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Paul VI: l'hommage du Père Scalese

Reprise d'un très bel article, au ton très personnel, datant de juin 2009 (17/10/2013)

Andrea Tornielli (celui d'"avant"!) venait tout juste de publier une imposante somme biographique, sous le titre "Paolo VI. L'audacia di un papa", et entre recension et souvenirs, plusieurs articles sur Papa Montini étaient parus dans la presse italienne.

A deux jours de la béatification, à laquelle Benoît XVI assistera, la dernière phrase de l'article de mon ami le Père Scalese prend une résonance particulière.

     

ELOGE DE PAUL VI
Père Giovanni Scalese
mercredi 24 juin 2009
Ma traduction
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Ces jours-ci, on parle beaucoup de Paul VI.
L'occasion en est donnée par la publication du livre d'Andrea Tornielli, "Paul VI. L'audace d'un Pape". Cela veut dire que le vaticaniste du Giornale a fait un bon travail. Malheureusement, au moins pour l'instant, je n'ai pas pu le lire; j'espére pouvoir le faire le plus tôt possible.
Ici, je me contenterai d'apporter mon témoignage personnel sur Papa Montini, pour ce qu'il peut valoir.

Même si, comme le dit Messori, Tornielli « dément les stéréotypes sur Paul VI », ces stéréotypes, à ce qu'il semble, ont du mal à disparaître. Chaque fois qu'on écrit quelque chose sur lui, on répète toujours les habituelles banalités : Pape "hamletique" (ndt: comme le dit Küng!), intellectuel raffiné, distant et incompris des foules, etc, etc.
Mais comment est-il possible qu'on ne se rende toujours pas compte que nous sommes tous victimes de campagnes médiatiques ? Qui a décidé que Jean XXIII et Jean Paul II ont été des Papes aimés des foules, alors que Paul VI et Benoît XVI ne réussissent pas à rencontrer la faveur populaire ? Les media. Mais sommes-nous tellement sûrs que cela corresponde à la réalité ?

Personnellement je considère que Paul VI a été un des plus grands Papes du XXème siècle.
Il a eu un très grand mérite: il a su amener à sa conclusion le Concile (entreprise certes pas facile) et ensuite il a réalisé l'application dudit Concile (entreprise encore plus difficile).
L'Église, grâce au Ciel, est guidée par l'Esprit de Dieu: peut-être y avait-il besoin d'un Pape un tantinet inconscient comme Jean XXIII pour convoquer Vatican II, mais probablement, lui ne se rendait pas compte de ce qui bouillait dans la marmite et de ce qu'allait signifier la convocation du Concile.
Comme le rappelle justement Messori, Papa Roncalli pensait s'en tirer en quelques mois, avec l'approbation unanime des schémas préparés par la Curie Romaine ; il pensait répéter pour l'Église tout entière l'expérience du Synode Romain (et cela en dit long sur l'étalage du « progressisme » du « Bon Pape »).
Une fois le Concile commencé, la Providence songea à changer le chef d'orchestre. Montini était certes bien vu des novateurs (pour son ouverture d'esprit et sa formation), mais bien vite ceux-ci changèrent leur jugement sur celui qu'ils espéraient voir réaliser leurs plans.
Quelles furent donc les « fautes » commises par Paul VI aux yeux du lobby progressiste ?

Avant tout, Papa Montini donna un tournant au Concile : ce qui devait être simplement, selon le programme de Jean XXIII, un concile « pastoral », devint un concile « ecclésiologique », qui se proposait de porter à terme l'oeuvre commencée par Vatican I. Il est évident que de cette façon, on donnait au Concile une valeur doctrinale que, dans les plans initiaux, il n'aurait pas dû avoir.

Une faute encore plus grave fut la « Nota praevia » (note préliminaire) à Lumen Gentium. Les progressistes avaient réussi à faire passer un concept de collegialité qui mettait fortement en cause le primat pontifical. Paul VI, témoignant d'un grand sentiment de respect envers le Concile, ne voulut pas modifier la constitution qui avait été approuvée, mais voulut qu'elle fût complétée par une « Nota praevia », à la lumière de laquelle elle devait être interprétée, afin d'éviter toute ambiguïté.

