Cuba : l'envers du décor (2)

Peu avant que François s'envole vers Cuba, Giuseppe Rusconi a interviewé la veuve d'Oswaldo Payà, un militant catholique mort en 2012 dans des circonstances suspectes

>>> Cuba : l'envers du décor

>>> Sur Oswaldo Payà, voir ici: fr.wikipedia.org/wiki
"Benoît XVI a qualifié, dans un télégramme, la mort d'Oswaldo Payá de «perte irréparable» pour le peuple cubain qui perd là un de ses défenseurs".

 

Interview d'Ofelia Acedevo, veuve Payà

17 septembre 2015
Giuseppe Rusconi
Rossoporpora
Traduction par Anna

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À la veille de la visite du Pape à Cuba, Ofelia Acevedo, veuve d'Oswaldo Payá, leader catholique cubain à la tête du Movimiento Cristiano de Liberacion, mort dans un accident très suspect le 22 juillet 2012, nous parle.
Dans l'île, les plus élémentaires droits de liberté, même religieuse, continuent d'être absents. Le Pape François, qui a reçu le 14 mai 2014 la famille Payá en audience privée, connaît bien la situation.
Des critiques au comportement hostile envers les dissidents de la part du cardinal Ortega.


En relation avec le voyage apostolique du pape François à Cuba nous (..) donnons aujourd'hui la parole à Ofelia Acevedo, veuve du leader catholique cubain Oswaldo Payá, fondateur en 1987 du "Movimiento Cristiano de Liberacion", décédé dans un accident de voiture très suspect le 22 juillet 2012 à plus de 700 kilomètres de La Havane, près de la ville de Bayamo. Le nom d'Oswaldo Payà est aussi lié au "Proyecto Varela" pour l'obtention des libertés fondamentales et le droit du peuple cubain à décider de son propre avenir par un référendum: les 10 mille signatures nécessaires, et plus, furent remises au Parlement cubain en 2002 et 14 mille supplémentaires s'y ajoutèrent en décembre 2003, en dépit de la répression mise en oeuvre par le gouvernement castriste. Ofelia Acevedo a dû s'expatrier en juin 2013 à Miami avec sa famille, à cause des menaces continuelles de la police qui rendaient sa vie quotidienne dans l'île insoutenable.

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Madame Ofelia, quels ont été votre réaction et vos sentiments à l'annonce de la visite du pape François à Cuba?

Quand je l'ai su, ma première réaction a été de surprise, et puis d'allégresse. Surprise parce que trois visites de papes en 17 ans à une même Église sont un privilège. Allégresse, parce que le pape François s'est identifié d'une manière particulière avec les pauvres, les exclus, les persécutés. Ces catégories représentent la majorité de mon peuple. Elles attendent le message d'encouragement et d'espoir du pape François qui les stimulera à se lever et à s'engager sur la voie, à être protagonistes de leur histoire, en trouvant en Jésus Christ, le grand restaurateur de la pleine dignité de l'homme, la force pour le faire.

Y a-t-il eu quelques changements positifs pour le peuple cubain après l'annonce de la visite papale? Y a-t-il aujourd'hui plus de liberté religieuse dans l'île?

Après l'annonce et jusqu'ici il n'y a eu aucun changement positif pour le peuple cubain. L'absence de liberté maintient les cubains dans la pauvreté, au delà de la situation d'injustice due à l'absence de droit qui a provoqué des dégâts immenses. La situation est en ce moment la même. À Cuba il n'y a pas de liberté religieuse. Il y a le Bureau des Affaires Religieuses du Comité Central du Parti communiste (le seul parti politique reconnu à Cuba) lié à la Sécurité de l'État (la Seguridad), qui se charge de surveiller, intervenir, confisquer, perquisitionner, convaincre et menacer tout membre de l'Église dont les opinions ou les comportements déplaisent au gouvernement des Castro. Ceux-ci ont la compétence et la permission d'intervenir et contrôler à chaque moment tout aspect de la vie ecclésiale à Cuba qui ne satisfait pas le Gouvernement. Par ailleurs, l'Église n'a pas accès au médias, les familles ne peuvent pas choisir une éducation chrétienne pour leurs enfants, car elle n'existe pas. L'actuel responsable du Bureau des Affaires Religieuses du Parti communiste a précisé, en vue de la prochaine visite du Pape, que l'éducation religieuse a été éliminée par la Révolution.

Les précédentes visites du pape Wojtyla et du pape Ratzinger avaient-elles eu des répercussions positives pour l'Église cubaine?

Les précédentes visites papales de 1998 et de 2012, bien que différentes à plusieurs égards, ont représenté une marque importante de fraternité avec l'Église, qui est pèlerine à Cuba. Aussi bien les messages de Saint Jean-Paul II que ceux de Benoît XVI furent accueillis avec une gratitude infinie par les cubains qui ont pu les écouter. La hiérarchie de l'Église a eu des répercussions positives du fait que le Gouvernement, après les visites, a permis la venue à Cuba de quelques prêtres et l'acquisition de quelques moyens techniques et voitures nécessaires à l'activité pastorale de l'Église. Voire la restitution de vieux immeubles qui avaient été des églises et des écoles, confisquées à l'Église pendant les premières années du Gouvernement castriste, alors qu'elles étaient maintenues en parfait état, avec toutes les ressources nécessaires; elles furent toutefois restituées vides et en ruine, ou totalement détruites. Je ne connais pas d'autres conséquences positives visibles.

