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Le Pape au bout du fil (4)

Les inquiétudes du Père Longenecker, cet anglican devenu prêtre catholique grâce à Benoît XVI, déjà croisé dans ces pages (29/4/2014)

¤ Le Pape au bout du fil
¤ Le Pape au bout du fil (2)
¤ Le Pape au bout du fil (3)

     

Dwight Longenecker est ce prêtre anglican qui, réalisant que l'Eglise anglicane prenait un chemin divergent, s'est converti au catholicisme en 1995 avec sa femme et ses enfants, puis a été ordonné prêtre catholique en décembre 2006 grâce à une dispense de Benoît XVI (cf. Une graine semée par Benoît).

Sur son blog hébergé par le portail www.patheos.com , il a consacré deux articles au coup de fil très médiatisé du Pape à une compatriote mariée civilement à un divorcé. Son analyse est intéressante, car elle émane d'une part d'un catholique qui jusqu'à présent a témoigné d'une admiration et d'une loyauté sans faille envers François, d'autre part d'un authentique "homme sur le terrain" qui est confronté directement au problème "difficile" posé ici, avec ses paroissiens.

Dans le premier article, écrit le 24 avril (la nouvelle date du 23), le Père Longenecker relate les faits avec toutes les précautions qu'impose la prudence et l'honnêteté (notamment: les faits ont-ils été correctement rapportés par les médias? quelle est la situation matrimoniale exacte du couple? etc..), et en soulignant (précaution rhétorique?) qu'il s'agit de toute façon de questions extrêmement délicates et complexes.
Et il poursuit:

Le premier article

Le Pape et le divorce
24 avril 2014
http://www.patheos.com/blogs/standingonmyhead/2014/04/the-pope-and-divorce.html
(ma traducion)
---

(...)
Je vais être franc. Avec toute sa force, le pape François ne semble pas connaître ses propres limites.
Il appelle une femme en Argentine pour lui donner des conseils personnels sur son mariage? Ce faisant, il critique un de ses prêtres?
En tant que prêtre de paroisse, je n'aurais jamais donné des conseils personnels à un paroissien d'un autre paroisse, à moins que le pasteur ne sache que la personne est venue me voir pour des conseils et ait donné son accord. Je ne critiquerais jamais non plus un autre prêtre auprès d'un fidèle. J'ai mordu ma langue de nombreuses fois en entendant des histoires horribles sur l'incompétence apparente, la cruauté, la bêtise et l'ignorance de mes confrères, mais j'ai laissé de côté, et je n'ai pas critiqué.

Mais le Saint-Père pense-t-il que c'est son job d'appeler un fidèle laïc, de le conseiller sur son mariage et de critiquer son prêtre? Le Pape serait-il un "micro manager" ? Des rapports en provenance de Rome disent qu'il est bien un micro manager extrême et qu'avec toute sa personnalité chaleureuse et son dynamisme d'«humilité» il contrôle beaucoup.

Deuxièmement, quand le pape François va-t-il se rendre compte que la presse du monde entier (qu'il le veuille ou non) s'accroche à chacune de ses paroles, chacune de ses actions? Tout ce qu'il fait - chaque geste qu'il fait et chaque mot qu'il prononce est considéré comme infaillible. Nous lui avons donné un an pour s'habituer à son job. N'a-t-il personne pour lui apprendre les ficelles du métier et l'aider à comprendre qu'il est maintenant le pape. Il est une figure mondiale et le porte-parole de l'Eglise catholique. Il ne peut pas faire ce qu'il veut.

Enfin, certains diront que le pape François est un jésuite très intelligent qui utilise des appels téléphoniques de ce genre pour orienter le débat sur le divorce dans SA direction. Ils disent qu'il sait ce qu'il fait et qu'il sait que la presse mondiale va s'en emparer et qu'ils vont faire les gros titres sur le fait que le pape favorise la communion pour les divorcés remariés. Il peut alors utiliser cette pression pour faire avancer les choses à sa façon. Ils parlent avec admiration de lui comme étant un habile politicien.

