Eucharistie et oeuvres de miséricorde

L'extraordinaire exposé du cardinal Biffi lors du Congrès Eucharistique de Sienne, le 3 juin 1994. A lire, à méditer avec humilité, et la nostalgie d'un grand et saint homme d'Eglise - qui se nourrit de la parole divine, et qui sait aussi manier l'humour.

 

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Celui qui est le vrai et éternel protagoniste des œuvres de miséricorde est le Seigneur Jésus. Il devient présent dans nos Églises sous les signes eucharistiques pour nous dire: qu'il n'y a pas d'acte vraiment chrétien et ecclésial d'attention aux autres qui ne tire de lui son élan, sa puissance, sa justification; que nous ne pouvons jamais séparer même mentalement nos initiatives de solidarité de cet amour personnel de Lui, qui les inspire et qualifie toutes; que le grand danger du christianisme de nos jours est d'être peu à peu réduit, peut-être par le généreux souci de s'accorder avec tous, à un ensemble d'engagements humanitaires et à l'exaltation de valeurs qui soient "vendables" aussi sur les marchés mondains. Il reste vraiment, réellement, corporellement au milieu de nous et nous attend, le grand et vrai dispensateur de toute miséricorde; la miséricorde de la vérité contre les pièges des idéologies mensongères; la miséricorde de la certitude contre la culture du doute; la miséricorde de nous indiquer où est le bien et où est le mal contre la multitude des confusions où nous sommes plongés; la miséricorde de la joie qui vainc toute tristesse; la miséricorde du pardon pour toutes nos fautes grandes et petites; la miséricorde d'être patient avec nous, malgré nos petitesses et nos inefficacités; sa miséricorde de pontife fidèle (voir Heb 2,12) qui intercède pour tous.


La Miséricorde, le Cardinal Giacomo Biffi nous en parle

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Traduction par Anna

La parole "miséricorde" est terriblement galvaudée, et comme toute chose galvaudée elle risque de perdre sa valeur. Il est donc de grande utilité pour tous de lire cette intervention du Cardinal Giacomo Biffi au Congrès Eucharistique de Sienne, le 3 juin 1994.

LES ŒUVRES DE MISÉRICORDE SPIRITUELLE

Instruire les ignorants, conseiller ceux qui doutent, exhorter les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes ennuyeuses, prier Dieu pour les vivants et les morts.

Je voudrais confier quelques considérations concernant la liste de ce qu'on nomme "œuvres de miséricorde spirituelle", qui me semble aujourd'hui la plus effacée de la conscience commune. Comme elles gisent dans les vieux catéchismes, rédigés lorsqu'on appelait encore naïvement les choses par leur nom, elles nous semblent quelque peu rugueuses et anguleuses. Peut-être parce que notre âme est devenue, pour ainsi dire, plus délicate et irritable.
Relisons-les (nous nous permettons d'intervertir l'ordre traditionnel des deux premières œuvres, sur la base du Catéchisme de l'Église catholique n. 2447, afin de faciliter la logique du discours):
1. Instruire les ignorants
2. Conseiller ceux qui doutent
3. Exhorter les pécheurs
4. Consoler les affligés
5. Pardonner les offenses
6. Supporter patiemment les personnes ennuyeuses
7. Prier Dieu pour les vivants et pour les morts
* * *

TOUS DESTINATAIRES
Contrairement aux œuvres de miséricorde corporelle - où (en général, mais pas toujours) celui qui donne à manger n'est pas affamé et celui qui souffre de la faim n'est pas en mesure de donner à manger - le bienfaiteur et le bénéficiaire ne sont ici pas suffisamment distincts. C'est même une bonne règle de ne pas les distinguer du tout: de ces "œuvres" nous sommes tous destinataires. Il est donc bon que chacun de nous se considère au même temps "instructeur" et "ignorant", sage conseiller et dubitatif, paladin de la justice et pécheur, capable de consoler et désireux de consolation, appelé à pardonner les offenses et offenseur, déterminé à avoir de la patience et toujours sur le point de la faire perdre aux autres, intercesseur de tous auprès de Dieu et nécessiteux de la prière fraternelle de tous. Ce n'est que dans cette optique que nous pouvons espérer entreprendre un examen fructueux des "œuvres" qui nous sont recommandées.

