Accueil

L'oecuménisme selon François (2)

Un article très complet du Boston Globe, qui retrace les relations d'amitié (et les perspectives en termes d'"unité" des chrétiens) entre François et Tony Palmer, un "évêque" évangélique investi d'une "mission", qui vient juste de se tuer dans un accident de moto (11/8/2014)

Articles reliés

Bergoglio, les Pentecôtistes... et après? L'oecuménisme selon le Pape François: l'unité à travers la diversité. Les interrogations d'Alessandro Gnocchi (4/8/2014)

L'oecuménisme selon François Lundi, le pape François rencontrera près de Naples un ami pasteur évangélique. En février dernier, il envoyait un message vidéo à un rassemblement pentecôtiste au Texas, par l'intermédiaire d'un certain "évêque" Tony Parker. Quelle est donc cette myriade inextricable de petites églises se réclamant plus ou moins du protestantisme, auxquelles François tend la main? Réponse du Père Longenecker (26/7/2014).

La rencontre "secrète" du Pape François à Caserta Qui sont les pentecôtistes? Massimo Introvigne dresse un tableau foumillant de détails de l'arrière-plan de la visite que le Pape François rendra le 28 juillet à un de leurs pasteurs. Avec le souci, un peu lourd, d'éteindre préventivement l'incendie prossible (22/7/2014)

     

L'article est inattaquable, car il est issu non pas de sites tradis (essentiellement anglophones), donc par nature suspects, qui en ont beaucoup parlé, et qui étaient généralement très remontés, mais d'un pur représentant des mainstream media.
L'auteur, Austen Ivereigh, est un journaliste anglais, ex-directeur adjoint de The Tablet, collaborateur de The Guardian et d'autres titres "libéraux" de langue anglaise, et il est l'auteur d'un biographie de François à paraître “The Great Reformer: Francis and the making of a radical pope” (annoncée pour novembre 2014).
L'article qu'il signe ici est publié dans The Boston Globe.
Autant dire, donc, qu'il n'est pas à charge, au contraire. Mais il soulève de nombreuses questions très intéressantes, malheureusement peu explorées en France, sur les intentions du Pape.
François semble vouloir substituer à l'oecuménisme classique, "théologique", de ses prédécesseurs, c'est-à-dire celui avec les églises "historiques" - orthodoxes et luthériennes -, une "unité" indéterminée avec des groupes flous et religieusement instables, dont Benoît XVI, s'adressant le 23 septembre 2011 à Erfurt aux représentants du Conseil de l'Église Évangélique en Allemagne, parlait en ces termes:

C’est un christianisme de faible densité institutionnelle, avec peu de bagage rationnel et encore moins de bagage dogmatique et aussi avec peu de stabilité...

L'autre question soulevée par l'article, n'est pas formulée explicitement, mais elle interpelle tous ceux qui ne refusent pas de lire les signes: c'est la coïncidence extraordinaire entre la démarche "oecuménique" en cours, et la mort de Tony Palmer, en pleine santé et en pleine force de l'âge.

     

MORT D'UN AMI DU PAPE
Tony Palmer, l'ami protestant du pape, meurt, mais donne une impulsion à l'esprit d'unité
Austen Ivereigh
7 Août 2014
www.bostonglobe.com
(ma traduction)
---

LONDRES
Les chirurgiens anglais qui luttaient pour sauver la vie d'un motard gravement blessé dans la matinée du 20 Juillet auraient pu deviner qu'il s'agissait de quelqu'un d'exceptionnel, puisque l'hôpital recevait des appels de Rome, du pape lui-même, pour demander des nouvelles.
Mais l'Audi couleur argent qui ce matin-là a percuté un religieux protestant connu sous le nom de «Bishop Tony Palmer» sur une tranquille route de campagne, lui a laissé peu de chances de survie, et il est mort après une intervention chirurgicale en urgence de 10 heures. La nouvelle a assommé non seulement sa femme et ses enfants, mais les nombreuses personnes à travers le monde chrétien qui étaient au courant que, dans les coulisses, l'amitié improbable de Palmer avec le pape François était le catalyseur d'une extraordinaire percée historique dans les relations entre l'Eglise catholique et le monde évangélique.

Palmer, un sud-africain décontracté, jovial, au parler clair, dans la petite cinquantaine, avec un penchant pour les vêtements ecclésiastiques excentriques, n'avait ni l'air ni le langage d'un évêque anglican classique. Quand je l'ai rencontré en mai, à un café de Bath, près de l'endroit où il vivait avec sa famille, il m'a expliqué qu'il avait été ordonné par la Communion of Evangelical Episcopal Churches (CEEC), dont l'évêque-président est en Floride.

La CEEC, formée dans les années 90, est anglicane. Pourtant, contrairement à l'Église épiscopale des États-Unis, elle ne fait pas partie de la Communion anglicane fidèle à l'archevêque de Canterbury.
Ses dirigeants se considèrent comme faisant partie d'un mouvement «convergent», cherchant à combiner le christianisme évangélique avec la liturgie et les sacrements typiques du catholicisme.
Cette convergence, m'a dit Palmer, «est un précurseur de la pleine unité entre les Eglises protestantes et catholiques».

