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L'homme qui ne voulait pas être Pape

Impressions de lectures. Un beau portrait de Benoît XVI, mais trop centré sur les attaques internes (9/2/2014)

L’HOMME QUI NE VOULAIT PAS ÊTRE PAPE
Nicolas Diat
Albin Michel , 511 pages
(Présentation sur le site de l'éditeur: www.albin-michel.fr)

Un beau portrait

Contrairement à son successeur, dont les livres écrits par ou sur lui inondent les gondoles des grandes surfaces "culturelles", Benoît XVI n'a pas été un "coup" éditorial. Comme ce sont les maisons d'édition qui choisissent ce qui est publié, on peut supposer que cela relevait d'un choix calibré de leur part. Dans les huit années de son pontificat, passés les quelques ouvrages de circonstance écrits après le conclave de 2005, dont la majorité d'un intérêt très faible et aujourd'hui bons pour le pilon, les ouvrages consacrés à lui ont été très rares, et la plupart d'entre eux à charge (au mieux: le Pape qui ne sait pas com-mu-ni-quer). A oublier, mais c'est déjà fait, si tant est qu'ils aient été lus.
L'importante biographie de Peter Seewald, qui aurait certainement suscité un grand intérêt public, n'a par exemple jamais été traduite en français (elle l'est par contre en anglais). Il est vrai qu'elle ne contenait aucune révélation croustillante, aucune détail scandaleux, elle aurait même pu permettre au public de se former une opinion postive du grand Pape bavarois.
Heureusement, dans ce paysage consternant (ou presque), il y a eu la lumineuse et érudite biographie de Paul et Chantal Colonge, "La joie de croire", dont j'ai longuement parlé par ailleurs (http://benoit-et-moi.fr/2011-II). Mais elle était, de l'aveu même de ses auteurs, destiné à rester confidentielle.

Dans le contexte sans doute éditorialement favorable du premier anniversaire de la renonciation, la sortie, ces jours derniers, d'un livre de Nicolas Diat (grand spécialiste des arcanes du Vatican, récite la quatrième de couverture, mais je ne le connaissais pas) intitulé "L'homme qui ne voulait pas être Pape", et sous-titré "l'histoire secrète d'un règne", était donc une bonne nouvelle, mais compte tenu du tableau que je viens de brosser, pouvait aussi susciter dé légitimes inquiètudes.
Je ne voulais en tout cas pas en parler avant de l'avoir au moins feuilleté.

Le livre commence par l'annonce du 11 février, et le départ du Vatican, le 28 février ("un hélicoptère blanc dans le ciel de Rome"...); puis, en un long flash back, nous retournons au Conclave de 2005, et après des pages qui sont les plus belles du livre, où se dessine à traits délicats la personnalité sublime que les lecteurs de ce site connaissent bien, nous reparcourons les principales étapes du Pontificat: d'abord dans ses réussites, ensuite à travers ses grandes crises, jusqu'aux jours dramatiques de la renonciation, le temps des Congrégations générales, et du conclave de mars 2013; la dernière partie, assez étoffée, est consacrée au début du Pontificat de François, évalué très positivement, et en insistant sur la continuité.

Disons-le tout de suite, le livre, écrit d'une plume fluide, bien documenté, m'a globalement plu; le portrait de Benoît XVI qui émerge de ces pages est magnifique, inédit en France, et d'une grande justesse. L'auteur ne cache ni son admiration pour l'immense intellectuel, l'homme de grande culture, le penseur puissant et prophétique, ni sa tendresse pour les qualités humaines tellement travesties de l'homme, indulgent, fidèle en amitié (en particulier, celle pour le cardinal Bertone, amitié qu'il aurait payée au prix fort), d'une grande bonté, incapable de la moindre bassesse, extérieur aux coteries et autres "cordées", étranger à toutes les intrigues et rendu pour cela peu apte à évoluer dans le nid de serpent du milieu clérical en général, et de la Curie en particulier.

Sous la plume de certains observateurs, l'image de Benoit XVI est tellement déformée qu'il s'agit d'une image confisquée... Pourtant, l'ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi ne s'interroge pas un instant sur les possibles travestissements de son image.
En Benoît XVI, il n'y a pas de mépris pour les choses de ce monde, mais un abandon de soi. Cet homme ne sait et ne veut pas se défendre. Il refuse les attaques ad hominem et, à tout le moins, le scandalum pusillanorum. L'effacement du moi chez Joseph Ratzinger est élégance et politesse. (...)
(page 15)

On revit avec empathie et angoisse l'épuisement croissant suscité par les trahisons incessantes, les perpértuels "coups bas" encaissés avec une grande dignité, mais sans être suffisamment défendu, ou seulement même épaulé par des collaborateurs inefficaces ou carrément malveillants.