NOS DEVOIRS PROPRES
Le discours sur les "œuvres de miséricorde spirituelle" revêt une importance et une actualité exceptionnelle, s'il vise à clarifier le caractère propre de la solidarité que l'Église en tant que telle doit exercer à l'égard de l'humanité. Aucun doute que l'amour chrétien, suscité et soutenu par l'Eucharistie, doit aussi s'exprimer par l'offre aux plus malchanceux, dans la mesure du possible, d'un apport valide afin qu'ils puissent résoudre positivement leurs problèmes existentiels primaires et jouir d'une condition conforme à leur dignité de personnes. Gare à l'Église si elle l'oubliait. Mais gare aussi si elle réduisait à cela son action dans le monde. Et gare à nous si nous finissons par penser à l'Épouse du Christ comme à une sorte d'association caritative ou comme à un substitut et adjuvant de la Croix Rouge Internationale. Le danger de cette méprise inconsciente n'est pas irréel aujourd'hui, favorisé qu'il est par les intérêts des puissances mondaines et aussi par notre souci d'être quelque peu acceptés par la culture dominante. La communauté chrétienne doit certes être sans cesse incitée à la générosité aussi en ces secteurs; c'est la parole même de Jésus qui nous exhorte dans ce sens (voir Mt 25, 31-46). Mais face à la misère humaine toujours accablante, elle ne doit pas avoir un sentiments de culpabilité qui n'est pas justifié. Il faut le dire avec beaucoup de clarté que, directement et en soi, ce n'est pas à nous de résoudre à la racine les problèmes sociaux: ce serait de l'intégrisme que de le penser, ce serait même la tentative illégitime d'aller de pair avec la société civile, en en revendiquant les mêmes tâches statutaires et les mêmes responsabilités. À la communauté chrétienne revient - et c'est une tâche très ample et très exigeante - l'engagement de traduire chaque jour sa foi, dans la mesure où cela lui est donné concrètement, en une action de charité qui atteigne ses frères dans toutes leurs situations et chacune de leurs nécessités réelles. Sous cet angle, le fait de s'attarder quelque peu sur lesdites "œuvres de charité spirituelle" sera peut-être utile afin de garder dans un juste équilibre notre vision de la présence active des chrétiens et même de rappeler ce qui, de la manière la plus immédiate, est inhérent à la mission de l'Église dans le monde.

1) INSTRUIRE LES IGNORANTS
Ignorant ne veut pas dire sans culture et sans érudition. Ignorant est celui qui ne connaît pas les choses qu'il devrait justement le plus connaître, et ce pourrait être un professeur d'université ou un écrivain connu. L'étrange condition de l'homme est évoquée ici, et surtout de l'homme d'aujourd'hui, qui connaît tout sauf les choses qui comptent, qui poursuit les recherches les plus compliquées et reste muet face aux questions fondamentales et les plus simples, qui peut aller ramasser des cailloux sur la lune et ne peut pas s'expliquer ce qu'il est venu faire sur la terre. Ignorer quelle est la signification de notre vie même; ignorer quel est le destin qui nous attend à la fin; ignorer si notre venue à l'existence a comme prémisse et raison un dessein d'amour ou une causalité aveugle: telles est la nuit absurde qui implore objectivement d'être éclairée. Le premier et plus grand acte de charité qui puisse être accompli envers l'homme est de lui dire comment sont les choses. Ce qui veut dire lui révéler aussi son identité véritable. Voici la première miséricorde que l'Église exerce - doit exercer - envers la famille humaine: l'annonce inlassable de la vérité. Le salut de nos frères, directement et en soi, ne sera pas tellement le fruit de notre affable capacité d'écoute et de dialogue (chose toutefois importante et à ne pas négliger), mais bien de la vérité divine proclamée sans affadissements et sans mutilations. Jésus a lié le don de sa chair et de son sang à l'accueil de sa parole, même celle qui est le plus difficile d'accepter. Le discours eucharistique de Capharnaum provoque, plus que tout autre dans l'Évangile, le refus de la part de beaucoup: "Cette parole est dure, qui peut l'écouter?" (Jean 6, 60). Mais le Seigneur ne considère pas que des rabais facilitateurs puissent être faits dans ce domaine: "Et vous, ne voulez-vous pas aussi vous en aller?" Simon-Pierre lui répondit: "Seigneur, à qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle. Et nous, nous avons cru et nous avons connu que tu es le Saint de Dieu" (Jean 6, 67-69).