Est-ce vraiment le cas? Personnellement, j'en doute. Mais s'il s'agit d'une vraie lecture, alors est-ce admirable chez un pape? Doit-il utiliser la pression des médias manipulés pour diriger les conversations des cardinaux et des évêques de l'Église? Est-ce qu'un bon pape doit utiliser des tactiques tordues pour influencer l'esprit de l'Eglise sur des questions importantes? Si cela est vrai, alors nous n'avons pas du tout un pape simple, humble, compatissant et bienveillant à tous. Nous avons un manipulateur machiavélique qui contrôle cyniquement les médias et toute sa personnalité extérieure, lançant des colombes de la paix avec les petits enfants, embrassant des gens déformés, lavant les pieds des femmes musulmanes et vivant dans l'humble Casa Santa Marta est entièrement une façade - derrière laquelle il y a un opérateur habile.

Je ne crois pas que ce soit vrai, donc je ne vois pas dans le pape le politicien rusé que certains font de lui. Je pense qu'il n'a pas encore appris ce que cela signifie être un pape et qu'il fait des erreurs.

Oui, oui, oui, je sais, «Qui suis-je pour critiquer le pape?» Ma seule réponse à cette question est que nous sommes appelés à réfléchir en catholiques et pas comme des robots. Si le pape fait quelque chose qui semble fou ou qui est source de confusion, nous devrions en discuter et essayer de comprendre ce qui se passe.

     

Le second article

Retombées d'un appel téléphonique
25 avril 2014
http://www.patheos.com/blogs/standingonmyhead/2014/04/fallout-from-a-phone-call.html
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Voilà ce que nous savons: le Pape François a donné un coup de fil pastoral personnel à une femme en Argentine. On croit que la femme est dans une situation matrimoniale irrégulière. Le mari de la femme prétend que le pape a dit qu'il était d'accord pour qu'elle aille à la communion.

C'est tout ce que nous savons. Le bureau de presse du Vatican a publié une déclaration reconnaissant l'appel et déplorant son «amplification médiatique». Je partage ce regret, et voici quelques-unes des retombées de cette amplification des médias:

Dans un article du Daily Mail de Londres (www.dailymail.co.uk), le pape est cité comme ayant dit qu'il n'y a «aucun problème» à ce que la femme reçoive la communion. L'auteur du titre a complété les paroles du Pape: «UN PEU DE PAIN ET DE VIN "NE FAIT PAS DE MAL"». Désormais, grâce aux journaux, non seulement le pape sape le sacrement du mariage, mais il se réfère au Corps du Christ et au Précieux Sang comme «Un peu de pain et de vin»
Notez que ce n'est pas ce que dit le pape, mais quelques mots supplémentaires ajoutés par l'auteur du titre et mis dans la bouche du pape.
Il faut donc être extrêmement prudent avant de prendre au sérieux le moindre rapport de presse sur cette histoire. A travers l'ignorance et la malveillance, les membres de la presse laïque vont fausser l'enseignement de l'église autant qu'ils le pourront.

Par ailleurs, le bureau de presse Vatican a confirmé que l'appel téléphonique a eu lieu et n'a pas nié l'essentiel des propos du pape comme il a été reporté.

Je suis un prêtre de paroisse. Voici une autre retombée de cet incident au niveau local: Hier, un paroissien avec des problèmes de mariage me raconte que sa tante l'a appelé de New York pour lui dire: «C'est OK pour toi le divorce, parce que le pape dit que les gens divorcés peuvent aller communier. Je l'ai vu au JT ce matin!"

Cette même personne dit: «Ma tante n'est pas catholique et elle est divorcée et mariée à mon oncle qui est catholique, et leur curé, le Père Frank (juste pour donner un nom!) connaît la situation et leur donne la communion chaque semaine. Il dit que tout cela est du légalisme et n'a pas d'importance, car il sait qu'elle aime Jésus et Jésus accepte tout le monde».

