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Document: le cardinal Biffi sur l'immigration

Un discours iconoclaste de septembre 2000, qui revient en plein dans l'actualité, et se révèle prophétique

>>> Avis aux "monsignori" bien-pensants

« Celui qui vient chez nous doit savoir dès le début qu’il lui sera demandé, comme contrepartie nécessaire de l’hospitalité, le respect de toutes les règles de vie en commun qui sont en vigueur chez nous, y compris les lois fiscales.(…) Autrement, on ne ferait que susciter et favoriser de pernicieuses crises de rejet, des comportements aveugles de xénophobie et l’apparition de déplorables intolérances raciales ».
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« J’estime quant à moi que l’Europe redeviendra chrétienne ou deviendra musulmane. Ce qui me paraît sans avenir, c’est la "culture du néant", de la liberté sans limites et sans contenu, du scepticisme vanté comme une conquête intellectuelle ; culture qui semble être l’attitude largement dominante dans les peuples européens, tous plus ou moins riches de moyens, mais pauvres de vérité. »

En septembre 2000, lors d'un séminaire de la Fondation Migrants, le Cardinal Biffi, alors archevêque de Bologne, et que mes lecteurs ont souvent rencontré, avait tenu des propos jugés incendiaires sur l'immigration, qui lui avaient valu une volée de bois vert de la part de l'ensemble des medias.
Son exposé se trouve en italien sur le site de Sandro Magister; et il a été reproduits en français sur plusieurs sites, mais pas correctement daté (en 2004), et sans créditer l'auteur de la traduction (que j'ignore donc).
Les propos du cardinal Biffi étaient en fait tout simplement réalistes, pleins d'humanité et de bon sens. Ils avaient été commentés par le cardinal Ratzinger, en des termes qui laissaient supposer que ce dernier les approuvait.

Le cardinal Biffi a souligné qu'il existe aujourd'hui une migration de populations, mais il est clair qu'un gouvernement, même le plus ouvert, ne peut accepter indéfiniment tous les immigrés.
Il faut donc distinguer ceux qui peuvent arriver, et les autres. Selon quel critère? C'était la question du cardinal Biffi.
A partir du moment où des choix sont inévitables, il faut accueillir en premier lieu - en vue de la paix civile de notre société européenne - les groupes qui sont les mieux intégrables, les plus proches de notre culture. S'il se manifeste une incompatibilité de culture, une incompréhension, c'est toute la société qui en est bouleversée. Et cela ne sert personne, pas même aux immigrés musulmans. Définir les critères qui permettent l'unité d'un pays, et préservent la paix sociale, c'est l'intérêt de tous.
("Dizionario di Papa Ratzinger", Marco Tosatti, ed Baldini Castoldi Dalai, 2005. Tosatti ne donne malheureusement pas de référence)

Voici donc le texte du discours du cardinal Biffi (traduction indéterminée).
A quinze ans de distance, il n'a pas pris une ride!

Le cardinal Biffi et l'immigration

Aujourd’hui en Italie, l’importance du thème de l’immigration devrait être évidente pour tous. Mais il me semble que jusqu’à présent l’on n’a pas accordé à ce problème l’attention pastorale qu’il mérite, et que l’on a manqué de réalisme dans la façon de l’évaluer et de l’affronter. Le phénomène se présente comme lourd et grave ; et les problèmes qui en découlent - pour la société civile comme pour la communauté chrétienne - comportent beaucoup d’aspects nouveaux, doublés de complications inédites, ayant un fort impact sur la vie de nos populations.

Sans aucun doute, il ne sert à rien de verser dans un alarmisme de principe. Mais il est tout aussi vain de donner dans une banalisation anxiolytique, et dans une minimisation qui suscite de faux espoirs. On ne peut pas non plus raisonnablement tabler sur une rapide sortie de l’état d’urgence : il est improbable que tout se résolve comme automatiquement, sans interventions positives, et que la tension se dissipe rapidement, comme un orage d’été, qui est ordinairement de courte durée et ne suscite pas de préoccupations sur le long terme.

