Le Pape vindicatif

Un billet sarcastique d'Antonio Socci à propos de l'éviction du vaticaniste de Repubblica de l'avion papal pour le prochain voyage aux Etats-Unis

Les petites vengeances du "Pape miséricordieux" qui ne pardonne pas

www.antoniosocci.com
27 juillet 2015
(traduction par Anna)
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Bien que culturellement éloigné du journal d'Ezio Mauro (l'actuel directeur, ndt), j'entend exprimer ma solidarité à "Repubblica" et à son vaticaniste Marco Ansaldo, exclu, à titre de punition (mais sans aucune faute personnelle), de l'avion papal pour le prochain voyage à Cuba et aux USA, sur la base d'une déconcertante décision pontificale.
Je m'étonne qu'aucun journal, aucun représentant de la profession, n'ait proféré un seul mot. Je me demande aussi pourquoi Eugenio Scalfari, fondateur de "Repubblica" et ostensiblement ami fraternel du pape argentin, ne dit pas ce qu'il pense de cette éviction punitive de "Repubblica" de la part de Bergoglio.
Il me semble également qu'aucun des vaticanistes de la suite papale n'a fait d'objection. N'auraient-ils pas tous dû refuser de s'embarquer en signe de solidarité avec le collègue et en défense de la liberté de la presse?
Je me pose aussi d'autres questions: si c'était Benoît XVI qui l'avait fait? Quel cataclysme médiatique aurait été déchaîné?
Combien de vestales de la presse libre se seraient déchirés les vêtements? Combien de vierges violées se seraient insurgées contre ce qu'elles auraient appelé l'obscurantisme inquisitorial du Vatican?
C'est juste que sous Benoît XVIun cas semblable, avec cette absurde logique punitive, ne se serait jamais produit, tandis qu'il se produit maintenant, avec le champion de la tolérance, le pape Bergoglio, pasteur idole du progressisme mondial.
Ainsi, tous restent muets, tous restent couchés, et même les personnes concernées protestent, certes, mais sans oser mettre en cause le vrai censeur, le pape Bergoglio, préférant s'en prendre à l'innocent père Lombardi, chef de la salle de presse vaticane.
Voici, en résumé, de quoi il retourne.

