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Le cardinal Sarah au culte divin

C'est à un africain qu'il va revenir de mettre de l'ordre dans la liturgie... Réflexion de Mgr Nicolas Bux, Consultant de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements (30/11/2014)

On avait beaucoup parlé, et depuis des mois, au Culte divin de Mgr Piero Marini, sans doute pour jouer à se faire peur, car l'âge du "candidat" (né en 1942) rendait cette hypothèse assez improbable, compte tenu des nouvelles dispositions établies par le décret du 5 novembre dernier Rescriptum ex audientia Ss.mi pour la démission des évêques diocésains "et des titulaires d'office de nomination pontificale" - qui n'auraient laissé au prélat que trois ans d'activité.
Sans compter que cette nomination aurait fait l'effet d'une "claque" aux traditionalistes, et d'un camouflet à Benoît XVI - le tout très inopportun juste en CE moment où l'Eglise a suffisamment de motifs de se sentir déchirée.
En nommant le cardinal guinéen Robert Sarah, un peu plus jeune que Marini (il est né en 1945), une personnalité respectée par "l'aile droite", de surcroît un africain (on se souvient du rôle des évêques africains lors du récent Synode, et surtout du dérapage du cardinal Kasper), François, qui n'a de toute façon témoigné jusqu'à présent qu'un faible intérêt pour la liturgie, a donc très habilement joué.

Les questions de politique ecclésiale mises à part, restent les défis auquel le cardinal nouvellement nommé va devoir faire face.
Anna a traduit une article de la Bussola, dans lequel Mgr Bux fait le point (il en a été question à plusieurs reprises sur ce site, voir ici: http://tinyurl.com/psceagt ).

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Voici un petit article, publié sur la BQ le 26 - une courte présentation des tâches qui attendent le Card. Sarah, écrite par un prélat italien, Nicola Bux.
Il s'agit d'un liturgiste très compétent et passionné, ami de Benoît XVI et du Card. Burke; il a écrit un très beau petit livre au titre provocateur "Comment aller à la messe et ne pas perdre la foi" , épuisé en italien, mais traduit en français aux éditions Artège avec le titre "La foi au risque des liturgies", 2011. Si le sujet vous intéresse, je vous le conseille vivement, il est passionnant.
Benoît l'avait nommé en 2008 consultant au Bureau des Célébrations liturgiques du Souverain Pontife, j'ignore s'il l'est encore, et s'il est écouté par François.
(Anna)

     

QUAND C'EST A UN AFRICAIN DE REMETTRE DE L'ORDRE DANS LA LITURGIE
Nicola Bux (*)
http://www.lanuovabq.it
Traduction d'Anna.

Lundi 24 novembre le pape a nommé le nouveau Préfet de la Congrégation du Culte Divin. Il s'agit du Cardinal Robert Sarah, originaire de la Guinée Conakry, jusqu'ici président du Conseil Pontifical Cor Unum, et, avant, secrétaire de la Congrégation pour l'Evangélisation des Peuples (Propaganda Fide). Le cardinal Sarah a aussi été protagoniste du récent Synode extraordinaire sur la famille, prenant position contre les propositions du cardinal Kasper en matière d'admission des divorcés remariés à l'Eucharistie. Il remplace le cardinal Antonio Canizares.
Afin de comprendre la tâche et les défis qui attendent le cardinal Sarah nous avons demandé l'avis d'un liturgiste connu, don Nicola Bux.

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L'homme qui prie est l'homme par excellence: c'est l'acte suprême d'auto-conscience de la foi. Le culte est l'acte le plus grand qu'il puisse accomplir, car il le relie à son origine, à celui qui est le créateur et le sauveur de l'homme.

Mais le culte catholique souffre actuellement du déséquilibre entre la forme communautaire, qui a crû démesurément après le Concile, et la forme personnelle, annihilée précisément par l'excessif communautarisme qui tue la participation fervente. C'est un des problèmes que le cardinal Sarah, nouveau Préfet de la Congrégation du Culte Divin, devrait affronter. La forme communautaire exprime en effet la communion, qui n'est pas une fusion: l'autre reste un autre, n'est pas absorbé ni diminué, en analogie avec le mystère de la Trinité; un seul Dieu, une seule nature divine, mais trois personnes dans le même temps.