Nous sommes en face d’une interpellation de l’histoire : il faut l’affronter, sans panique et sans superficialité -comme d’ailleurs tous les événements imprévus de la destinée humaine que l’on doit assumer, qu’on le veuille ou non. Dans le cas qui nous occupe, certes, les causes ont été étudiées et les divers aspects de l’événement analysés avec soin. Mais on ne peut pas non plus s’attarder trop dans les recherches et les analyses, sans jamais arriver à quelque mesure ponctuelle et, dans la mesure du possible, efficace, parce que les troubles et les souffrances dérivant de l’immigration sont déjà là.

Un phénomène qui a surpris l’Etat

Il faut reconnaître - et cela peut être une circonstance atténuante - que nous avons tous été pris par surprise.

L’Etat a été surpris. Il donne toujours l’impression d’être désemparé, et ne semble pas encore avoir retrouvé la capacité de gérer de façon rationnelle la situation, en fonction des règles fondamentales sans lesquelles il n’y a pas de vie commune ordonnée en société.

Les mesures qui sont prises au jour le jour sont hétérogènes et semblent même souvent contradictoires. Elles dénotent la carence de projet cohérent et, plus profondément, l’absence d’une interprétation correcte et réaliste de ce qui est en train de se produire. Nous ne voyons pas qu’il y ait de "lecture" suffisamment pénétrante des faits, pour suggérer, développer et soutenir une direction cohérente et sage de l’action à mener.

Un phénomène qui a aussi surpris la communauté ecclésiale

Les communautés chrétiennes ont également été surprises. Admirables dans beaucoup de cas par leur zèle à se prodiguer pour soulager les maux et les peines, elles restent dépourvues jusqu’à maintenant d’une vision qui ne reste pas abstraite ou sectorielle et qui soit assez unanime pour inspirer des évaluations de la situation et des entreprises opérationnelles, intégrant toutes les implications des événements et tous les aspects de la question.

L’exaltation dans l’abstrait de la solidarité et du primat de la charité évangélique – qui, en soi, est légitime en tant qu’elle rappelle un principe, et même représente un devoir – est une attitude plus généreuse et bien intentionnée que vraiment utile, si elle refuse de se mesurer à la complexité du problème et d’affronter la dure réalité des faits.

On a l’impression que le phénomène de l’immigration au cours de ces quinze dernières années - au cours desquelles il s’est amplifié et aggravé - n’a pas été suffisamment présent de façon explicite dans notre conscience de pasteurs, avec la vivante acuité qui devrait correspondre à sa gravité objective.

Nous avons eu à ce sujet deux longs documents : en 1990, la note pastorale de la Commission ecclésiale Justice et Paix intitulée "Hommes de cultures diverses : du conflit à la solidarité" ; et en 1993, les orientations pastorales de la Commission ecclésiale pour les migrations intitulées "J'’étais étranger et vous m’avez accueilli". Ces deux textes, très étendus et analytiques, sont, plus qu’autre chose (à bon droit d’ailleurs), des thèses de nature à construire et à diffuser dans la chrétienté une "culture de l’accueil".

Il manque cependant un peu de réalisme dans l’examen des difficultés et des problèmes.
Surtout l’importance de la mission évangélisatrice de l’Eglise à l’égard de tous les hommes, et donc aussi à l’égard de ceux qui viennent demeurer chez nous, ne semble pas avoir été mise suffisamment en relief.

Les souhaits du pasteur

Je voudrais maintenant étoffer mon salut cordial aux participants de ce séminaire, en exprimant simplement quelques souhaits. Ils naissent de la réflexion et du cœur d’un évêque, ils révèlent principalement ses soucis apostoliques et ils sont formulés dans le respect de ceux - spécialistes, agents sociaux, autorités publiques - qui sont concernés par la nécessité de donner une réponse rapide et suffisante au problème urgent qui attire ici notre attention.