Le Gouvernement a annoncé l'amnistie de 3522 prisonniers lors de la visite du pape François. Aussi des prisonniers politiques?

Le Gouvernement a annoncé l'amnistie de plus de 3500 prisonniers, mais à ce jour il n'y a pas parmi eux de prisonniers politiques et jusqu'ici aucune amnistie pour aucun prisonnier ne s'est concrétisée non plus. Le Gouvernement des Castro utilise les personnes comme monnaie d'échange. Habituellement, lorsqu'il libère des prisonniers, il les libère avec sursis ou les expulse du Pays.

Madame Ofelia, le 14 mai [2014] vous avez été reçue en audience avec vos enfants par le pape François. Croyez-vous que le Pape soit bien informé au sujet de l'actuelle situation à Cuba?

Ma famille et moi avons eu l'honneur et la bénédiction d'être reçus par Sa Sainteté le pape François en audience privée. Nous avons parlé avec lui des condition pénibles où vit l'immense majorité des cubains, nous avons parlé de j'église pèlerine de Cuba dont nous faisons partie et que nous aimons intimement. Et aussi de l'attentat du 22 avril 2012 contre la voiture où voyageait mon mari, du fait des agents de la Seguridad de l'État. L'attentat a provoqué la mort de mon mari Oswaldo Payá et celle du jeune Harold Cepero. Nous avons dit au Pape notre intention de promouvoir une enquête indépendante pour clarifier les circonstances de ce qui s'est passé. Je crois que le pape connaît la situation réelle dans laquelle vivent les cubains: il est bien informé et a fait référence à plusieurs reprises aux souffrances du peuple cubain.

Croyez-vous que le Pape pourra rencontrer quelques dissidents cubain?

Le Pape, s'il le veut, pourra rencontrer les dissidents cubains.

Le comportement du cardinal de La Havane Jaime Ortega y Alamino à l'égard des dissidents est depuis longtemps critiqué par l'opposition non seulement catholique. De l'indignation a été suscitée par exemple par le fait que, dans une interview du 5 juin à la chaîne espagnole Cadena Ser, il a nié la présence de prisonniers politiques dans l'île…

Malheureusement le cardinal a à plusieurs reprises adopté avec les dissidents un comportement analogue à celui adopté avec eux par les agents de la Seguridad: excluant et offensant.

Si votre mari Oswaldo Payá, leader du Movimiento Cristiano de Liberacion, était encore vivant, qu'aurait-il tenté de dire au Pape?

Il est difficile [de penser] que mon mari aurait pu avoir l'opportunité d'arriver près du Pape pendant la visite. Dans les deux occasions précédentes il avait demandé aux autorités ecclésiales de pouvoir rencontrer Jean-Paul II et Benoît XVI, mais cela ne fut jamais possible. Nous présumons que c'était quelque chose qui pour le Gouvernement cubain ne devait pas se produire.
Je suis convaincue que si Oswaldo avait pu parler au Pape il ne lui aurait posé aucune question, mais lui aurait dit: ""Je voudrais écouter Votre parole avec un cœur ouvert et plein d'espérance".

Y a-t-il quelques nouveautés au niveau cubain ou international au sujet de la mort de votre mari (et de Harold Cepero, leader des jeunes du Movimiento Cristiano de Liberacion) suite à un accident de voiture très suspect survenu le 22 juillet 2012?

Avant même d'apprendre que mon mari était mort, le monde entier savait que ce qui était arrivé avait été provoqué, après que les survivants aient envoyé des messages d'appel à l'aide qui avaient été publiés, et qui disaient qu'ils étaient entourés de militaires et qu'ils avaient été jetés hors de la chaussée par une autre voiture. Le fait nouveau dans cette histoire est le rapport légal sur l'affaire: il a été publié par l'équipe juridique de Human Right Foundation pour le troisième anniversaire de l'attentat, il y a deux mois par l'Université de Georgetown à Washington DC. Le rapport fait la liste de toutes les violations jusqu'ici prouvées accomplies par les autorités cubaines et conclut que ce qui est arrivé produit ne fut pas un simple accident.

L'hostilité manifestée par la nouvelle Ambassade cubaine à Washington n'est malheureusement pas nouvelle, elle a refusé de recevoir la lettre que j'ai écrite au Ministère de la Santé publique de Cuba demandant le rapport de l'autopsie faite à mon mari Oswaldo Payá. Lorsque ma fille Rosa Maria, a tenté le 21 juillet dernier de remettre la lettre à l'Ambassade de Cuba à Washington, le personnel ne l'a pas laissée entrer, n'a non plus accepté la lettre et a appelé la police. Voilà la réponse donnée par les Représentants du Gouvernement cubain. Je veux savoir quelles ont été les blessures qui ont provoqué la mort de mon mari: j'en ai le droit.