Nous serons les grands vainqueurs

Encore une "digression d'un italien cardinal", du cardinal Biffi, pour comprendre et surmonter le découragement qui peut saisir les catholiques face au "tournant" pris par l'Eglise, particulièrement en ces jours

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Le cardinal Biffi dans le débat synodal
¤ Le cardinal Biffi dans le débat synodal (2)

 
Le Crucifié et Ressuscité est le «Seigneur de l'histoire» non seulement parce que l'histoire universelle aboutira à ses pieds et reconnaîtra sa domination absolue: il est le «Seigneur de l'histoire» parce qu'il est capable aussi d'interférer sous une forme exceptionnelle dans nos affaires et peut toujours en retourner en faveur des croyants les situations qui semblent les plus désespérées. Il peut intervenir et, de fait, il intervient parfois de façon inattendue.
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(...) l'humour de Dieu s'amuse à tirer le bien du mal... même dans les saisons les plus déprimantes, le peuple des croyants peut toujours regarder en haut, prier avec sérénité et espérance.

Perdants ou vainqueurs?

Dodici digressioni di un italiano cardinale
Editions Cantagalli, 2011
Pages 89-96
Ma traduction
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En ces temps déboussolés - qui semblent donner toujours plus de place au rejet du message évangélique fondamental et se complaisent à contester de toutes les manières possibles l'Eglise catholique, ses enseignements et presque son existence même - dans notre conscience de croyants, une question simple et inquiétante passe parfois: nous, chrétiens, dans l'ensemble des événements historiques, sommes-nous vainqueurs ou perdants?
La question épineuse, habituellement, ne parvient pas à saper notre acte de foi, mais à nous donner un certain malaise intime, si. Il est donc nécessaire d'aborder le problème explicitement, passant en revue les divers éléments déduits de la Révélation divine, qui peuvent nous aider à trouver une solution intimement apaisante.

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DU CÔTÉ DU VAINQUEUR

Une règle incontestable pour vivre satisfaits et en sécurité consiste à rester autant qu'il est possible du côté du gagnant. Les italiens connaissent généralement bien cette règle de ruse et s'efforcent de la respecter. C'est un principe pratique que nous pouvons adopter nous aussi, avec toutefois un avertissement: qu'il ne s'agisse pas d'un vainqueur temporaire, destiné tôt ou tard à être vaincu ou au moins dépassé. Comment chante le chœur final du Falstaff de Verdi: Ride bene chi ride - la risata final» («Rira bien qui rira - le rire final»)

Mais l'unique vainqueur, ultime et définitif, est le Seigneur Jésus. Il nous l'a assuré lui-même dans l'une des heures les plus douloureuse et significative de son histoire terreste: «Dans le monde vous aurez à souffrir, mais prenez courage, j'ai vaincu le monde» (Jn 16,33). Et, après cette déclaration solennelle, il est allé à la rencontre de l'arrestation, de la condamnation, de la crucifixion, de la mort, de la Pâque de Résurrection et de gloire: tout cela - tout - constitue sa "victoire". C'est une victoire qui prend naissance dans le temps mais le transcende, jusqu'à devenir un événement "éviterne" [ndt: éternel] (comme disaient les médiévaux), qui marque et colorie tous les instants des vicissitudes humaines.
Jésus est le triomphateur absolu, et son triomphe est notre triomphe. Nous qui adhérons à travers la foi à son mystère et entrons dans sa communion de vie nous devenons - avec lui, en lui, et pour lui - vainqueurs indiscutables, vainqueurs indétrônables, vainqueurs pour toujours.
Ainsi, la Première Lettre de Jean peut écrire:
«Ceci est la victoire qui a vaincu le monde: notre foi. Et qui est celui qui a triomphé du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu?» (1 Jn, 5,4-5).

AUX PRISES AVEC LA DÉCEPTION

Que notre destinée ultime soit positive et de bon augure - et que notre but final coïncide, dans le Christ, avec une apothéose qui dépasse toutes nos attentes - est donc chose sûre: si nous restons avec une loyauté sincère dans cette perspective, à notre aventure difficile de croyants vivant dans un monde «entièrement au pouvoir du Malin» (cf Jn 1, 5,19), la paix intérieure et la joie ne feront jamais défaut.
Mais la conviction de la victoire eschatologique inévitable contraste psychologiquement avec l'expérience de l'échec et de la déchéance qui afflige quelque saison, et même [quelque saison] prolongée, des communautés chrétiennes.
Il sera bon de rappeler ici que le Seigneur ne nous a jamais promis un militantisme terrestre qui soit une marche triomphale constante, et une vie chrétienne comparable à une promenade parmi les amandiers en fleurs. Il a plutôt multiplié les avertissements contraires. Selon Jésus, la relation normale entre la «nation sainte» (1 Pierre 2,9) et le monde - le "monde", c'est-à-dire les forces politiques, les cultures dominantes, les puissances de la communication - n'est pas la compréhension, la sympathie, le dialogue; c'est la persécution: «Vous serez haïs de tous à cause de mon nom» (Matthieu 10:22).