Aux analyses et aux considérations de nature politique, économique, anthropologique, et culturelle des experts (et en leur prêtant l’attention qu’elles méritent), il ne devrait pas être inutile d’ajouter la perspective de celui qui - étant citoyen italien à part entière, il avance aussi ce titre original pour exposer son propre jugement - se sent surtout responsable du présent et de l’avenir du troupeau du Christ qui lui a été confié. Entre autres, il ne peut jamais oublier l’inquiétante question que le Seigneur Jésus a laissée sans réponse : "Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ?" (Lc 18, 8).

Les souhaits pour l’Etat et la société civile

Le souhait principal que nous croyons devoir formuler pour l’Etat et la société civile, est que certaines convictions préalables deviennent claires et soient communément accueillies, afin que le phénomène de l’immigration soit abordé sur la base d’une "culture" plausible et largement partagée.

Est incontestable, par exemple, le principe qu’à chaque peuple doivent être reconnus les espaces, les moyens, les conditions qui lui permettent, non seulement de survivre, mais aussi de vivre et de se développer selon ce qui est requis par la dignité humaine. On demande aux organismes internationaux de prendre en charge les initiatives propres à atteindre ce but et ils ne peuvent perdre de vue ce nécessaire idéal de justice distributive générale. Tout cela vaut aussi de façon proportionnée et selon les possibilités réelles pour les divers Etats.

Mais on ne peut en déduire – si on veut être vraiment "laïque" au-delà de tous les impératifs idéologiques – qu’une nation n’a pas le droit de contrôler et de régler l’afflux des gens qui veulent y entrer à tout prix. On peut encore moins en déduire qu’elle a le devoir d’ouvrir sans discernement ses propres frontières.

Il faut dire au contraire que tout projet viable d’insertion pacifique suppose et exige que les entrées soient surveillées et fassent l’objet de réglementations.

Entre autres, il est évident pour tous que les entrées arbitraires – quand elles ont la réputation d’être assez facilement réalisables – déterminent fatalement, d’une part le développement incontrôlé de la misère et du désespoir (et souvent de dangereuses apparitions d’intolérance et de rejet absolu des étrangers), d’autre part le développement d’une industrie criminelle qui exploite ceux qui aspirent à passer clandestinement les frontières.

Des projets d’ensemble réalistes

Ce que nous devons souhaiter à notre Etat et à la société italienne, c’est de parvenir rapidement à une sérieuse maîtrise de la situation, de façon à ce que l’arrivée massive d’étrangers dans notre pays soit disciplinée et guidée selon des projets concrets et réalistes d’insertion qui visent au vrai bien commun de tous, tant des nouveaux arrivés que de nos populations.

De tels projets doivent prendre en compte tant la possibilité d’un travail régulièrement rémunéré que la mise à disposition de logements décents non gratuits. Par cette voie, l’on pourra arriver en sécurité à faire prendre la "greffe" à l’intérieur de notre organisme social, sans discrimination ni privilège.

Celui qui vient chez nous doit savoir dès le début qu’il lui sera demandé, comme contrepartie nécessaire de l’hospitalité, le respect de toutes les règles de vie en commun qui sont en vigueur chez nous, y compris les lois fiscales.

Autrement, on ne ferait que susciter et favoriser de pernicieuses crises de rejet, des comportements aveugles de xénophobie et l’apparition de déplorables intolérances raciales.

Les critères de mise en oeuvre

La mise en oeuvre pratique de ces projets obéira nécessairement à des critères qui seront aussi économiques : l’Italie a besoin de forces de travail qu’elle ne réussit plus à trouver au sein de sa propre population.

A ce propos, tous devraient être désormais persuadés de l’absurdité de la politique poursuivie ces quarante dernières années, marquée par un terrorisme culturel antidémographique obsessionnel, et par l’absence de tout correctif législatif et politique qui puisse mettre un frein à cette dénatalité égoïste et stupide, qui place depuis longtemps l’Italie au sommet des statistiques mondiales. Tout ceci en dépit de l’exemple contraire donné par des nations d’Europe plus avisées, plus clairvoyantes, plus civilisées, qui n’ont pas hésité à prendre dans ce domaine des mesures intelligentes et réalistes.

