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Redistibution des cartes à la Curie sous François

Pour ouvrir les yeux de ceux qui croient que rien ne changera au Synode, parce que le préfet de la CDF est opposé aux changements. Mais la CDF, sous François est déjà redimensionnée!(3/6/2014, mise à jour)

L'article ci-dessous (lien transmis par un lecteur) est issu du site progressiste National Catholic Reporter (ex-maison de John Allen)... ce qui ne l'empêche pas d'être crédible.

Texte original en anglais: ncronline.org//news/vatican/benedict-prot-g-francis-vatican
Ma traduction.

     

LE PROTÉGÉ DE BENOÎT AU VATICAN DE FRANÇOIS
Robert Mickens
2 juin 2014
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Le Cardinal Gerhard Müller aime raconter un épisode amusant qui a eu lieu il y a quelques mois quand le pape François l'a arrêté dans le Bureau qu'il dirige, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Le pape a immédiatement noté dans le hall d'entrée une petite statue qui représente un évêque avec tous les insignes, assis sur un cheval et brandissant le Saint-Sacrement dans un ostensoir en or. «Je me suis assis sur une selle comme ça pendant six heures» a dit Müller au pape, faisant allusion à la traditionnelle procession équestre de Pentecôte, remontant à 6 siécles, qu'il a conduite à plusieurs reprises quand il était évêque en Bavière.
Avec un petit rire, François a répondu: «Le pauvre cheval!».

Malheureusement, il y aussi un côté sombre à cette humeur enjouée. Les chevaux ne sont pas les seuls qui ont eu à supporter le poids de Müller, 66 ans (ndt: curieux cette manie désormais entrée dans les moeurs de définir les gens par leur âge!).
Plus récemment, il a descendu durement la LCWR (Leadership Conference of Women Religious), la plus importante et la plus ancienne des deux associations de religieuses aux Etats-Unis, lors d'une rencontre avec ses dirigeantes le 30 avril à Rome.
Mais nombreux et variés sont les clercs catholiques (y compris quelques cardinaux), religieux et laïcs qui ont eu la pression de ce protégé de Joseph Ratzinger durant les un peu moins de deux ans où il a été en charge de ce qu'on appelait autrefois le Saint-Office (pourquoi revenir sans cesse à cette ancienne appellation? c'est vrai que certains perlent encore de "l'Inquisition").

Cela inclut ceux qui (citant François) évoquent le principe de miséricorde comme justification de la réadmission des catholiques divorcés remariés civilement aux sacrements de l'église. Parmi eux, il y a aussi ceux qui (encore une fois, citant le pape argentin) ont fait valoir que les conférences épiscopales nationales et régionales devraient être autorisées à exercer une plus grande prise de décision et même avoir plus d'autorité doctrinale. Et tout récemment, il a été signalé que l'Office de Müller a ouvert une enquête sur les écrits théologiques du Père Michael Amaladoss, l'éminent jésuite indien spécialisé dans l'inculturation et le dialogue interreligieux.

Les thèses qu'épousent les individus et les groupes mentionnés ci-dessus pourraient à juste titre être qualifiées de «réformistes», «créatives» et, dans certains cas, «progressistes». Mais même plusieurs de ceux qui s'identifient sans vergogne comme «conservateurs» ou «traditionalistes» ont également ressenti dans leur cou le souffle du chef doctrinal du Vatican.
A noter parmi eux la schismatique Fraternité Saint-Pie X et le leader de l'Opus Dei de l'Eglise au Pérou, le cardinal Juan Luis Cipriani de Lima. Le plus grand crime des premiers est la désobéissance à la papauté, et celui des seconds, apparemment, est une aversion pour le père Gustavo Gutiérrez, un ami péruvien de Müller qui est considéré comme le père de la théologie de la libération.

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Tout cela est très embarrassant pour les «catholiques-Vatican II» qui ont été encouragés par la volonté de François à rouvrir le débat sur des questions épineusesau sein de l'église, son désir de décentraliser le pouvoir, et son appel à tous les croyants de risquer de commettre des erreurs dans leurs efforts pour revigorer l'église en quittant le sanctuaire et en allant vers les périphéries de l'humanité.

Les paroles et les actions de Müller leur paraissent en contradiction avec ce nouveau style d'ouverture et d'audace. Ils veulent à juste titre savoir si le pape tolère seulement les vues contrastées du cardinal ou, plus inquiétant, s'il les approuve réellement (et secrètement?). Et si oui, pourquoi? Si la réponse est non, alors pourquoi a-t-il reconfirmé l'allemand en tant que préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi d'abord, et ensuite faire de lui un cardinal?