2) CONSEILLER CEUX QUI DOUTENT
Les hésitations, les perplexités, les incertitudes sont le propres d l'homme normal; lequel est d'autant plus perspicace dans ses jugements et analyses qu'il se montre incertain dans ses décisions. Par contre, les irréfléchis et les obtus savent en général tout de suite ce qu'il faut faire. D'ailleurs, vivre signifie agir, et agir signifie surmonter les incertitudes. Si bien que parfois un avis sensé donné à un ami, qui l'aide à se décider pour le mieux, représente souvent un don vraiment précieux. Les avis, toutefois, il est préférable de les donner quand ils sont demandés, sinon ils ne servent qu'à gâcher des amitiés. Et même dans le cas où on est interpellés, il est opportun (si on peut le faire sans aller contre sa conscience) d'offrir les avis que le demandeur s'attend à recevoir, ou bien il croira ne pas avoir été compris ou aura des doutes sur la sagesse du conseiller. Mais lorsqu'il s'agit des questions fondamentales de l'existence, le fait de surmonter le doute est une exigence intrinsèque à la fonction salvifique de la vérité. C'est une grande charité que de rappeler ce principe à la culture contemporaine. Nous vivons dans une société qui semble privilégier le doute: de l'avis de certains il serait la marque d'un esprit libre et ouvert à toutes les valeurs, tandis que les certitudes (en particulier les certitudes de la foi) exprimeraient étroitesse, dogmatisme, intolérance, fermeture au dialogue. À y réfléchir quelque peu, toutefois, il n'est pas difficile de comprendre que ceux qui culpabilisent la certitude des croyants, ont eux-mêmes toujours des convictions qu'ils considèrent indiscutables. On s'aperçoit finalement qu'il n'est pas tellement question de critique raisonnée des certitudes en tant que telles, mais bien d'irritation envers les certitudes des autres. Les certitudes chrétiennes ont de meilleures probabilités d'être des valeurs objectives et non pas de pures obstinations, si celui qui les abrite dans son coeur les perçoit et s'efforce de les posséder non pas comme ses idées propres, mais comme pleine et personnelle communion avec la lumière indéfectible donnée par l'Esprit de vérité à l'Église et qui reste patrimoine inaliénable de l'Épouse du Christ tout au long des siècles de son histoire. Nous n'avons qu'une seule vie à vivre. Il est donc indispensable, afin de ne pas la gâcher, de repérer des points fermes au milieu de la variété et de la volubilité des opinions. Nous n'avons qu'une seule vie à vivre: nous ne pouvons pas l'accrocher à des points d'interrogation. Savoir offrir à l'homme désorienté le fondement de certitudes indubitables est la deuxième miséricorde de l'Église.