La sauvegarde de l’identité nationale

Mais les critères dont on parle ne pourront être seulement économiques et inspirés par la prévoyance. Une introduction considérable d’étrangers dans notre péninsule est acceptable et peut même s’avérer bénéfique, à condition de s’occuper sérieusement de sauvegarder la véritable physionomie propre de notre nation. L’Italie n’est pas une lande déserte ou semi-habitée, sans histoire, sans traditions vivantes et vitales, sans physionomie culturelle et spirituelle propre, un pays que l’on pourrait peupler sans discernement, comme s’il n’avait pas un patrimoine typique d’humanisme et de civilisation qui ne doit pas être perdu.

Sous ce rapport, un Etat véritablement "laïque" - c’est-à-dire qui vise, non au triomphe de quelque idéologie, mais au vrai bien des hommes et des femmes sur lesquels il exerce son activité d’administration et de gouvernement, et qui veut leur préparer avec sagesse un avenir heureux -, un tel Etat devrait mettre au premier plan de ses préoccupations le souci de favoriser l’intégration pacifique (comme cela s’est déjà produit historiquement dans la rencontre entre les populations latines et les arrivants germaniques) ; ou tout au moins une coexistence non conflictuelle, c’est-à-dire une présence simultanée et une coexistence qui en tout état de cause ne conduisent pas à dilapider notre patrimoine ou à dénaturer notre identité spécifique.

Il faut pour cela œuvrer concrètement, afin que ceux qui entendent s’établir définitivement chez nous s’inculturent dans la réalité spirituelle, morale, juridique de notre pays, et soient mis en mesure de connaître au mieux les traditions littéraires, esthétiques, religieuses de cette portion d’humanité dont ils sont devenus partie prenante.

A cette fin, les conditions concrètes d’origine des immigrés ne sont pas également favorables, et les autorités ne doivent pas négliger cette donnée de la question.

Dans une perspective réaliste, on préférera (à égalité de conditions, surtout pour ce qui concerne l’honnêteté des intentions et la correction du comportement) les populations catholiques ou au moins chrétiennes, dont l’insertion est infiniment plus aisée (par exemple les Latino-Américains, les Philippins, les Erythréens, les habitants de nombreux pays d’Europe de l’Est, etc.) ; puis les Asiatiques (comme les Chinois et les Coréens), qui ont montré leur capacité à s’intégrer avec une bonne facilité, tout en conservant les traits distinctifs de leur culture. Cette ligne de conduite – étant "laïquement" motivée – ne doit pas se laisser conditionner ou décourager, même pas du fait des critiques éventuellement soulevées par le milieu ecclésiastique ou par les organisations catholiques.

Comme on le voit, on propose ici simplement le critère d’insertion le plus facile et le moins coûteux : un critère totalement et explicitement "laïque". Evoquer à son sujet les spectres du racisme, de la xénophobie, de la discrimination religieuse, de l’ingérence cléricale et, finalement, de la violation de la Constitution, relèverait d’un malentendu vraiment étonnant et singulier. Si un tel malentendu se produisait effectivement, il nous viendrait alors quelque doute sur la perspicacité des commentateurs et des hommes politiques italiens.

Le cas des musulmans

Si l’on ne veut pas éluder ou censurer cette perspective d’attention au réel, il est évident que le cas des musulmans doit être traité à part. Il faut espérer que les responsables de la chose publique ne craindront pas de l’affronter les yeux ouverts et sans illusions.
Les musulmans – dans l’immense majorité des cas, et à quelques exceptions près – arrivent chez nous résolus à rester étrangers à notre type d’"humanité" individuelle ou sociale, dans ce qu’il a de plus essentiel, de plus précieux ; étrangers à ce à quoi il nous est le plus impossible de renoncer "laïquement". Plus ou moins ouvertement, ils viennent chez nous bien décidés à rester substantiellement "différents", en attendant de nous faire devenir tous substantiellement comme eux.

