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Les interviews du Pape à Scalfari

... promues au rang de magistère officiel par la publication d'un livre à la Libreria Editrice Vaticana, signé "Jorge Mario Bergoglio - Papa Francesco!! Les interrogations d'Antonio Socci. Et d'autres questions. (31/10/2014, mise à jour ultérieure)

Un livre publié par la Libreria Editrice Vaticana, vient de paraître ces jours-ci en italien. Son titre: "Interviste e conversazioni con i giornalisti", avec pour auteur "Jorge Mario Bergoglio-Papa Francesco" (on observera qu'à côté de François, c'est - incroyablement - Dame Pigozzi qui a les honneurs de la couverture!!).
Il s'agit, comme son nom l'indique, d'un recueil des interviews données par le pape "dans l'ordre chronologiques, reconnues et publiées comme telles sur l'Osservatore Romano et d'autres titres" - énonce l'éditeur - , rassemblées par don Giuseppe Costa, le directeur de la LEV.

La présentation de l'éditeur poursuit: "Les interviews dans leur ensemble révèlent la richesse du message du Pape François, son attention aux enfants, aux jeunes, aux personnes âgées; la miséricorde et la tendresse de Dieu; sa passion pour les gens, la rencontre, et le dialogue interreligieux".

Parmi ces interviews, évidemment, celles controversées avec Scalfari, la première, d'octobre 2013, et l'autre de juillet 2014. Ayant toutes deux fait l'objet de démentis, de mises au point embarrassées de la part du Père Lombardi.

Maintenant qu'un livre portant la signature du Pape donne une caution officielle à ces déclarations contestables, parfois troublantes, comment vont réagir les "fans" du Pape qui nous expliquent depuis plus d'un an que ceux qui confondent de simples interviews avec le magistère papal sont des idiots manipulés par les "médias", et que Scalfari est un menteur?

C'est la question que pose Antonio Socci dans cet article formidable qui a aussi le mérite de nous rafraîchir la mémoire en faisant un historique complet des déclarations les plus surprenantes du Pape (tout est documenté sur mon site, je laisse les lecteurs intéressés faire leur propres recherches).

     

ALORS, IL EST VRAIMENT SCALFARIEN !

Antonio Socci
Lo Straniero
(ma traduction)

Au Vatican du pape Bergoglio, la confusion est totale. Chaque jour, il y a quelque chose.
Après le cas déconcertant de «Leoncavallo au Vatican» [(*)], voilà maintenant qu'avec la signature de «Jorge Mario Bergoglio-François» la Libreria Editrice Vaticana a publié le livre «Entretiens et conversations avec les journalistes», où sont rassemblées les "interviews avec le Pape François, reconnues et publiées en tant que telles par le journal du Saint-Siège L'Osservatore Romano, et d'autres publications ».

Il est retentissant et significatif que parmi elles, il y ait aussi les deux avec Eugenio Scalfari parce que jusqu'à présent, beaucoup les considéraient comme controversées.
Le fait va créer de l'embarras.
Rappelons leurs contenus les plus explosifs.

«IL N'EXISTE PAS DE DIEU CATHOLIQUE»
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Dans l'interview du 1er Octobre 2013, sur le thème des «maux les plus graves» qui «affligent le monde», de façon incroyable, Bergoglio ne parle pas de la perte de la foi, de l'effacement de Dieu ou de l'attaque aux fondements de la morale et du droit naturel.
Non, il dit: «le chômage des jeunes» et «la solitude de la vieillesse».
Scalfari, étonné, lui fait remarquer qu'il s'agit d'un «problème politique et économique» qui «regarde les états, les gouvernements, les partis politiques et les syndicats». Le Pape devrait s'occuper de Dieu.
Mais Bergoglio lui répond que ceux énoncés par lui sont aussi pour l'Église «le problème le plus urgent et plus dramatique».
Suit le pas le plus troublant, où le pape affirme: «Chacun de nous a sa vision du Bien et aussi du Mal. Nous devons le pousser à poursuivre vers ce qu'il pense être le Bien (...). Chacun a sa propre idée du Bien et du Mal et doit choisir de suivre le Bien et combattre le Mal comme il les conçoit. Ce serait suffisant pour améliorer le monde».
Beaucoup ont observé que ce concept, qui nie l'objectivité du Bien et du Mal, est en contradiction avec tout le Magistère de l'Eglise, et qu'il est très dangereux car il aurait pu être utilisé même par Staline et Hitler pour se justifier.

Autre passage bergoglien qui a suscité un fort malaise: «les dirigeants de l'Église ont souvent été narcissiques, flattés et excités dans le mauvais sens par leurs courtisans. La cour est la lèpre de la papauté» (François s'est vu rappeler que lui plus que quiconque devrait se prémunir contre la flatterie des courtisans).