Né en Grande-Bretagne, Palmer a grandi en Afrique du Sud où il a travaillé comme assureur médical. Il a épousé Emiliana, une italienne catholique non pratiquante. Après une conversion soudaine, ils ont commencé à suivre le culte dans une église évangélique. Palmer a travaillé pendant quelques années en Afrique du Sud pour le KCM (Kenneth Copeland Ministries), basé au Texas, pionnier de la controversée «évangile de la prospérité» qui prétend que Dieu récompense ses fidèles par des bénédictions matérielles.
De retour en Italie pour rendre visite à la famille d'Emiliana, les Palmers rencontrèrent le Renouveau charismatique catholique, un mouvement au sein de l'Eglise catholique, qui a intégré les traditions évangéliques pentecôtistes de pratique du culte, guérison, et attente de dons spirituels. A travers les charismatiques, Emiliana est retournée dans l'Église catholique, et les Palmers avec leurs jeunes enfants ont commencé à fréquenter la messe du dimanche. Dans les années 1990, ils ont commencé à passer de longues périodes en Italie, où ils ont été invités à prendre la parole dans les églises catholiques.
En 2003, ils ont déménagé en Italie, pour travailler avec Matteo Calisi (ndt: il en a été question ici), chef du Renouveau Charismatique Catholique dans ce pays. Palmer se sentait de plus en plus à son aise dans l'Église catholique, mais il n'est pas parvenu à affilier à Rome un groupe œcuménique qu'il avait fondé, "l'Arche communautaire", parce que ses membres n'étaient pas tous catholiques.
A la place, Palmer a trouvé un chez-soi dans la CEEC, qui revendique autour d'un million d'adhérents et 6000 membres du clergé. Après qu'il ait complété ses études, la CEEC l'a ordonné prêtre, en lui donnant une mission particulière d'unité des chrétiens, et plus tard, l'a consacré comme évêque.
Palmer et Calisi ont commencé à faire des missions conjointes à travers le monde - ce qui les a amenés à Buenos Aires en 2006.
Son archevêque, le cardinal Jorge Mario Bergoglio, ayant surmonté ses réserves sur le renouveau charismatique, participa cette année-là avec enthousiasme à une rencontre commune de 6000 catholiques et évangéliques dans le stade de Luna Park à Buenos Aires.
Palmer, Calisi et quatre autres étaient allés rencontrer le cardinal avant de commencer leur mission dans son diocèse. Quand Palmer dit à Bergoglio qu'il était anglican évangélique avec une femme et des enfants catholiques, le cardinal, curieux, lui demanda comment ils vivaient cette différence. Palmer lui répondit que cela fonctionnait très bien, mais que, depuis qu'il conduisait sa famille à l'église catholique, il n'avait pas le droit de recevoir la Communion avec eux.
Quand Palmer lui dit que ses enfants lui avaient demandé pourquoi il voulait rejoindre une église qui sépare une famille, les yeux de Bergoglio se remplirent de larmes.
«Son cœur s'est brisé», se souvient Palmer.
Le cardinal lui demanda s'ils pouvaient rester en contact et se rencontrer régulièrement. Au fil des ans, le cardinal de Buenos Aires et l'évêque évangélique nouèrent un lien profond, restant en contact par téléphone et par mail entre deux rencontres en face-à-face.

Palmer et Bergoglio eurent des discussions intenses sur la séparation chrétienne, utilisant l'analogie de l'apartheid en Afrique du Sud. Ils trouvèrent un terrain d'entente dans la conviction que la séparation institutionnelle engendre la peur et l'incompréhension. Bergoglio, que Palmer appelait «Père Mario», agit comme un père spirituel pour le religieux protestant, le calmant («il voulait faire de moi un réformateur, pas un rebelle», m'a dit Palmer) et l'encourageant dans sa mission d'unité des chrétiens .
À un certain moment, quand Palmer en eut assez de vivre sur la frontière et voulut devenir catholique, BERGOGLIO LUI CONSEILLA DE NE PAS SE CONVERTIR pour le bien de la mission: «Nous avons besoin de bâtisseurs de ponts», lui dit le cardinal.