Donc, que le pape ait donné ce coup de fil ou pas n'a pas d'importance. Ce qui est réel, c'est qu'il est perçu comme ayant passé ce coup de fil et que personne du Vatican ne l'a démenti et donc, sur le terrain, dans les tranchées, les gens ordinaires pensent maintenant que le divorce et le remariage sont OK parce que le pape a dit qu'il est d'accord. En outre, le Père Frank, qui tient les lois de l'Eglise dans ses mains et dispense la discipline du mariage et ce qui concerne la réception de la communion pour les non-catholiques, vient d'être confirmé dans son attitude anarchique par ce qui semble être l'indifférence du pape pour la discipline de l'Église.

Que le pape l'ait fait ou pas n'est pas la question. Ce qui est perçu, c'est qu'il l'a fait, et les retombées suivent.

De peur de recevoir des mails haineux pour avoir critiqué le pape François, permettez-moi de signaler que j'aime et que j'admire le pape François. Je pense qu'il est ce dont l'Eglise a besoin en ce moment. La plupart de mes écrits sur lui ont été positifs. En outre, je suis d'avis que la discipline du mariage de l'Église devrait être examinée et une sorte de réforme mise en place pour le bien des personnes vivant dans le monde moderne. Je ne suis pas un réactionnaire enragé qui pense que le pape François est l'anti-pape avant la fin du monde.

Toutefois, sa gestion des relations publiques - et celle de ses collaborateurs - laisse quelque peu à désirer. Benoît a été accusé de gaffes médiatiques, mais François fait passer le pape Benoît pour un grand communicateur. Ce dernier fiasco s'est ajouté à une litanie de confusions médiatiqes et, pour ma part, je souhaite que les gens des médias du Vatican se ressaisissent et aident le pape François à réaliser qu'il n'est plus simplement Padre Bergoglio. Il n'est plus un pasteur privé. Il appartient au monde.

Oui, c'est bien joli de sa part d'appeler les gens à propos de leurs problèmes personnels, mais est-ce juste? Il y a un tel potentiel d'incompréhension, de désinformation, de ragots et de mensonges dans ce type de comportement que le pape doit voir comment il est potentiellement dommageable. En tant que simple curé, l'un des champs de mines les plus délicats est la communication avec mes collaborateurs, mes paroissiens et la famille étendue de l'Église prolongée. Les malentendus, les mauvaises pensées et les gens qui sautent à des conclusions erronées sont des constantes. C'est pourquoi les personnes dans des positions de leadership apprennent très vite à se taire, à écouter et à prendre du recul par rapport aux problèmes à examiner attentivement.

Si le Saint-Père est tellement en faveur d'une Église du peuple et pour le peuple, ne devrait-il pas respecter les autorités locales et déléguer ces questions à l'évêque diocésain et de là au prêtre local? Où est le principe catholique tant vanté de subsidiarité - dans lequel les problèmes sont mieux résolus et les initiatives mieux prises au niveau local? Où est la bonne compréhension de la hiérarchie dans laquelle nous avons une chaîne de commandement et la délégation appropriée aux niveaux inférieurs d'autorité?

C'est, après tout, le pape qui préfère qu'on l'appelle «l'évêque de Rome» et évite les pièges de la puissance impériale. D'après ce que nous savons, il veut réformer la papauté et s'éloigner de tout soupçon d'ultramontanisme et de pouvoir absolu de la papauté, et pourtant, il s'implique dans la micro gestion du mariage d'un couple en Argentine?

Encore une fois, ne vous méprenez pas. Je suis en fait en faveur d'un pape qui fait tourner les tables. J'aime l'idée qu'il fasse des gestes prophétiques et mette en oeuvre des réformes radicales, et je pense personnellement que c'est une bonne chose qu'il fasse des appels téléphoniques surprise aux gens.

Je souhaite juste qu'il se méfie plus des médias et réalise que chaque mot qu'il prononce a des échos dans le monde entier.