Surtout, le culte sert à faire rencontrer Dieu avec l'homme: c'est sa mission, il sert à introduire l'homme dans la Présence divine: aujourd'hui, en ce temps de déchristianisation, cela n'est plus évident.
Présence évoque une chose dont je m'approche, presque à la toucher, mais qui me dépasse, car je suis un pécheur. Alors la réaction de Pierre se déclenche: "Eloigne-toi de moi, car je suis un pécheur". Présence évoque ce qui est "sacré": la liturgie est sacrée, en raison de la Présence divine. Ce "sacré" paraît s'être effondré, emportant aussi l'Eglise dans la crise, comme l'écrivit Benoît XVI.

Ainsi, de nombreux catholiques, surtout les jeunes, s'évadent petit à petit des "liturgies-spectacles" - litur-tainment les appellent-ils en Amérique, où le prêtre imite le présentateur de la télévision - et s'en vont rechercher le mystère dans le majestueux rite byzantin ou dans le sobre rite romain ancien. De nombreux évêques commencent à s'apercevoir de ce phénomène. C'est un nouveau mouvement liturgique, dans l'actuel passage de génération. Heureux celui qui s'en sera aperçu à temps!
De tout cela, la Congrégation pour le Culte Divin doit tenir compte.

Toutefois, cette Congrégation est aussi préposée à la "discipline des sacrements". On touche ici un point sensible, c'est à dire l'indiscipline répandue, le manque de fidélité au rite, qui peut aussi toucher la validité même des sacrements (voir Jean-Paul II, lettre apostolique Vicesimus Quintus Annus, 1988), invalidant à travers la liturgie les droits de Dieu, et aussi des fidèles. Dans la liturgie, le rite sert en effet de médiateur entre la foi et la doctrine: par preces et ritus, affirme la Constitution liturgique Sacrosanctum Concilium (n.48) [1]. La fidélité aux rites et aux textes authentiques de la liturgie est une exigence de la lex orandi qui doit être conforme à la lex credendi. Le rite, enfin, rythme le temps de la musique et structure l'espace de l'art, les rendant capables de communiquer à l'homme le "sacré", c'est pourquoi [la musique et l'art] possèdent une dimension apostolique, missionnaire et apologétique.
Le cardinal Sarah, qui a été secrétaire de Propaganda Fide, le sait bien.
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(*) Consultant de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements

     

[*] Note sur Sacrasanctum Concilium

48. Itaque Ecclesia sollicitas curas eo intendit ne christifideles huic fidei mysterio tamquam extranei vel muti spectatores intersint, sed per ritus et preces id bene intellegentes, sacram actionem conscie, pie et actuose participent, verbo Dei instituantur, mensa Corporis Domini reficiantur, gratias Deo agant, immaculatam hostiam, non tantum per sacerdotis manus, sed etiam una cum ipso offerentes, seipsos offerre discant, et de die in diem consummentur, Christo Mediatore, in unitatem cum Deo et inter se, ut sit tandem Deus omnia in omnibus.

48 Aussi l’Église se soucie-t-elle d’obtenir que les fidèles n’assistent pas à ce mystère de la foi comme des spectateurs étrangers et muets, mais que, le comprenant bien dans ses rites et ses prières, ils participent de façon consciente, pieuse et active à l’action sacrée, soient formés par la Parole de Dieu, se restaurent à la table du Corps du Seigneur, rendent grâces à Dieu ; qu’offrant la victime sans tache, non seulement par les mains du prêtre, mais aussi en union avec lui, ils apprennent à s’offrir eux-mêmes et, de jour en jour, soient consommés, par la médiation du Christ, dans l’unité avec Dieu et entre eux pour que, finalement, Dieu soit tout en tous.