En 2012, la famille Palmer déménagea en Angleterre, pour permettre à leur fils de préparer son entrée à l'université là-bas. Palmer avait une petite idée de l'étoile montante de Bergoglio, mais il reçut un mail trois jours avant le conclave de Mars 2013, lui demandant ses prières. Quand il vit le pape François sortir sur le balcon, Palmer fut ravi, mais il pensa que leur amitié allait prendre fin.
Mais peu de temps après le Nouvel An, il reçut un appel. François voulait savoir quand il serait du côté de Rome, et s'il pourrait venir le voir? Le 14 Janvier, Palmer passa la matinée avec François dans la résidence du Vatican où il vit actuellement, la Domus Santa Marta.
«Nous n'avions pas d'agenda», a rappelé Palmer. «Il m'a dit que nous étions frères et que rien ne changerait notre amitié».
Palmer lui dit que la semaine suivante, il s'adresserait à 3000 évangéliques, devant la conférence des leaders internationaux du Kenneth Copeland Ministries, à Fort Worth, au Texas: voudrait-il envoyer un mot de salutation?
«Faisons une vidéo», répondit François.
«Vous voulez que je sorte mon iPhone et que je vous enregistre?», demanda Palmer, surpris.
«Oui, exactement», répondit le pape.

En présentant l'enregistrement (http://youtu.be/NZ9Ssvs5cgY) devant les pentecôtistes, au Texas, Palmer leur a dit que peu de Protestants savaient que les Églises catholiques et luthériennes avaient signé une déclaration historique en 1999, réglant la question doctrinale de la Réforme.
«Nous prêchons le même Evangile, à présent», leur a dit Palmer. «La protestation est terminée»
Puis il a passé la vidéo, dans laquelle François s'adressait à eux en tant que frères et sœurs, et déclarait qu'avec seulement «deux règles - aimer Dieu par-dessus tout, et son prochain comme soi-même - on pouvait aller de l'avant». Il a parlé du péché de séparation, et de son désir de réconciliation. «Permettons à notre désir de grandir, parce que cela va nous propulser à nous trouver l'un l'autre, à nous embrasser l'un l'autre, et ensemble à adorer Jésus-Christ comme l'unique Seigneur de l'Histoire», leur a-t-il dit.
Les délégués ont réagi avec ravissement. Après que la vidéo ait beaucoup circulé, Palmer a commencé à être inondé par les demandes des dirigeants évangéliques de prendre part à ce qui se passait. «Les gens disaient: c'est un nouveau jour, c'est ce que nous avons attendu».
Palmer a dû annuler ses engagements d'enseignement et ses propres études simplement pour faire face à sa correspondance. Lors d'une rencontre en avril, il a tout raconté au pape François, qui en a été surpris.
Cosa facciamo? «Que faisons-nous?», a-t-il demandé à Palmer.

Le 24 Juin, Palmer a emmené un groupe de leaders évangéliques, représentant conjointement plus de 700 millions de personnes, afin de rencontrer François et de déjeuner avec lui, ce qu'il m'a rapporté quelques jours plus tard, alors qu'il s'apprêtait à partir pour deux semaines en Afrique du Sud. Parmi les délégués, il y avait Copeland, le télévangéliste James Robison, ainsi que Geoff Tunnicliffe, directeur de la Worldwide Evangelical Alliance. Ils ont dit à François qu'ils voulaient accepter son invitation à rechercher l'unité visible avec l'évêque de Rome.
Palmer a remis au pape un projet de Declaration of Faith in Unity for Mission (Déclaration de foi dans l'unité pour la Mission) que les évangéliques avaient préparé, et qui devrait être signé à la fois par le Vatican et les dirigeants des principales églises protestantes à Rome en 2017, pour le 500e anniversaire de la Réforme et le 50e anniversaire du Catholic Charismatic Renewal .
Palmer m'a dit le projet de déclaration comporte trois éléments: le credo de Nicée-Constantinople, que les catholiques et les évangéliques partagent; le coeur de la déclaration catholico-luthérienne de 1999, en précisant qu'il n'y a pas de désaccord sur la justification par la foi; et une section finale affirmant que les catholiques et les évangéliques sont désormais «unis dans la mission parce que nous proclamons le même Evangile».
La section finale parle de l'importance de la liberté de conscience et de la nécessité pour les catholiques et les évangéliques de respecter leurs terrains de mission respectifs, et de traiter l'autre avec respect, et non comme des rivaux.
François avait pris le projet et dit qu'il allait y penser. Palmer et moi avons convenu de nous parler à nouveau quand François le reverrait, mais cela ne devait pas être.

Mercredi dernier, à Bath, les funérailles de Palmer étaient une messe de Requiem catholique, dans laquelle la plus grande partie de l'assemblée était évangélique. Il a été enterré dans un cimetière catholique, finalement uni à l'Eglise dans laquelle il se sentait chez lui.
Le Pape François a envoyé un message, qui a été lu par Emiliana Palmer en larmes. Il y disait que lui et Palmer étaient des amis proches, comme père et fils, «Plusieurs fois, nous avons prié dans le même Esprit». Il a salué Palmer comme un homme courageux, passionné et au coeur pur, plein d'amour envers Jésus, qui a laissé un précieux héritage dans sa passion pour l'unité des chrétiens.

François a créé la forte impression que le travail qu'il avait commencé avec Palmer allait se poursuivre.

«Nous devons être encouragés par son zèle», a déclaré le pape.


  © benoit-et-moi, tous droits réservés