L'auteur a interrogé de nombreux prélats, beaucoup sous couvert d'anonymat (je me méfie un peu!), et sait donc beaucoup de choses (vraies ou pas, donc), qui permettent de donner un éclairage parfois inattendu aux évènements que j'ai suivis au jour le jour dans ces pages sans en connaître l'arrière plan, par la force des choses.
Nous trouvons par exemple la confirmation que le Pape a beaucoup souffert des accusations portées contre son frère au moment où a éclaté en Allemagne le scandale des abus sexuels sur mineurs (je me souviens de photos parus dans un quotidien français, montrant le pauvre vieux prêtre sortant de chez lui par une matinée glaciale de mars pour aller célébrer la messe dans une chapelle voisine, et grossièrement interpelé par deux reporters-voyous): Benoît XVI a été profondément blessé, il a compris que c'était par haine contre lui que l'on s'en prenait ainsi à ce qu'il avait de plus cher au monde, et après cet évènement, qui l'a laissé plus épuisé encore, il n'a, lit-on, plus jamais été le même.
On apprend également (mais je suis trés réservée sur la fiabilité d'une telle information) que dans un premier temps, ce devait être durant l'été 2012, seul le frère du Pape était au courant de sa décision, Mgr Gänswein n'a été informé qu'après.

Enfin et surtout, il y a cette confidence bouleversante, faite par un proche (?)

Une décision difficile

Selon ses proches, la décision de renoncer n'a pas été facile. Bien plus, elle fut infiniment douloureuse. Benoit XVI a lutté de toutes ses forces pour continuer de porter son message. Mais quand les tempêtes sont devenus trop fortes, que sa santé s'est altérée sous le poids de toutes les difficultés, il a préféré s'effacer pour donner à son successeur, que Dieu choisirait, la conduite de la barque de Pierre. La fatigue, les trahisons, les incompétences ont eu raison d'un homme qui voulait le bien de l'Église et des chrétiens. Le lundi 11 février 2013, lorsqu'il est remonté dans son bureau, après avoir annoncé au monde sa renonciation, il a pleuré. Loin des regards, loin des commentaires, loin des mauvais et des ambitieux...
(page 72)

Réserves

J'ai malgré tout des réserves sur le livre de Nicolas Diat.
Et avant tout, celle-là: il insiste beaucoup trop sur l'aspect interne, "curial".

Même si l'incompétence du cardinal Bertone, les coups bas du cardinal Sodano et d'autres prélats peu recommandables dont on a du mal à imaginer qu'il s'agit de prêtres, sont réels, je suis totalement convaincue que les forces obscures qui ont agi jusqu'au point culminant des Vatileaks, afin de pousser Benoît XVI à renoncer, n'oeuvraient pas toutes derrière les murs léonins. Elles ont même eu de puissants relais à l'extérieur
Je regrette que le livre glisse sur la responsabilité des médias (ou la liquide en quelques maigres lignes), c'est-à-dire des intérêts qui les contrôlent. Comment imaginer que des querelles intestines au sein du Vatican (après tout, la Curie, tout le monde s'en fiche, et la plupart des gens ne savent même pas ce que c'est) auraient eu un tel écho si "certains" ayant de puissants moyens de diffusion, ne les avaient pas étalés publiquement. On voit bien, ces jours-ci, avec l'affaire du rapport de l'ONU, que les puissances qui nous gouvernent, tiennent l'Eglise pour l'ennemi à abattre. Et ils haïssaient Benoît XVI car ils savaient qu'il était redoutable (aujourd'hui, ils ont changé de tactique)
Ceci vaut aussi pour les affaires de pédophilie (clairement "téléguidées", j'avais traduit dans ces pages les reconstructions saisissantes de Massimo Introvigne et Francesco Colafemmina); le discours de Ratisbonne (ce n'est pas seulement l'absence de relecture du discours du Pape, la première "reprise" de la phrase-polémique extraite de son contexte était le fait, comme par hasard, du NYT, le cardinal Vingt-Trois l'a lui même rappelé récemment); l'affaire du préservatif (le déchaînement planétaire ne peut pas s'expliquer par de simples maladresses de communication), la levée de l'excommunication des évêques lefebvristes (que l'on se souvienne du timing, avec l'interviewe de Williamson diffusée deux jours avant l'annonce, au cours d'une émission de la télé suédoise avec en vedette rien moins que Caroline Fourest. J'ai du mal à croire que la faute en revienne au seul cardinal Re, même s'il a pu être une courroie dont l'"agenda" en croisait d'autres, plus sombres....). Et ainsi de suite.
Sans parler d'autres crises, plus "discrètes" mais non moins usantes, la béatification de Pie XII (à laquelle il avait donné le feu vert en le proclamant "vénérable" en décembre 2009, suscitant le tollé de la communauté juive), l'affaire de la fillette de Récife, les polémiques avant la visite à la Synagogue de Rome, après la visite à Auschwitz, avant le pélerinage en Terre-Sainte ("un voyage à haut risque", "on ne lui passera rien", lisait-on dans la presse) l'instrumentalisation médiatique de la mort du cardinal Martini, les intimidations féroces avant chaque voyage à l'étranger provenant généralement du lobby gay pour le dissader de venir (qu'on se souvienne du voyage au Royaume-Uni), les menaces de le transférer devant le TPI, liste hélas non exhaustive... Bref, du harcèlement systématique, psychiquement épuisant, même pour un esprit fort comme lui, d'un grand sang-froid, et d'une grande maîtrise de soi malgré sa sensibilité (on se souvient comment après son agression du fait d'une "folle" vêtue de rouge dans la Basilique St Pierre à Noël 2009 il s'était immédiatement ressaisi).

