Et si Rome était l'objectif ultime?

Cet article de Roberto de Mattei n'a pas été écrit APRÈS les attentats du 13 novembre à Paris, mais est paru dans le numéro d'Octobre de la revue "Radici Cristiane"

 

La logorrhée annoncée il y a trois jours (cf. Ratisbonne: les paroles d'un prophète et Le temps de la mire...) se confirme et prend une ampleur qui dépasse presque l'opération de sidération planétaire de janvier dernier: l'auditeur-téléspectateur-lecteur-internaute est submergé par un flot incessant d'images, d'informations et de commentaires (laissant soigneusement de côté ceux qui ne sont pas dans la ligne admise), et l'esprit humain étant ce qu'il est, c'est-à-dire limité, se trouve à un certain moment dans l'incapacité de gérer ce flux, avec pour résultat une confusion qui sert les plans de ceux qui sont à la manoeuvre - je ne prétends d'ailleurs pas savoir qui ils sont, et de toute façon, c'est vraisemblablement un enchevêtrement d'intérêts momentanément convergents - alliés objectifs, au sens marxiste du terme.
Il est donc souhaitable de prendre du recul. En commençant peut-être par couper la source de l'information.

Ce commentaire de Roberto de Mattei ne prend pas à proprement parler du recul, puisqu'il a été écrit bien avant les derniers évènements; mais il prend de la hauteur.
Alors que les interprétations qui tournent en boucle via les médias sont politiques, géopolitiques, sociologiques, psychologiques (et globalement dépassées dès qu'elles ont franchi la bouche de leur auteur), il donne des évènements en cours une lecture eschatologique, qui bien sûr en fera ricaner plus d'un - en particulier cette génération nihiliste qui ne croit plus en rien, cultive comme valeur suprême la dérision de tout ce qui est sacré, et que, symboliquement, les djihadistes ont cruellement frappée au Bataclan.

La question qui est posée dans le titre que j'ai donné à cet article résonne par ailleurs de façon particulièrement dramatique en ce moment où le katechon (Benoît XVI) a "sauté", et où le Pape actuel donne - au minimum - l'impression de ne pas vouloir défendre la chrétienté (on m'ojectera: ou ce qu'il en reste... et c'est vrai qu'on peut se poser aussi la question: le mérite-t-elle?).

Troisième Guerre mondiale

Roberto de Mattei
Publié sur Radici Cristiane, n.108, octobre 2015

Ma traduction


Le Pape François, de retour de son voyage en Corée le 8 Août de l'année dernière, a affirmé que «nous sommes déjà entrés dans la troisième guerre mondiale, sauf que l'on se bat par morceaux, par chapitres».

Guerre mondiale signifie guerre étendue à tout le globe, à laquelle aucune nation, aucun peuple ne peut échapper. Mais il s'agit d'une guerre morcelée, fragmentée, parce que ses acteurs ne sont pas seulement les États, les superpuissances, comme au temps de la guerre froide. A l'époque, guerre mondiale signifiait menace d'une guerre nucléaire entre les Etats-Unis et la Russie: une guerre entre deux colosses qui aurait inévitablement entraîné avec elle des nations plus petites, qui gravitaient dans l'une ou l'autre des zones d'influence. Aujourd'hui, aucune des deux superpuissances n'a le pouvoir d'alors.

L'Empire soviétique s'est émietté, mais l'empire américain lui aussi connaît une phase de crise. Le déclin de l'empire américain a symboliquement commencé en 2001, lorsque l'effondrement des Twin Towers en a montré la vulnérabilité, mais la crise a explosé après les guerres d'Afghanistan et d'Irak. Ces guerres étaient des guerres manquées, surtout parce que ce sont des guerres qui n'ont pas été gagnées, et les guerres qui ne sont pas gagnés, pour une puissance à prétentions impériales, doivent être considérés comme des guerres perdues.

Mais l'Europe aussi a perdu sa guerre: celle de Libye en 2011. Kadhafi a été abattu, la Libye a été précipitée dans le chaos et l'Isis a atteint un avant-poste à Syrte. Un énorme cratère volcanique s'élargit aujourd'hui entre les côtes de la Libye, la périphérie d'Alep, en Syrie, et celle de Bagdad, en Irak: un cratère volcanique, dont les éruptions sont pas dues à des forces aveugles de la nature, mais aux terribles erreurs des États-Unis et de l'Union européenne.

Il s'agit d'une guerre civile mondiale, parce que c'est une guerre idéologique et religieuse combattue partout dans le monde et dont nous commençons seulement maintenant à sentir la portée. La première - même si ce n'est pas l'unique, expression de cette guerre est l'Islam. Nous ne devons pas penser à l'islam comme à un ennemi qui ne menace l'Europe que de l'extérieur. L'Islam encercle l'Europe, mais elle est déjà dans l'Europe, elle est dans l'Europe grâce au terrorisme, qui n'a pas encore explosé dans toute sa puissance, mais aussi grâce aux masses d'immigrants qui l'envahissent selon un plan clairement préétabli. Les clandestins ne fuient pas la guerre, mais la portent en Europe.