3) ADMMONESTER LES PÉCHEURS
Le péché est, aux yeux de la foi, le pire des malheurs qui puisse nous arriver. Aider le frère à s'en libérer, cela signifie l'aimer pour de vrai. "Celui qui ramène un pécheur de la voie où il s'égare, sauvera une âme de la mort et couvrira une multitude de péchés." (Jc 5, 20). Et la lettre aux Galates : "Lors même qu'un homme se serait laissé surprendre à quelque faute, vous qui êtes spirituels, redressez-le avec un esprit de douceur, prenant garde à vous-mêmes, de peur que vous ne tombiez aussi en tentation." (Gal 6,1). La correction fraternelle est toutefois une entreprise délicate et non dénuée de risques. Il ne faut jamais perdre de vue la parole cinglante du Seigneur: "Comment peux-tu dire à ton frère: 'Laisse-moi ôter la paille de ton œil', lorsqu'il y a une poutre dans ton œil?" (
Mt 7,4). Saint Ambroise priait ainsi à ce propos: "À chaque fois qu'il est question du péché de quelqu'un qui est tombé, accorde moi d'en éprouver de la compassion et de ne pas le reprocher avec hauteur, mais de gémir et pleurer, si bien qu'alors que je pleure sur un un autre, je pleure sur moi-même". Il est bon en tout cas de savoir que "la meilleure correction fraternelle est l'exemple d'un comportement irréprochable". Dans sa signification plus universelle et substantielle, cette troisième proposition de bien nous enseigne qu'il appartient à la mission propre de l'Église d'œuvrer afin que le sens de ce qui est juste et de ce qui est faux ne s'efface pas dans la conscience commune. Selon la page suggestive qui ouvre la Sainte Écriture, l'action créatrice de Dieu commence par une distinction entre la lumière et les ténèbres (voir Genèse 1,4), ainsi que le début de la catastrophe de l'homme est donné par le mirage de devenir comme Dieu les maîtres du bien et du mal (voir Genèse 3,5). Afin que tout ne retombe pas dans le chaos primitif et que la suggestion satanique ne poursuive pas son empoisonnement des cœurs, il faut, sans se laisser décourager, clarifier aux hommes que seule la loi de Dieu est la mesure de la moralité de nos actes et que la distinction entre le bien et le mal est la prémisse indispensable à une vie qui soit vraiment humaine. C'est la troisième miséricorde de l'Église.

4) CONSOLER LES AFFLIGÉS
Celui qui se propose de consoler les affligés ne sera jamais au chômage dans ce monde. "Le chagrin en a tué beaucoup, et il n'y a pas en lui de profit" (Livre de Sirac, 30,23), nous dit le livre de Dieu. Et pourtant nous n'avons pas trop de quoi être heureux, ou du moins pas de raisons qui ne soient bientôt emportées par les vicissitudes de l'existence. Déjà Homère disait que l'homme est le plus malheureux des êtres qui respirent sur la terre; c'est une amertume qui parcourt toute la littérature du paganisme, contrairement à ce qu'on essaie parfois de faire croire. La question de la joie est une question sérieuse. Elle se pose en ces termes: nous sommes faits pour le bonheur, il nous apparaît pourtant trop souvent comme une condition inaccessible. Le mode de vie moderne - rempli de confort et insatiable dans la recherche de formes inédites de gratification et de plaisir - semble même avoir accru, contre toute intention, les motifs de tristesse et de désolation. Les chiffres croissants des suicides en sont une preuve évidente: "la tristesse du monde produit la mort" (2 Cor 7,10), remarquait déjà Saint Paul. Au modèle social qui s'affirme aujourd'hui nous ne reprochons pas du tout de viser la jouissance et le bien-être: nous lui reprochons plutôt de ne pas y parvenir. Car si on ne jouit pas en pleine conscience et avec un espoir serein, on ne jouit pas du tout. Le christianisme est réaliste: il sait que l'homme a été placé dans une vallée de larmes et que s'il est abandonné à ses seules forces, il n'est pas en mesure de s'en évader sinon par les espaces plus étroits des divertissements éphémères et des illusions. Le christianisme toutefois ne peut ni doit oublier d'être essentiellement un "évangile", c'est à dire une annonce de la joie. C'est la joie d'un salut avéré, déjà en acte, qui attend juste que l'homme s'ouvre à lui. C'est un salut déjà à présent à notre portée: l'Eucharistie est ici pour nous dire que l'événement salvateur et la personne du Sauveur sont ici et aujourd'hui parmi nous. C'est la quatrième miséricorde, annoncée par Jésus le soir avant d'être crucifié: "Votre affliction se changera en joie" (Jn, 16,20).