EXPULSION
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Comme on s'en souvient, le site internet de l'Espresso, dans l'après-midi du 15 juin, a mis en ligne le texte presque définitif de la nouvelle encyclique bergoglienne, ce confus et contradictoire accord (pateracchio) écolo-tiersmondiste, à la sauce approximative, qui devait été publié trois jours plus tard.
Le scoop de l'Espresso ne faisait aucun tort aux thèses de Bergoglio qui a, par ailleurs, toujours eu de son côté le groupe éditorial Espresso-Repubblica. Il n'en reste pas moins que Bergoglio, qui a à cœur beaucoup plus sa propre efficacité médiatique que la cohérence doctrinale, riposta avec une canonnade sans précédent: Sandro Magister, vétéran des vaticanistes, fut suspendu "pour un temps indéterminé" de la salle de presse du Vatican.
Une mesure punitive sans précédent. Et aussi lourde qu'absurde, car, semble-t-il, ce n'était Magister qui s'était procuré ce texte et l'avait publié (d'après ce qu'il fit comprendre dans son blog), mais bien la direction de l'Espresso.
En outre, aucun embargo n'avait été violé, comme l'affirmait le Vatican, car ce texte n'avait pas été livré "sous réserve de confidentialité" aux journalistes.
En dépit de la "punition" sans précédent, il n'y eut aucune réaction de la part du monde journalistique à l'éviction de Magister de la salle de presse.
Et pourtant le vaticaniste américain John Allen, sur le site Crux du Boston Globe, a fait remarquer que "ce n'est certes pas la première fois qu'un important document vatican 'fuite' avant sa publication".
Nicoletta Tiliacos a rappelé que sous Benoît XVI aussi, un journal avait publié avec trois jours d'avance deux paragraphes de "Caritas in veritate", mais qu'il n'y avait eu aucune mesure punitive. Le pape Ratzinger est en effet un pasteur vraiment tolérant et miséricordieux: il était entièrement concentré sur les contenus de son magistère, lui, et ne s'est jamais intéressé aux trucs et aux stratégies pour faire la une dans le cirque médiatique.
On croyait que le "cas Magister" était clos. Au contraire, comme nous venons de le dire, ces derniers jours le père Lombardi a communiqué, évidemment sur mandat de son supérieur, que Marco Ansaldo, vaticaniste de "Repubblica", était exclu de l'avion papal pour le prochain voyage outre-Atlantique.
Dans la matinée, le père Lombardi a expliqué la lourde mesure par la nécessité de sélectionner les trop nombreuses requêtes. Mais dans l'après midi il a expliqué que dans le cas de Repubblica "l'intention d'appliquer une 'sanction' pour la publication de l'Encyclique par l'Espresso (avec en lien le site de Repubblica qui fait partie du même Groupe) avait été déterminante, de sorte que la non-admission dans ce cas se serait de toute façon produite".
Avant-hier, dans un éditorial non signé, la direction de "Repubblica" a critiqué le fait que le Vatican se considère "en droit de 'sanctionner' un journal parce qu'un hebdomadaire du même groupe éditorial avait décidé en sa liberté et autonomie d'anticiper l'Encyclique (…). Un contresens ridicule et anachronique".
L'éditorial reconnaît que le saint-Siège a le droit de faire monter qui il veut à bord de l'avion papal, "mais il ne peut pas infliger de sanctions, d'autant plus pour des motifs arbitraires".
La conclusion, plutôt tonitruante ("nous ne lui reconnaissons pas ce titre") ne faisait que lancer un vagissement de guerre qui restait suspendu dans le néant: "nous défendons notre travail et exigeons de ne pas être discriminés".
Ce manifeste restait sans suite. Même pas un appel aux autres journaux, aux journalistes et aux organisations de la profession. En fait, il ne semble pas qu'il y ait eu de réactions.

RÉVÉLATION
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Ce qui est singulier, c'est que "Repubblica" est le journal préféré du pape Bergoglio et qu'il y a une proximité de sentiments qui s'est manifestée ces derniers mois surtout dans les interviews et articles du fondateur Eugenio Scalfari.
Mais dans ce cas il est évident que le caractère despotique de l'actuel évêque de Rome s'est manifesté, il n'a pas toléré l'anticipation de l'Espresso car elle a involontairement "saboté" l'effet médiatique très étudié du lancement de l'encyclique.
Une dernière considération. Dans ses interviews au pape sud-américain, Scalfari a attribué à Bergoglio des déclarations qui sont à la limite de l'orthodoxie, voire davantage.
De nombreux fans bergogliens répètent depuis des mois que ces pensées devraient être attribuées à Scalfari et non pas au pape.
Si c'était le cas, au moins pour les déclarations à la limite de l'hérésie, il y aurait eu de durs et précis démentis de la part du Vatican.
Au contraire, Bergoglio n'arien démenti de ces expressions déconcertantes, il les a même par la suite re-publiées dans un livre qui porte sa signature et rassemble toutes ses interviews.
Aujourd'hui, avec le cas Magister-Ansaldo nous avons compris le caractère de Bergoglio. Et nous avons définitivement compris que si ces interviews avaient déformé et trahi sa pensée non seulement il aurait démenti (ce qu'il n'a pas fait) mais il aurait même fait suivre des mesures "punitives", puisque ces thèses hétérodoxes, ou du moins discutables, sont - pour un pape - bien plus graves et dangereuses que la publication d'une encyclique avec trois jours d'avance.
Pas ailleurs, il ne semble pas que la relation entre Scalfari et le pape en ait été affectée. Elle est même plus cordiale et fraternelle que jamais.

Une des conclusions que l'on peut tirer de cette curieuse affaire est celle-ci: que si le pape intolérant est progressiste, personne ne se déchire les vêtements. Personne ne proteste. Ils restent tous "papalini" ("papistes", au sens péjoratif), même les athées. Des athées "papalini".