Dans l'interview, le Pape Bergoglio s'en prend durement au «libéralisme sauvage», mais il ne prononce aucune parole de condamnation du communisme, ni de la théologie de la libération (dans les deux cas, il fait l'éloge des gens qui professent ces idéologies).

Le Pape argentin condamne également le «prosélytisme» catholique («un non-sens solennel»), disant que «notre objectif n'est pas le prosélytisme, mais l'écoute des besoins, des désirs et des déceptions».
Contrairement à ce qui est requis par Jésus dans l'Evangile: «Allez donc et faites des disciples de toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit» (Mt 28: 19 -20).

Dans un autre passage, stupéfiant, le pape Bergoglio a dit: «Je crois en Dieu. Pas dans un Dieu catholique, il n'y a pas de Dieu catholique, il y a Dieu».
Etranges, aussi, les propos sur l'eschatologie où il dit qu'après la fin du monde, «la lumière de Dieu envahira toutes les âmes» et il répète «toute la lumière sera dans toutes les âmes.»
Ce «toutes» ouvre certaines questions, en particulier si l'on considère que dans le magistère ordinaire de Bergoglio, il est difficile de trouver le mot «enfer» (moi, je ne l'ai pas trouvé) [(**)].


EMBARRAS VATICAN
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Cette interview, publiée le 1er Octobre (2013) par la Repubblica, a été reproduite le lendemain également sur l'Osservatore Romano, et placée sur le site du Vatican.
Quelques courageux ont essayé de donner une voix à la consternation de beaucoup de catholiques pour ces mots jamais prononcés par un pape.
Le Père Lombardi a essayé de se raccrocher à des pailles (arrampicarsi sugli specchi, littéralement, grimper aux miroirs, càd se raccrocher à n'importe quoi) en disant que François n'avait pas revu personnellement le texte, que Scalfari avait toutefois envoyé avant publication.
Cela n'a convaincu personne.
Le fait qu'aucun démenti clair et indiscutable ne soit apporté aux déclarations les plus surprenantes, a fait croître la confusion.
Ainsi, après un mois et demi, le 15 Novembre, on a décidé d'effacer cette interview sur le site officiel du Pape et du Vatican.
Pour l'occasion, le père Lombardi s'est à nouveau accroché aux pailles pour expliquer que «l'interview est fiable dans un sens général, mais pas dans les évaluations individuelles: c'est pourquoi il a été décidé de ne pas rendre le texte disponible sur le site Internet du Saint-Siège. En substance, en l'enlevant, on a fait une mise au point sur la nature de ce texte. Il y avait une certaine ambiguïté et un débat sur sa valeur. C'est la Secrétairerie d'État qui l'a décidé».

À ce moment, même «Vatican Insider», qui est le «virage sud» (ndt: j'imagine que c'est l'endroit du stade où se regroupent les supporters de l'équipe de football de Rome) des supporters bergogliens, a noté qu' «en effet, l'article contenait des expressions difficilement attribuables à François»
Sauf qu'aujourd'hui, l'interview est republiée, et même dans un livre du pape. Alors maintenant, que vont-ils dire?

Et il n'y a pas que cela. Les rencontres entre Scalfari et Bergoglio ont continué. Et 13 Juillet de cette année sur la Repubblica, une autre interview de Scalfari au pape a été publiée.


LA COLÈRE DES CARDINAUX
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Cette fois encore, on lit des propos stupéfiants. Par exemple, le pape Bergoglio affirme que «si (une personne) choisit le Mal, car elle est convaincue que de lui s'ensuivra un bien du haut des cieux, ces intentions et leurs conséquences seront évaluées. Nous ne pouvons pas en dire plus parce que nous n'en savons pas plus».
Puis le pape dit, parlant du clergé, que «le célibat fut établi au Xe siècle" (nouvelle qui a surpris les historiens de l'Église) et que, en ce qui concerne le mariage des prêtres, «il faut du temps, mais les solutions existent, et je les trouverai».
Enfin, le passage le plus explosif. Parlant de la pédophilie dans l'Eglise, le Pape a donné un pourcentage erroné (par excès), et a ajouté que parmi ces pédophiles, il y a «des prêtres et même des évêques et des cardinaux».
Le matin même de la sortie de l'interview, le 13 Juillet, bien que ce soit un dimanche, il semble que certains cardinaux importants aient saisi le téléphone, utilisant des mots enflammés. Et l'habituel père Lombardi s'est immédiatement précipité pour faire une déclaration sur cet entretien «chaleureux et très intéressant».