5) PARDONNER LES OFFENSES
Parmi les indications évangéliques inouïes, celle-ci est peut-être la plus surprenante. "Et quand ton frère pécherait contre toi sept fois le jour, et que sept fois il revienne à toi, disant: 'Je me repens', tu lui pardonneras" (Luc 17,4). La tâche est déjà difficile, mais au moins il est question ici d'un offenseur qui s'excuse. En réalité, l'enseignement total du Christ est plus large et inconditionnel: "Lorsque vous vous tenez debout pour prier, si vous avez quelque chose contre quelqu'un, pardonnez, afin que votre Père qui est dans les cieux vous pardonne vos offenses" (Marc 11,25). À cette école les apôtres enseignent: "Ne rendez à personne le mal pour le mal" (Rm 12,17); en fait, "bénissez ceux qui vous persécutent". C'est un langage que nous avons dans les oreilles et il ne nous impressionne plus. Mais sa mise en oeuvre pratique est très éloignée des habitudes humaines, où dominent les ressentiments et les rancunes cultivés. Une des causes plus fortes du malaise social vient justement de ce que sévissent la haine et les vengeances, qui déclenchent une chaine interminable de représailles et donc de souffrances. D'où l'importance de la cinquième miséricorde que l'Église apporte au monde: l'appel à faire primer en chacun la "culture du pardon". À chaque fois que l'Eucharistie est célébrée, une énergie de bien s'injecte dans notre histoire d'hommes, apte à faire face dans les cœurs aux assauts toujours récurrents de l'esprit d'animosité et de revanche, car à chaque fois se réactualise dans le mystère le triomphe de la rédemption et de la clémence divine sur la toujours pullulante méchanceté humaine.

6) SUPPORTER PATIEMMENT LES PERSONNES ENNUYEUSES
Nous devons tous nous placer dans le nombre des "personnes ennuyeuses", certains plus d'autres moins, évidemment. La proposition va donc à l'avantage de tous. Et nous devons tous apprendre la vertu de la tolérance. Seule une ingénuité des Lumières - destinée à être bientôt déçue - pourrait nous faire croire que les hommes sont sympathiques de naissance et que sur ce principe peut être fondée et se soutenir notre philanthropie. Comme d'habitude le christianisme est plus attentif à la vérité des choses. Ce n'est pas parce que nous sommes bons et aimables qu'il nous faut aimer les autres, mais parce que c'est Dieu qui est bon, qui par amour nous a tous créés, nous et eux. Ce serait intéressant, tout en étant quelque peu risqué, de faire une liste, au moins par catégorie, des "personnes ennuyeuses". Disons juste qu'il s'y trouve souvent aussi les personnes les plus estimables et les mieux intentionnées. Par exemple, ceux qui ont un zèle excessif et ne se rendent pas compte que si le mal ne doit jamais être fait, le bien n'est pas toujours fait entièrement ni par tous. Les amis journalistes, par exemple, qui doivent bien gagner leur pain, mais qui parfois le gagnent en essayant de te faire dire non pas ce que tu tiens à dire, mais ce qui leur paraît plus apte à constituer une nouvelle intéressante. Les cardinaux par exemple qui, croyant peut-être bien faire, tiennent des discours trop longs et ennuyeux. Ce qui est le plus important est que nous soyons convaincus d'être tous, d'une manière ou d'une autre, ennuyeux et agaçants pour notre prochain. Du reste, tant que nous n'entrerons pas dans le Royaume des cieux, aucun de nous n'est dispensé de la nécessité d'être patient. L'habitude de la patience est la sixième miséricorde que la communauté chrétienne peut offrir à une humanité qui devient de jour en jour plus intolérante et excessive. Selon une célèbre définition de Newman, le gentilhomme est celui qui ne donne jamais de la peine aux autres. C'est un idéal parfaitement évangélique que nous devons proposer à tous, et encore avant, essayer de réaliser dans nos paroles et nos comportements.

