition de facto des «novissimi» (vérités ultimes), quand le thème du salut des âmes (et du danger de la damnation éternelle) , est le seul argument surnaturel qui distingue l'Eglise d'un organisme philanthropique;, et ainsi de suite.

Devenir saints

Les croyants sont unis sur l'essentiel et sont divisés sur les questions discutées (objets de débat). Tous, cependant, sont appelés au respect et à l'accompagnement de ceux qui sont marqués par la douleur et les difficultés de la vie. Comment change sa propre sensibilité spirituelle quand la souffrance, comme c'est le cas pour vous, traverse avec violence nos jours?

- La première chose, dans la maladie, qui bouleverse, c'est qu'elle s'abat sur nous sans aucun préavis et à un moment que nous ne décidons pas. Nous sommes à la merci des événements, et nous ne pouvons que les accepter. La maladie grave oblige à prendre conscience que nous sommes vraiment mortels; même si la mort est la chose la plus certaine au monde, l'homme moderne est porté à vivre comme s'il ne devait jamais mourir. Avec la maladie, vous comprenez pour la première fois que le temps de la vie ici-bas est un souffle, vous ressentez toute l'amertume de ne pas en avoir fait ce chef-d'œuvre de sainteté que Dieu avait voulu, vous éprouvez une profonde nostalgie pour le bien que vous auriez pu faire et pour le mal que vous auriez pu éviter. Vous regardez le crucifix et vous comprenez que c'est cela, le cœur de la foi: sans le Sacrifice, le catholicisme n'existe pas. Alors vous remerciez Dieu de vous avoir fait catholique, un catholique «petit petit», un pécheur, mais qui a dans l'Église une mère attentionnée.
Donc, la maladie et un temps de grâce, mais souvent les vices et les misères qui nous ont accompagnés au cours de la vie demeurent, voire s'exacerbent. C'est comme si l'agonie avait déjà commencé, et que se déroulait le combat sur le sort de mon âme, car personne n'est certain de son propre salut.
D'autre part, la maladie m'a aussi fait découvrir un nombre impressionnant de gens qui m'aiment et prient pour moi, des familles qui récitent le chapelet le soir avec leurs enfants pour ma guérison, et je n'ai pas de mots pour décrire la beauté de cette expérience qui est une anticipation de l'amour de Dieu dans l'éternité .
La douleur la plus grande que je ressens, c'est l'idée de devoir quitter ce monde que j'aime tant, qui est si beau et si tragique; de devoir quitter tous ces d'amis, ces parents, mais surtout d'avoir à quitter ma femme et mes enfants qui sont à un âge tendre. Parfois j'imagine ma maison, mon bureau vide, et la vie qui y est reste , même si je ne suis plus là. C'est une scène qui me fait mal, mais extrêmement réaliste: elle me fait comprendre que je suis, et que j'ai été, un serviteur inutile , et que tous les livres que j'ai écrits, les conférences, les articles ne sont que de la paille. Mais j'espère en la miséricorde du Seigneur, et dans le fait que d'autres tireront partie de mes aspirations et de mes batailles, pour poursuivre l'antique duel .

Lorenzo Prezzi