A l'évidence, tout cela ne pouvait pas venir QUE des Palais sacrés. Il y avait (il y a) autre chose.

Enfin, Nicolas Diat fait partie de ceux qui défendent la continuité entre le Pape émérite et le Pape régnant - une continuité qui me laisse personnellement, au moins pour le moment, assez sceptique. Nous verrons.
On lit en effet dans le dernier chapitre intitulé "Du côté de chez Marthe":

"Du côté de chez Marthe"

Par beau temps, ou sous les orages les plus virulents, l'enfant de la Bavière a imprimé sa marque sur l'histoire de l'Église comme peu de ses contemporains. Le destin que ce successeur de Pierre n'a pas voulu est-il resté inachevé ?
Selon un cardinal qui le connaît depuis longtemps, «l'ancien pape en est certain, Dieu l'a délivré. En lui enlevant ses demières forces, Il a voulu le sauver d'une charge si lourde pour la placer sur les épaules d'un autre ».
Pourtant, si sa décision gardera toujours une part de mystère, il faut aussi comprendre cette confidence d'un très proche de Benoit XVI. Le soir de l'élection de son successeur, à Castel Gandolfo, au moment où le cardinal Tauran annonçait le nom du successeur de Pierre, « il y eut un long silence » dans le salon où se trouvait l'ancien pape. Les beaux esprits qui prisent les divisione manichéennes aimeraient peut-étre tirer des conclusions définitives. Mais ils oublieront alors l'humilité de Joseph Ratzinger.
Car, le temps passant, le pape émérite a observé avec satisfaction le nouveau vicaire du Christ. A un visiteur rencontré dans les premières semaines de l'automne 2013, il confiait que François était « une grande gràce pour l'Église ». Aujourd'hui, toujours selon ce proche, s'il aimerait plus que tout que son héritage liturgique soit approfondi, ce dont il doute parfois, l'ancien pape pense que François peut accomplir un grand travail pour l'Église.
Pour un haut prélat, ami des deux pontifes, « Joseph Ratzinger comprend parfaitement en quoi François parvient à réussir sur des sujets où lui-méme a échoué. Il sait que l'ouverture de la réforme de la Curie est un sujet difficile et que certaines dérives qui ont marqué la fin de son pontificat étaient devenues particulièrement graves. Il aimerait vraiment que François réussisse au mieux dans cette nouvelle tâche ».
(page 495)

* * *

Mais au-delà de ces réserves (qui tiennent aux limites d'un ouvrage décrivant des évènements qui n'appartiennent pas encore à l'histoire, puisque les protagonistes sont vivants, et que les intérêts en jeu existent plus que jamais), ce qui compte le plus, peut-être, c'est que l'on peut dire du livre ce que j'avais écrit de "La Joie de Croire" de Paul et Chantal Colonge: Je défie quiconque d'arriver au terme de la lecture sans aimer Benoît XVI.
Dommage, vraiment, que tout cela n'ait pas été écrit plus tôt.

Pour conclure sur cette note positive, je recopie ce splendide passage du prologue du livre:

Ce triste jour d'hiver, le jeudi 28 février 2013, un étrange silence est tombé sur les appartements pontificaux. Depuis, les paroles restent rares. Benoit XVI vit comme un moine, dans le silence. Demeurent des milliers de pages.
Un prophète, un agneau, a choisi de partir derrière les hauts murs d'un monastère. Au-dehors, les chiens et les loups courent toujours en montrant leurs crocs... Mais dans la petite chapelle de son couvent, Benoit XVI est avec Celui qu'il a toujours cherché.
(page 15)