7) PRIER DIEU POUR LES VIVANTS ET POUR LES MORTS
Donner aux autres le secours de notre prière est un acte significatif d'amour, et nous aide à dépasser cet égoïsme spirituel qui, même dans la relation religieuse, nous empêche de nous évader des étroitesses de nos intérêts personnels. Chacun de nous doit craindre d'être seul en présence de Dieu: nous sentir renforcés par la voix de nos frères qui implorent pour nous, nous encourage. De même, notre oraison devient plus précieuse si elle est vraiment "catholique", consciente que les enfants de Dieu ne sont qu'une seule famille affectueusement liée; une famille que pas même la mort ne parvient réellement à diviser. La forme la plus haute de cette prière universelle est la célébration eucharistique, car le sacrifice de la messe - l'enseignement toujours actuel du Concile de Trente nous le rappelle - "est offert non seulement pour les péchés, les peines, les satisfactions et les autres nécessités des fidèles vivants, mais également pour ceux qui sont morts dans le Christ et ne sont pas encore pleinement purifiés". L'intercession pour toute l'humanité est la dernière miséricorde que, selon cette liste, l'Église fait pleuvoir sur tous les peuples. C'est ici qu'est, au sens propre, la fonction du sacerdoce baptismal: le peuple de Dieu rassemblé de chaque région, de chaque race, de chaque culture, uni au Christ son chef et son principe de vie, élève une supplication ininterrompue, et offre la Victime unique et pleinement efficace, rendue présente sur l'autel, en faveur de toute la création, invoquant ainsi sur tous les hommes la grâce salvatrice du père de tous.

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CONCLUSION

Il ne me reste qu'à exprimer une réflexion, en conclusion de ce qui a été dit. Celui qui est le vrai et éternel protagoniste des œuvres de miséricorde est le Seigneur Jésus. Il devient présent dans nos Églises sous les signes eucharistiques pour nous dire: qu'il n'y a pas d'acte vraiment chrétien et ecclésial d'attention aux autres qui ne tire de lui son élan, sa puissance, sa justification; que nous ne pouvons jamais séparer même mentalement nos initiatives de solidarité de cet amour personnel de Lui, qui les inspire et qualifie toutes; que le grand danger du christianisme de nos jours est d'être peu à peu réduit, peut-être par le généreux souci de s'accorder avec tous, à un ensemble d'engagements humanitaires et à l'exaltation de valeurs qui soient "vendables" aussi sur les marchés mondains. Il reste vraiment, réellement, corporellement au milieu de nous et nous attend, le grand et vrai dispensateur de toute miséricorde; la miséricorde de la vérité contre les pièges des idéologies mensongères; la miséricorde de la certitude contre la culture du doute; la miséricorde de nous indiquer où est le bien et où est le mal contre la multitude des confusions où nous sommes plongés; la miséricorde de la joie qui vainc toute tristesse; la miséricorde du pardon pour toutes nos fautes grandes et petites; la miséricorde d'être patient avec nous, malgré nos petitesses et nos inefficacités; sa miséricorde de pontife fidèle (voir Heb 2,12) qui intercède pour tous. À l'autel et dans le tabernacle, "nous n'avons pas un grand prêtre impuissant à compatir à nos infirmités; pour nous ressembler, il les a toutes éprouvées hormis le péché. Approchons-nous donc avec assurance du trône de la grâce, afin d'obtenir miséricorde et de trouver grâce, pour être secourus en temps opportun." (Heb 4,15-16).

Ainsi soit-il dans toute notre vie.