Ils ont une forme d’alimentation différente (s’il n’y avait que cela, cela n’aurait guère d’importance), un jour férié différent, un droit de la famille incompatible avec le nôtre, une conception de la femme très éloignée de la nôtre, jusqu’à pratiquer la polygamie. Ils ont surtout une vision rigoureusement intégraliste de la vie publique, si bien que l’identification absolue entre religion et politique fait indubitablement partie de la foi à laquelle ils ne peuvent renoncer, même s’ils attendent prudemment pour la faire valoir d’être en situation de prépondérance. Ce n’est donc pas aux hommes d’Eglise, mais aux Etats occidentaux modernes qu’il importe de bien peser toutes les conséquences pour eux de cet état des choses.

On peut même ajouter une autre considération. Si notre Etat croit vraiment à l’importance des libertés civiles (parmi lesquelles la liberté religieuse) et aux principes démocratiques, il doit tout mettre en oeuvre pour qu’ils soient de plus en plus diffusés, accueillis et pratiqués sous toutes les latitudes. Un petit instrument pour atteindre ce but est celui de la demande d’une "réciprocité" qui ne soit pas seulement verbale, de la part des Etats d’origine des immigrés.

La Note de la Conférence épiscopale italienne de 1993 écrit à ce sujet :
"Dans différents pays musulmans, il est presque impossible d’adhérer au christianisme et de le pratiquer librement. Il n’existe pas de lieux de culte, on n’autorise pas de manifestations religieuses en dehors de l’Islam, ni d’organisations ecclésiales, pour minimes qu’elles soient. Cela pose le difficile problème de la réciprocité. C’est un problème qui n’intéresse pas seulement l’Eglise, mais aussi la société civile et politique, le monde de la culture et des relations internationales elles-mêmes. De son côté, le pape, infatigablement, demande à tous le respect du droit fondamental à la liberté religieuse" (n° 34).

Mais, nous l’affirmons, demander est peu efficace, même si le pape ne peut guère faire plus.

Même si cela peut paraître étrange à notre mentalité, voire paradoxal, le seul mode efficace et non velléitaire de promouvoir le principe de réciprocité, pour un Etat vraiment "laïque" et vraiment intéressé par la diffusion des libertés humaines, serait d’autoriser en Italie pour les musulmans, en ce qui concerne les institutions, seulement ce qui, dans les pays musulmans, est effectivement accordé aux autres.

Le catholicisme, religion nationale historique

Quant aux rapports à entretenir avec les différentes religions qui sont présentes parmi nous en conséquence de l’immigration, il sera bien que personne n’ignore ou n’oublie que le catholicisme - qui indiscutablement n’est plus la religion officielle de l’Etat - reste néanmoins la religion historique de la nation italienne, la source principale de son identité, l’inspiration déterminante de nos grandeurs les plus véritables.

Il est donc tout à fait incongru de l’assimiler socialement aux autres formes religieuses ou culturelles. A celles-ci devra être assurée une pleine et authentique liberté d’exister et d’œuvrer, mais sans que ceci comporte un nivellement contre nature ou même une annihilation des plus hautes valeurs de notre civilisation.

Il faut dire également que c’est une singulière vision de la démocratie que de faire coïncider le respect des individus et des minorités avec le non-respect de la majorité et l’élimination de ce qui est acquis et traditionnel dans une communauté humaine. Nous devons malheureusement signaler ici que cette conception est de plus en plus répandue ; c’est une "intolérance substantielle", par exemple quand sont abolis dans les écoles les signes et usages catholiques à cause de la présence de quelques personnes d’autres croyances.

Aux communautés ecclésiales

Que dirons-nous d’éclairant et de pratique aux communautés chrétiennes, qui en vérité en ces temps n’ont pas les idées bien claires et sont affligées de beaucoup d’incertitudes de comportement ?