Une autre faute de Paul VI fut d'avoir évoqué certains thèmes très « sensibles », sur lesquels aujourd'hui encore, on continue de revenir de manière obsessionnelle : le célibat et la contraception. Je crois que cela, ils ne lui ont jamais pardonné : il avait vidé le Concile ! Lorsque par la suite, dans les deux cas, il confirma l'enseignement traditionnel (avec Sacerdotalis caelibatus et Humanae vitae) on arriva au heurt frontal, qui dure toujours.

Et vous, un Pape comme celui-là, vous le qualifiez d'"hamletique", d'indécis ? Vous plaisantez...

Ils me font rire, aussi les traditionalistes radicaux qui accusent Paul VI d'avoir détruit l'Église.
Mais est-il possible qu'on ne se rende pas compte que Papa Montini, l'Église, il l'a sauvée ? En comparaison avec ce qu'a fait Paul VI, Jean Paul II (« le Grand ») - absit iniuria verbo - disparaît : Papa Wojtyla a trouvé "la bouillie toute préparée" (ndt, expression familière: si è trovata la pappa bell'e fatta) ; les grands choix avaient été déjà accomplis ; il ne s'agissait plus que de réaliser un programme déjà commencé. Paul VI, non : il s'est retrouvé à gouverner l'Église en un moment où tout était remis en cause ; il n'y avait plus rien de certain ; on ne savait plus ce qu'il était juste de conserver et ce qu'il était possible de changer. Celui qui se chargea de ce "tri" (qui aujourd'hui semble évident, mais ne l'était pas à l'époque) fut Paul VI. L'Église a une immense dette envers lui.

Mais, au-delà des mérites que personne, sinon des sots, ne peut contester, je voudrais ajouter qu'il n'est pas vrai du tout que Papa Montini était distant et donc incompris des gens.
Il avait une humanité extraordinaire qui pouvait être perçue par quiconque l'approchait. J'ai entendu de mes oreilles les petites soeurs qui criaient de leur voix aiguë: « Saint Père, nous t'aimons ! », tandis qu'il passait avec la sedia gestatoria et que les gens couraient pour l'accompagner et l'acclamer. Il est vrai, ce n'était pas les choeurs de stade des pontificats suivants, mais les gens criaient avec spontanéité et simplicité : « Viva il Papa ! ».

Ce fut Paul VI qui commença la pratique des audiences générales du mercredi : il n'y avait pas les foules d'aujourd'hui, naturellement ; mais, peut-être aussi à cause de cela, c'étaient des instants d'une intensité extraordinaire. Je me souviens que, lorsque j'étais étudiant de philosophie à l'Angelicum, comme nous n'avions pas cours le mercredi, quand je pouvais, j'allais à l'audience (à cette époque, c'était très facile d'accéder à la Salle Nervi), pour pouvoir écouter les très belles catéchèses de Paul VI. En plus des contenus, toujours clairs et profonds, c'était un plaisir de l'écouter : il soignait même la forme, choisissait les mots adaptés, les prononçait avec le coeur.
Déjà, le coeur de Paul VI… « si le monde savait le coeur qu'il a, beaucoup le louent mais davantage le loueraient ». Mgr Lefebvre en savait quelque chose, qui fut reçu et embrassé paternellement par Papa Montini.

Cela ne signifie pas que j'acceptais tout de Paul VI. Très souvent je le critiquais, parce que je ne comprenais pas certaines ses attitudes. Par exemple, je n'ai jamais partagé son Ostpolitik. En ce moment, il est beaucoup question de l'accord secret avec l'Union soviétique, pourquoi on n'a pas parlé de communisme au Concile. Il a été justement fait remarqué qu'il s'agissait d'un accord précédent, souscrit par Jean XIII; mais de toute façon Papa Montini porta en avant cette politique de compromis avec le communisme, que personnellement je n'ai jamais partagé.
L'instant de plus grand désaccord fut lorsque Paul VI « s'agenouilla » devant les Brigades Rouges, un geste loué par tous à ce moment, mais que je n'ai jamais compris. Mais ces incompréhensions font partie de la vie et elles n'enlèvent rien à l'estime et à l'affection qui me liaient et me lient toujours à lui.
Je m'en aperçus lorsqu'il mourut : j'éprouvai les mêmes sentiments que j'avais expérimenté l'année précédente, à la mort de mon père. Et je pleurai. Et je crois que je n'ai pas été le seul.

Paul VI pour moi n'est pas seulement un grand Pape; il n'est pas seulement un saint et un docteur de l'Église. Il est un père.

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