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Jésus de Nazareth: Benoît XVI l'écrivain (1)

Reprise. A l'occasion de la sortie du deuxième volume de "Jésus de Nazareth", dans un n° de mars 2011, "La Vie" donnait la parole à des intellectuels françai pas forcément catholiques. Denis Tillinac (2/5/2014)

     

Je jouis de sa dextérité conceptuelle et de sa poétique discrète
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Un écrivain rameute les fragments épars de sa subjectivité pour s'en faine un bouclier, un étendard ou un simili de forteresse. Autant dire: un exutoire d'infortune. Tandis que la foi de Benoit XVI, éclairant sa raison, ordonne son approche de la réalité et assigne une finalíté à l'acte d'écrire.
En soi la littérature ne vise aucun but, elle comble des manques à l'aveugle. Notre pape est un théologien, un dialecticien, un philologue incomparable ; peut-être pas un écrivain au sens où nous l'entendons communément depuis les romantiques.
Pourtant, en lisant la seconde partie de son Jésus, j'ai cru sentir, comme à la lecture de ses autres livres, de ses conférences (Bernardins, Ratisbonne, etc.,) et de ses catéchèses de mercredi matin sur les Pères de I'Église, un ton qui le distingue de tout autre auteur. Une musique même, celle de son esprit, pour ne pas dire de son âme - et je me souviens qu'il aime Mozart et le joue au piano.
Sa façon de déambuler entre les Évangiles et l'Ancien Testament - surtout les Psaumes et les Prophètes - pour revenir au Christ en passant par saint Paul et profiler, en un trait de plume, le destin de 1'Église, témoigne à la fois d'un souci quasiment scientifique d'explorer le sens profond des Écritures, et d'une sensibilité très personnelle.
Si l'art de choisir le mot juste, de camper un décor historique et de convier le lecteur dans l'intimité d'une quête spirituelle qualifie l'écrivain, Benoit XVI en est un, et du meilleur aloi.
Comme tout le monde, j'ai lu les Évangiles, et je croyais en avoir à peu près compris le message. Or, son approche des derniers jours de Jésus sur la terre des hommes - son procès, sa mise en croix puis au tombeau, sa Résurrection - ont chamboulé mes vues (sommaires et confuses) sur la Passion et la vie éternelle. Parce qu'avec des mots simples, il a su me prêter son intelligenee spirituelle - et de ce bienfait, j'ai profité dans chacun de ses écrits. Sa prose serrée, précise, encore que tremblée par moments, ne relève pas du discours clérical; il sait comment pensent les athées, les agnostiques, les indécis.
Sa prodigieuse érudition n'est pas mobilisée pour occulter un débat mais pour explorer toutes les hypothèses. Certes, en son for la foi et la raison sont complices, ce à quoi on peut s'attendre d'un théologien marqué par saint Thomas d'Aquin. Dans sa critique des romans de Mauriac, Sartre opposait l'artiste au croyant, au nom d'une "liberté" incompatible selon lui avec la soumission au Créateur. Il avait tort, comme d'habitude. Benoit XVI est un artiste de la théologie et, en le lisant, outre ce que j'apprends, je jouis de sa dextérité conceptuelle et de sa poétique discrète. De son charisme, pour résumer. Peu importe qu'on le définisse ou pas comme un écrivain ; ses livres - dont le dernier en date - sont de loin ce que j'ai lu de plus enrichissant depuis belle lurette. Je crois qu'ils viennent à leur heure, pour vaincre ce désarroi nauséeux dans lequel nous pataugeons et qu'explicite son analyse du « relativisme » contemporain.
Décidément, le dernier conclave aura été bien inspiré par le Saint-Esprit : c'est ce pape qu'il nous fallait, hic et nunc. »