En premier lieu, il doit être clair pour tous que ce n’est pas de soi la tâche de l’Eglise de résoudre tous les problèmes sociaux que l’histoire nous présente tour à tour. Nos communautés et nos fidèles ne doivent donc pas nourrir des complexes de culpabilité à cause des problèmes, même d’une impérieuse urgence, qu’ils n’arrivent pas à régler avec leurs propres forces. Le fait de croire que les associations ecclésiales et les catholiques puissent être rendus responsables de tout constituerait une sorte d’"intégralisme" implicite, mais cependant intolérable et grave.

Quelquefois, les malentendus sont involontairement favorisés par les autorités publiques qui, quand elles ne savent pas sur quel pied danser, font appel à nos suppléances et fatalement nous impliquent (en reconnaissant ainsi implicitement que les organisations ecclésiales sont parmi celles qui réussissent encore à fonctionner en Italie).

L’annonce de l’Evangile et l’observance de la charité

Le devoir premier et incontournable des communautés ecclésiales est l’annonce de l’Evangile et l’observance du commandement de l’amour. Face à un homme en difficulté quelles que soient sa race, sa culture, sa religion, la légalité de sa présence, les disciples de Jésus ont le devoir de l’aimer, d’un amour qui se traduit par des actes, et de l’aider dans la mesure de leurs possibilités concrètes.

Le Seigneur nous demandera compte de l’authenticité et de l’ampleur de notre charité et nous demandera si nous avons fait tout notre possible. Sur ceci cependant – il serait bon que personne ne l’oublie – nous aurons à rendre des comptes, non aux autres, mais seulement au Seigneur.

Le caractère irremplaçable de l’évangélisation

Faire connaître explicitement Jésus de Nazareth, le Fils de Dieu mort pour nous et ressuscité, aujourd’hui vivant et Seigneur de l’univers, unique Sauveur de tous, est un devoir de l’Eglise catholique, inscrit dans sa nature même, et une tâche pour tout baptisé.

Une telle mission peut être aidée, mais non remplacée, par l’activité d’assistance que nous réussirons à offrir à nos frères. Cela suppose que nous ayons une disposition au dialogue sincère, ouvert, respectueux avec tous, mais cela ne peut se réduire au seul dialogue. Cette mission est favorisée par la connaissance objective des positions d’autrui, mais elle s’affirme seulement dans la connaissance du Christ que nous réussissons à porter à nos frères qui malheureusement n’en sont pas encore gratifiés.

En outre, l’action évangélisatrice est de nature universelle et ne tolère pas l’exclusion délibérée de certains destinataires. Le Seigneur ne nous a pas dit : "Prêchez l’Evangile à toutes les créatures, sauf aux musulmans, aux juifs et au Dalaï Lama" (cf. Mc 16, 15). Celui qui nous contesterait la légitimité ou même seulement l’opportunité de cette annonce au caractère illimité et impératif, pécherait par intolérance à notre égard : il nous interdirait en effet d’être ce que nous sommes, c’est-à-dire chrétiens, c’est-à-dire obéissants à la claire et explicite volonté du Christ.

Il est très important que tous les catholiques se rendent compte de cette responsabilité qu’ils ne sauraient décliner. Pour être de bons évangélisateurs, persuadés en eux-mêmes et persuasifs auprès des autres, ils doivent toujours croître dans l’intelligence et la joyeuse admiration des immenses trésors de vérité, de sagesse, d’espérance consolatrice qu’ils ont la chance de posséder. C’est l’effusion surhumaine, et même divinisante, d’une lumière qui est absolument incomparable avec les lueurs néanmoins précieuses offertes par les diverses religions et par l’Islam. Nous sommes appelés à la proposer passionnément et infatigablement à tous les fils d’Adam.

Une approche différenciée de façon réaliste

Les communautés chrétiennes – en fonction d’une approche sage et réaliste du phénomène de l’immigration – ne peuvent pas ne pas évaluer attentivement les personnes et les groupes, afin d’adopter ensuite les comportements les plus pertinents et les plus opportuns.

Aux immigrés catholiques – quelles que soient leur langue et leur couleur de peau – il faut faire sentir de la façon la plus efficace qu’à l’intérieur de l’Eglise il n’y a pas d’étrangers : ils font partie de plein droit de notre famille de croyants, et sont accueillis dans un esprit de fraternité sincère.