Mais la persécution, selon l'optique du Christ, n'est pas un malheur pour nous: c'est un moyen de nous assimiler à la croix du Rédempteur, et donc une participation à sa glorification (cf. Jn, 12,32): «Celui qui ne prend pas sa propre croix et ne me suit pas n'est pas digne de moi» (Mt 10:38. Le martyr, selon la conscience certaine de l'Eglise, clairement exprimée par la liturgie, n'est pas un perdant, c'est un triomphateur parce qu'il a réalisé dans la forme la plus parfaite l'imitation de celui qui «a vaincu le monde»

UN DÉCLIN APPARENT

Il est indéniable, cependant, que nous sommes tentés par la tristesse quand nous nous trouvons aux prises avec ce qui semble être un déclin du christianisme. Mais ce déclin, en réalité, n'existe pas et ne peut pas exister, par l'authentique et indéformable nature elle-même de la réalité chrétienne.
Le christianisme, en soi, n'est pas principalement une doctrine, ni un système éthique, ni un ensemble de pratiques rituelles: entendons-nous bien, il est aussi toutes ces choses, mais pas principalement, et en soi. Nous pourrions même dire que principalement et en soi, il n'est même pas une "religion": il est un ensemble unifié de réalités (un événement, une personne, un plan divin conçu dans l'éternité et progressivement réalisé dans l'histoire). Il est le "fait" du Fils Unique du Père, qui se fait homme, s'immole pour notre salut, ressuscite, est à la droite de Dieu, répand l'Esprit; et devient ainsi pour nous le début d'une vie nouvelle et plus "vraie".
Maintenant, les évènement ne sont jamais entamés ni mis en crise par quelque chose ou quelqu'un. Une philosophie qui n'a plus aucun partisan est un phénomène épuisé; une religion sans aucun adepte est une religion désormais éteinte. Au contraire, le Fils de Dieu qui s'incarne, sa mort salvifique, son existence glorifiée, son amplification dans la réalité du Christus Totus, étant les «faits» sont toujours vivants et triomphants; et ils le seraient, même s'il n'y avai plus personne sur la terre qui les acceptent et qui y croient.
On comprend alors pourquoi Jésus peut séraphiquement préfigurer pour l'avenir terrestre de ses disciples les hypothèses les plus déprimantes: «Le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?» (Lc 18,8). Pour lui, la réalité indéformable des événements salvifiques est plus importante que la quantité des adhésions: «Il dit ensuite aux Douze: "peut-être que vous voulez partir, vous aussi"(Jn 6:67)».

LE «SEIGNEUR DE L'HISTOIRE»

Nous sommes destinés à triompher parce que nous sommes du côté du «Seigneur de l'Histoire». Le Crucifié et Ressuscité est le «Seigneur de l'histoire» non seulement parce que l'histoire universelle aboutira à ses pieds et reconnaîtra sa domination absolue: il est le «Seigneur de l'histoire» parce qu'il est capable aussi d'interférer sous une forme exceptionnelle dans nos affaires et peut toujours en retourner en faveur des croyants les situations qui semblent les plus désespérées. Il peut intervenir et, de fait, il intervient parfois de façon inattendue.
L'Eglise de Milan nous offre à cet égard deux exemples impressionnants et convaincants; et justement dans les deux tournants déterminants de son voyage millénaire.

Après les vingt années d'épiscopat d'Auxence (cf. ICI), un homme à la foi empoisonnée, en cheville avec l'impératrice arienne Justine et instrument docile des empiétements de la cour dans la vie de la «nation sainte», humainement parlant, personne n'aurait parié un sou sur la renaissance du catholicisme milanais. Mais Ambroise est venu et tout a changé. En 374 «après la mort tardive d'Auxence - écrit saint Jérôme dans son Chronicon - à Milan Ambroise devint évêque et toute l'Italie retourna à la vraie foi». Le mettre à la tête de l'Eglise de la capitale, la résidence de l'empereur, était dans les projets de Valentinien et de sa cour; mais c'était également la volonté secrète du Seigneur de l'histoire.