Il a dit: «comme déjà précédemment dans une situation similaire, il convient de remarquer que ce Scalfari attribue au pape, référant ses paroles "entre guillemets" est le fruit de sa mémoire de journaliste expert, mais pas la transcription exacte d'un enregistrement et encore moins d'une révision par la personne intéressée».
Ainsi, «on ne peut ni ne doit parler de quelque façon d'une interview ... Donc, si on peut considérer que dans l'ensemble l'article rapporte le sens et l'esprit de la conversation ... il faut réaffirmer avec force, comme les fois précédentes, que les expressions spécifiques rapportées, dans la formulation donnée, ne peuvent pas être attribués avec certitude au Pape».
En particulier, le Père Lombardi a démenti deux affirmations qui «ne peuvent pas être attribuables au Pape. C'est-à-dire que parmi les pédophiles, il y a des cardinaux, et que le pape a dit avec certitude, à propos du célibat,"je vais trouver les solutions"».
Lombardi a fait remarquer que dans ces deux affirmations attribuées au Pape «Scalfari a ouvert des guillemets, mais ne les a pas fermés: «oubli» s'est demandé le porte-parole du Vatican «ou reconnaissance explicite qu'il s'agit d'une manipulation pour les lecteurs naïfs?».
Il est curieux qu'un mot aussi lourd («manipulation») soit utilisé pour un journaliste que le pape a continué de recevoir plusieurs fois.
Curieux, aussi, que le démenti ait été précis et dur sur des questions brûlantes, comme celles relatives aux cardinaux et à la pédophilie, mais pas sur les affirmations de contenu doctrinal, ce qui aurait été encore plus important.


ET MAINTENANT?
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Enfin, quelle valeur a ce démenti de Juillet, pourtant rapporté sans commentaire dans l'introduction du livre signée par don Giuseppe Costa, dès lors qu'aujourd'hui, le pape republie ces deux interviews intégrales, tel quel, dans un livre avec sa signature ?
Un pape peut-il semer cette confusion parmi les fidèles?

     

(*) "Leoncavallo au Vatican"

Le centre Leoncavalli

Leoncavallo est le nom d'un centre social situé à Milan.
Selon la notice wikipedia en italien:

"Le Leoncavallo est un centre social historique autogéré fondé en 1975 à Milan, basé jusqu'en 1994 Via Leoncavallo (d'où son nom). Aujourd'hui, dans la nouvelle structure du centre social, on trouve une maison d'édition-bibliothèque, un centre pour migrants, les sièges de six associations et se déroulent trois cent cinquante concerts par an, une exposition internationale de bande dessinée"
etc...

Que vient faire le "Leoncavallo" là-dedans?
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Le 28 octobre, le Pape a reçu au Vatican les "mouvements populaires" (cf. VIS). Après quoi il s'est entretenu en privé avec le président de Bolivie Evo Morales, qui était présent à la rencontre (cf. VIS)
Le site -en français- de l'ONG "La via Campesina" ("mouvement international qui coordonne des organisations de petits et moyens paysans, de travailleurs agricoles, de femmes rurales, de communautés indigènes d'Asie, des Amériques, d'Europe et d'Afrique", ainsi qu'il se présente) nous en dit un peu plus ici, sous le titre LE PAPE FRANÇOIS: «QUAND JE DÉFENDS LES PAUVRES, CERTAINS M’ACCUSENT D’ÊTRE COMMUNISTE!».

Parmi les mouvements invités à cette rencontre au Vatican, il y avait donc le centre social "Leoncavalli" de Milan.

Dans un article sur La Repubblica , on peut lire:

"La rencontre était une occasion pour ouvrir un dialogue en Europe entre les réalités laïques et chrétiennes, sur des thèmes comme la pauvreté, la paix, les droits des migrants, la solidarité... Le centre social milanais, lié à une tradition sociale de gauche, se dit proche de l'attitude du nouveau pontife, qui a ramené le christianisme au message originel".

Et un autre journal de gauche, Il Fatto quotidiano (très actif contre Benoît XVI lors des vatileaks!) rapporte la rencontre de façon mi-élogieuse, mi-ironique en ces termes:

"Selon un responsable du centre 'par moments, les paroles du Pape François ont semblé beaucoup plus à gauche que celles des partis qui l'ont inscrite dans leur ADN'... Mais il a tout de suite ajouté: "Ne vous inquiétez pas, LeonCavalli ne s'est pas converti ".

On n'en doute pas.

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D'où ces questions:
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Tout cela est certes très beau, très généreux et très noble, mais est-ce vraiment ce qu'on attend du Pape?
Et n'y a-t-il pas un glissement périlleux vers un catholicisme teinté de marxisme (je sais, cela fait huler de rire - ou de rage - les nouveaux papistes!), ou tout au moins instrumentalisant la foi au profit du combat politique, version bergoglienne de la Théologie de la Libération?

     

(**) Mise à jour

Le Pape et l'enfer
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Monique me rappelle que le Pape a déjà évoqué l'enfer en au moins une circonstance (en ciblant des pécheurs bien précis!):
C'était le 21 mars dernier, lors d'une soirée de prières avec les victimes de la mafia dans une église de Rome. Il avait dit (aux membres de la mafia): "Convertissez-vous pour ne pas finir en enfer" (voir aussi: benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/mafia, et également benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/les-bons-combats-et-les-autres).

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