Le fait est que, comme le «pauvre cheval» François a déjà été aux prises avec lui (ndt: l'expression anglaise est "saddled with", qui évoque une selle).
En Juillet 2012, Müller approchait de la fin de sa 10e année comme évêque de Ratisbonne, lorsque le pape Benoît XVI l'a appelé à Rome pour diriger la CDF. A peu près sept mois plus tard, Benoît, qui lui-même avait passé un quart de siècle comme préfet de la congrégation de la doctrine, annonçait qu'il démissionnait de la papauté.

L'archevêque Müller n'avait pas encore terminé sa première année à l'ex-Saint-Office en Mars 2013, lorsque François a été élu évêque de Rome. Si le nouveau pape l'avait remplacé (en passant, il est aussi le curateur des Oeuvres complètes de Benoît XVI / Joseph Ratzinger), cela aurait été considéré comme une critique sérieuse envers le jugement et la sagesse du pape retiré. Cela aurait immédiatement déclenché une vive opposition (qui n'est devenue manifeste que plus tard) aux efforts de François pour réformer la Curie romaine et les structures de gouvernance de l'église.

Alors, que faire du préfet d'un Office majeur de la Curie qui ne semble pas être «en phase avec la ligne»?
Le Jésuite Thomas Reese a fait allusion à la solution dans un article récent publié par NCR, «La congrégation doctrinale du Vatican n'est pas si suprême». Il a observé qu'au moins trois des plus proches collaborateurs de François ont ouvertement critiqué le préfet de la congrégation doctrinale et les positions qu'il a prises sur certaines questions.

Tout d'abord, le cardinal Oscar Rodríguez Maradiaga de Tegucigalpa, au Honduras, le coordinateur de l'organe consultatif du pape de huit cardinaux, a accusé Muller d'être trop rigide. Il a dit à un journal allemand que le «tsar» doctrinal doit être «plus souple» et «écouter d'autres voix».

Le cardinal Reinhard Marx de Munich, un autre membre du Conseil de Cardinaux, et à la tête du Conseil de l'Economie, a réprimandé publiquement son compatriote allemand pour avoir essayé de sévir contre de nouvelles idéesvisant à offrir les sacrements aux catholiques divorcés remariés. «Il ne peut pas arrêter les discussions», a dit Marx.

Et le cardinal João Braz de Aviz, chef de la congrégation vaticane pour les ordres religieux, a ouvertement déploré le manque de consultation avec son dicastère sur l'évaluation doctrinale et la réforme prévue de la LCWR.

Il y en a beaucoup d'autres. Les plus importants sont les cardinaux Walter Kasper et Lorenzo Baldisseri.
Kasper, qui fut à la tête de l'Office œcuménique du Vatican, et est de facto «théologien du pontificat», a dit que l'Office de Muller a tendance à avoir une vision «étroite».
Baldisseri, secrétaire général du Synode des évêques, s'est exprimé en opposition frontale avec le préfet de la doctrine, disant l'enseignement de l'Église sur la famille et le mariage peut et doit être «mis à jour».

Le P. Reese a également souligné la remarque de François aux ordres religieux, de ne pas trop s'inquiéter des corrections et des avertissements qu'ils reçoivent de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. L'auteur jésuite a ensuite cité le discours de son confrère-pape aux fonctionnaires de la congrégation doctrinale, disant leur travail doit se «distinguer pour les pratiques de collégialité et de dialogue».

Et c'est vraiment là où la «Suprema», comme la CDF était autrefois connue, n'est plus si suprême que cela. Le lieu de l'exercice de la collégialité épiscopale, au moins à Rome, est le Synode des Évêques, et certainement pas la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.
François, comme aucun pape avant lui, a personnellement assisté à plusieurs séances de planification au siège du Secrétariat du synode. Il a élargi l'espace physique du bureau, fait évêque le sous-secrétaire (ce qui n'avait jamais été fait avant) et a appelé à des changements majeurs dans les procédures utilisées lors des assemblées du Synode.

Bien qu'il soit communément référé (et est de facto) comme faisant partie de la Curie Romaine, le synode est en fait (et de jure) séparé et au-dessus de la Curie. Le pape jésuite est déterminé à changer cela, dans le but d'en faire une partie intégrante de la structure de gouvernance efficace pour l'Église universelle. Dans ce modèle, les bureaux de la Curie - y compris l'ancien Saint-Office - seraient subordonnées au, et au service du, synode. Et Müller serait juste un évêque de plus parmi les autres évêques.

C'est pourquoi quand François a annoncé les noms de son premier groupe de nouveaux cardinaux en Janvier dernier, le secrétaire général du Synode des évêques était deuxième sur la liste, juste derrière son secrétaire d'État. Le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi venait en troisième position.

A vous tous, pauvres chevaux de trait dans les terres de mission du Seigneur, bon courage!

     

Mise à jour

Robert Mickens est le "journaliste" qui s'était fait virer de The Tablet pour avoir écrit "Je hais Benoît XVI" .