Dans la seconde partie du XVIe siècle, après la longue période d'indisponibilité de facto des pasteurs nommés (avec l'épiscopat, entre autre, de deux prélats mondains de Ferrare: Hippolyte I et Hippolyte II d'Este) personne ne pouvait espérer décemment une renaissance de la chrétienté ambrosienne. Mais en 1566, arriva Charles Borromée, qui fut nommé cardinal et archevêque alors qu'il était à peine plus qu'un jeune garçon et ainsi commença la vraie "Réforme catholique".

Dans les deux cas, le "miracle" fut accompli en utilisant les distorsions des comportements humains. Le choix épiscopal d'Ambroise, un fonctionnaire loyal et habile, était dans les plans de l'Empereur pour accroître sa politique d'ingérence dans la vie de l'Eglise. La carrière de Charles Borromée était dûe au nepotisime déplorable du pape Pie IV, frère de sa maman.
C'est une fois de plus l'humour de Dieu qui s'amuse à tirer le bien du mal. Comme on le voit, même dans les saisons les plus déprimantes, le peuple des croyants peut toujours regarder en haut, prier avec sérénité et espérance.

LE "CHRIST AUJOURD'HUI"

Il nous reste une dernière annotation qui aide notre confiance et notre joie, même dans les circonstances les plus difficiles de l'histoire ecclésiale.
Dans la Lettre aux Hébreux, il y a un mot singulièrement intense et éclairant: «Jésus-Christ est le même hier, aujourd'hui et éternellement» (Héb 13,8). Ce Jésus qui comble en soi la totalité du parcours des fils d'Adam et lui donne un sens ("hier") et qui vit et règne avec le Père dans l'éternité ("éternellement"), n'a pas fui dans les jours incertains et inquiets dans lesquels nous nous trouvons à vivre ici-bas ("Aujourd'hui"). Il ne nous a pas laissés seuls: il continue à être actif et puissant parmi nous.

Aucun pouvoir mondain ne parviendra jamais à intimider la «nation sainte», qui sait avoir avec elle le "Seigneur des armées". Aucune faiblesse de notre part, à nous laisser avilir, si nous n'oublions pas que celui qui assume les choses faibles pour confondre les choses qui semblent fortes (cf. 1 Cor 1:27) marche avec nous. Aucune stérilité apparente de notre travail et de notre service ne peut nous faire baisser les bras, si nous restons conscients que le Ressuscité, réellement présent dans nos rassemblements et à nos célébrations continue à répandre son énergie divine; une énergie capable d'atteindre sous les formes les plus inattendues les âmes de ceux qui semblent très éloignés de lui et de nous, et même de s'insinuer dans les consciences que nous considérons comme imperméables.

LA COMMUNAUTÉ COSMIQUE

Le chrétien qui se laisse imprégner de cette vision des choses acquiert la conscience d'être le sujet et le destinataire d'une communion transcendante impliquant le ciel et la terre.
Il s'agit d'une "communauté cosmique" dans laquelle entrent, avec les trois Personnes divines, la Vierge Marie, les armées des anges, tous les enfants d'Adam dans la mesure où l'Esprit Saint a inspiré en eux une réponse docile à l'amour de Père; et même, toute autre créature qui a été rendue «sacrée» par le même Esprit.
Le fait de ne plus se percevoir comme un fragment, emprisonné dans sa finitude et effrayé par son caractère provisoire, et se sentir au contraire rassuré et dilaté dans ce "tout" est pour l'homme la découverte de sa fortune et de sa victoire inaliénable. Ainsi, apaisé de ses inquiétudes et spirituellement enrichi, il est placé dans un état de bonheur initial, qui va atteindre la plénitude dans la contemplation dévoilée de la vie éternelle.

"NOUS SERONS LES GRANDS VAINQUEURS"

Saint Paul s'est passionné plus qu'aucun autre pour les fortunes changeantes de sa bien-aimée communauté et nous a confié à plusieurs reprises l'amertume et la souffrance pour ses échecs apostoliques. Pourtant, il n'a jamais douté de sa condition invincible de "victorieux".
A lui qui, pour exprimer son optimisme sur notre sort, n'a pas hésité à utiliser un mot tout à fait inhabituel, nous voulons réserver le dernier mot:

«Dans toutes ces choses nous sommes plus que vainqueurs grâce à Celui qui nous a aimés» (Rm 8,37)