Quand ils sont présents en nombre important et en groupes homogènes considérables, ils seront sincèrement encouragés à conserver leur tradition catholique typique, qui sera objet d’affectueuse attention de la part de tous. La coexistence de ces diverses "formes" de vie ecclésiale et de culte authentique constituera sans aucun doute un enrichissement spirituel pour la chrétienté entière.

Aux chrétiens des anciennes Eglises orientales, qui ne sont pas encore en pleine communion avec le Siège de Pierre, nous exprimerons sympathie et respect. En conformité avec les éventuels accords généraux et selon l’opportunité, nous pourrons leur faciliter aussi l’usage de certaines de nos églises pour leurs célébrations.

Ceux qui appartiennent aux religions non chrétiennes seront aimés et, dans toute la mesure possible, aidés dans leurs nécessités. De certains d’entre eux - notamment des musulmans - nous pouvons apprendre la fidélité aux exercices rituels et aux temps de prière, mais il ne nous revient pas d’accorder une collaboration positive à leur pratique religieuse.

A ce propos, il est utile de rappeler les mesures de la note de la Conférence épiscopale italienne de 1993 déjà citée : "Les communautés chrétiennes, pour éviter d’inutiles méprises et des confusions dangereuses, ne doivent pas mettre à disposition, pour des réunions religieuses de croyances non chrétiennes, des églises, chapelles et locaux réservés au culte catholique, pas plus que des locaux destinés aux activités paroissiales" (n° 34).

La complexité de cette problématique le fera aisément comprendre, il n’est pas admissible qu’elle soit prise en charge in toto par la Caritas italienne, qui a un champ bien délimité d’appréciation et d’intérêt. Quant aux questions de l’évangélisation, de l’identité chrétienne de notre peuple, des difficultés pastorales concrètes – et donc de l’immigration dans son ensemble –, elles ne devraient être confiées à aucun organisme ecclésial particulier.

Conclusion

Dans une interview, il y a une dizaine d’années, on m’avait demandé avec beaucoup de candeur et un optimisme admirable: "Vous soutenez donc que l’Europe sera chrétienne ou ne sera pas ?" Il me semble que ma réponse d’alors peut servir à la conclusion de mon entretien d’aujourd’hui.

J’estime quant à moi, disais-je, que l’Europe redeviendra chrétienne ou deviendra musulmane. Ce qui me paraît sans avenir, c’est la "culture du néant", de la liberté sans limites et sans contenu, du scepticisme vanté comme une conquête intellectuelle ; culture qui semble être l’attitude largement dominante dans les peuples européenss, tous plus ou moins riches de moyens, mais pauvres de vérité.

Cette "culture du néant", qui est soutenue par l’hédonisme et par un esprit libertaire insatiable, ne sera pas en mesure de résister à l’assaut idéologique de l’Islam. Seule la redécouverte de l’événement chrétien comme unique voie de salut pour l’homme, et donc seule une résurrection décidée de l’antique âme de l’Europe, pourra donner une autre issue à cette confrontation inévitable.

Malheureusement, ni les "laïques" ni les "catholiques" ne semblent s’être encore rendu compte du drame qui se profile. Les "laïques", en s’opposant de toutes les façons à l’Eglise, ne s’aperçoivent pas qu’ils combattent la force la plus efficace pour défendre la civilisation occidentale et ses valeurs de rationalité et de liberté. Ils pourraient s’en apercevoir trop tard. Les "catholiques", en laissant s’estomper en eux la conscience de la vérité possédée, et en substituant au souci apostolique le pur et simple dialogue à tout prix, préparent inconsciemment (humainement parlant) leur propre disparition.

L’espérance réside en ceci : que la gravité de la situation puisse un jour inciter à un réveil efficace de la raison et de la foi antique.

C’est notre souhait, notre engagement et notre prière.

Giacomo, cardinal Biffi"

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