Depuis les années 80, il est clair que l'islam, dans sa marche de conquête du continent européen, avance selon deux axes stratégiques.
La ligne «dure», le 'hard-Jihad', de l'islamisme radical, veut arriver à l'hégémonie mondiale à travers les instruments de la guerre et du terrorisme: son expression la plus avancée a été, pendant de nombreuses années, le mouvement de Ben Laden, Al-Qaïda.
La ligne «douce» le 'soft-jihad' du soi-disant «islam modéré», s'exprime principalement à travers les instruments de l'immigration et de la démographie. Les Frères musulmans et, en Italie, l'Union des communautés et des organisations islamiques (UCOII), représentent cette stratégie d'expansion, qui opère à travers le contrôle des mosquées, des écoles islamiques et les centres de la finance islamique.

Cette attaque à l'Occident à travers deux stratégies complémentaires a subi depuis maintenant un an, une accélération soudaine.

La ligne dure du 'hard-djihad' a fait un bond en avant avec le passage d'Al-Qaïda à l'ISIS, (ou, comme disent les Arabes, Daesch). En un an, nous avons assisté à la naissance et au développement d'un Etat islamique, lequel a pour objectif déclaré la reconstitution de ce califat universel qui, comme l'a expliqué la spécialiste de l'islam Bat Ye'or, n'est pas le rêve des fondamentalistes, mais le but de tout vrai musulman.

Mais le phénomène de l'accélération caractérise aussi la ligne du 'soft-djihad'. L'immigration s'est transformée en une invasion de l'Europe, massive et apparemment imparable.

Globalement, dans le seul mois de juillet, sont arrivés sur le sol européen 107.500 immigrants illégaux, plus du triple par rapport à Juillet 2014. Les demandes d'asile atteindront en un an, pour la seule Allemagne, le chiffre de 800.000. L'impuissance des gouvernements nationaux européens ne révèle pas une incapacité, mais une complicité dans le plan d'islamisation de l'Europe.

L'Isis, l'Etat islamique, a déclaré au Meeting de Rimini d'août 2015 le Père Douglas Al Bazi, n'est pas une dégénérescence, c'est l'islam authentique, réel, tout comme est islam authentique l'islam politique qui prend le pouvoir à travers les instruments démocratiques. Il s'agit des deux faces de la même terrifiante médaille, deux stratégies complémentaires de la même machine de guerre.

Eurabia est le nom d'un projet qui se propose de déchirer l'Europe en deux. L'Europe catholique et latine, comprenant l'Espagne, la France et l'Italie tomberaient sous l'influence islamique. Le chaos économique et social pourrait submerger ces nations, et sur un scénario d'instabilité, le terrorisme s'accompagnerait de la rébellion des masses musulmanes mobiles. Un nouveau rideau de fer diviserait l'Europe protestante du Nord, sous influence allemande et anglo-américaine, de celle du Sud, arabisée et islamisée. C'est dans cette perspective que peut se lire la référence de plus en plus fréquente à la conquête de Rome.

«La Libye est la porte pour arriver jusqu'à Rome». C'est le titre de la nouvelle campagne de terreur de l'Isis en Libye, qui sur Twitter a publié une série d'images montrant la ville éternelle en flammes, surmontée d'une carte de la Libye, où flotte le drapeau noir du Califat. Dans un message posté sur son compte Twitter un combattant de l'Isis, Abou el Gandal Barkawi, lance aux djihadistes un appel à «aller à Rome, ou Romía, en passant par la Libye, la porte vers Rome». Dans le texte Barkawi ajoute: «Les armes des Ottomans ont été lancées et ont encerclé Rome après avoir conquis la Libye au sud de l'Italie» (Ansa.it, 25/8/2015).


Ce ne sont pas des affirmations isolées. C'est le même objectif que celui annoncé depuis plus d'une décennie par l'imam Yusuf al-Qaradawi, le principal représentant des Frères musulmans qui, après avoir mené le «printemps arabe» en Egypte, a été condamné à mort par contumace par la cour d'assises du Caire le 16 juin 2015.

Qaradawi est le président de l' European Council for Fatwa and Research, basé à Dublin, point de référence théologique des organisations islamiques liées aux Frères musulmans. Ses idées, diffusées à travers la chaîne satellitaire "Al Jazeera", influencent une grande partie de l'Islam contemporain. Pour les Frères musulmans, comme pour l'Isis, le but ultime n'est pas Paris ou New York, mais la ville de Rome, le centre de l'unique religion que, depuis sa création, l'islam veut anéantir.

L'objectif est Rome, parce que la guerre en cours, avant d'être économique, politique, démographique, est, comme toujours, religieuse et parce que c'est de Rome que vint la force morale qui, en 1571, à Lépante, et en 1683, à Vienne, a défait l'islam. Le véritable ennemi, ce ne sont pas les États-Unis ou l'État d'Israël, qui n'existaient quand l'Islam est arrivé aux portes de Vienne en 1683, mais l'Eglise catholique et la civilisation chrétienne, dont la religion de Mahomet est une parodie diabolique.

Le Pape François n'est pas saint Pie V, mais Rome est toujours le cœur du monde, le centre du christianisme, dont la force réside en Jésus-Christ, qui est celui qui a fondé et continue de guider son Église. Nous devons comprendre ce que signifie Rome pour l'Islam. Nous devons surtout comprendre ce que doit signifier Rome pour nous. Dans cette guerre planétaire, c'est seulement dans la force religieuse et morale de Rome que l'Occident peut trouver le chemin de la victoire.