Synode: des cardinaux répondent à Spadaro

Après l'exégèse contestée du conseiller de prédilection du Pape, dans la Civiltà Cattolica, les cardinaux Sarah, Napier et Pell disent attendre de François une parole claire et en pleine continuité avec le magistère précédent de l'Église. Synthèse de Sandro Magister sur <Settimo Cielo>

>>> Articles reliés:
¤ L'article de Chiesa qui analyse l'éditorial du Père Spadaro: François se tait mais un autre jésuite parle pour lui
¤ Sur mon site: Le cardinal Burke corrige Spadaro

 

Dit au père Spadaro, pour que François comprenne

Sandro Magister
8 décembre 2015
Settimo Cielo
Traduction d'Anna

<Settimo Cielo> et <www.chiesa> ont donné une grande publicité à l'article avec lequel le père Antonio Spadaro a tiré les conclusions du Synode sur la famille, "ouvrant" à la communion aux divorcés remariés. Des conclusions qui sont les siennes, mais aussi estampillées par le pape François, comme c'est le cas pour chaque article stratégique de "La Civiltà Cattolica", désormais devenue le "house organ" de Sainte Marthe (cf. sur <www.chiesa>: François se tait mais un autre jésuite parle pour lui)
Le fait est que depuis la sorie de son article, Spadaro a essuyé de nombreux tirs, et pas des moindres. Dont même le pape François ne pourra pas se considérer à l'abri, si dans les conclusions qu'il tirera du synode il dit les mêmes choses que celles anticipées par son confrère de "La Civiltà Cattolica".

Une première bordée contre l'exégèse "ouverturiste" du Synode faite par Spadaro a paru sur www.chiesa, par la plume du théologien de New York Robert P. Imbelli, une des signatures réputées de "L'Osservatore Romano" (cf. sur <www.chiesa>: Le synode a perdu son chemin, mais il y a la boussole du jésuite)
Mais ensuite, deux cardinaux sont entrés dans l'arène contre Spadaro, parmi les plus compétents en matière de mariage canonique et d'eucharistie: l'américain Raymond L. Burke, ancien président du tribunal suprême de la signature apostolique, et le guinéen Robert Sarah, préfet de la congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements.

Le cardinal Burke a réfuté les positions de Spadaro dans une note parue sur le National Catholic Register, dont les passages principaux importants ont été traduits en italien ici (cf. sur <benoit-et-moi>: Le cardinal Burke corrige Spadaro)
De son côté, le cardinal Sarah a critiqué le directeur de "La Civiltà Cattolica" dans une longue interview à Armin Schwibach, professeur de philosophie à l'Athénée Pontifical "Regina Apostolorum" de Rome, pour l'agence autrichienne Kath.net (cf. sur <kath.net>: La vérité du mariage et la porte de la conversion).

Le passage "ad hoc" de l'interview à Sarah est rapporté en Annexe I.

Mais il est utile de signaler que deux autres cardinaux de premier plan sont intervenus contre l'exégèse du synode faite par Spadaro, sans le citer expressément.
L'un est le cardinal sud-africain Wilfrid Napier, lui aussi dans une interview à Kath.net: "Napier: j'attends une ferme confirmation de l'enseignement de l'Église". [Annexe II].

Et l'autre est le cardinal australien George Pell, préfet du Secrétariat pour l'Économie du Saint Siège, dans une homélie dans la basilique romaine de Saint Clément, le 23 novembre, jour de sa fête liturgique.
La conclusion de l'homélie de Pell est en Annexe III.

Sarah, Napier et Pell sont trois des signataires de la fameuse "lettre des treize cardinaux" remise au pape au début du synode. Et tous les trois ont été promus à des fonctions importantes par le pape François lui-même: Sarah comme préfet de la congrégation pour le culte divin, Pell comme préfet du secrétariat pour l'économie et Napier comme co-président délégué du synode sur la famille.

Tous les trois disent ouvertement attendre du pape François, au sujet des thèmes discutés au synode, une parole claire et en pleine continuité avec le magistère précédent de l'Église.

Annexe I

L'interview du cardinal Sarah par Armin Schwibach


Q: Dans un article de "La Civiltà Cattolica" son directeur, Antonio Spadaro, parle explicitement d'une "porte ouverte" pour l'Eucharistie aux divorcés remariés. Le Jésuite écrit : «Le pasteur aura toujours le devoir de trouver un chemin qui corresponde à la vérité et à la vie des personnes qu'il accompagne, sans pouvoir peut-être expliquer à tous pourquoi ils prennent une position plutôt qu'une autre. L'Église est le Sacrement du Salut. Il y a beaucoup de chemins et beaucoup de dimensions à explorer pour le bien de la "salus animarum". En ce qui concerne l’accès aux sacrements, le synode ordinaire en a donc effectivement posé les bases, ouvrant ainsi une porte qui, au contraire, était restée fermée lors du précédent synode».
En tant que père synodal qui connaît les paragraphes controversés 84-86 de la "Relatio Synodi", comment jugez-vous ces affirmations d'un autre membre du synode qui interprète de cette manière ses résultats? Le discours d' "ouvrir une porte" n'équivaut-il pas à un "changement", toujours nié, de la doctrine sur l'indissolubilité du mariage, qui est impossible? Des affirmations de ce genre n'augmentent-elles pas les incertitudes et perplexités des fidèles, comme cela s'est très sensiblement produit pendant ces deux années?

R. Le Synode a voulu aider et accompagner ces baptisés qui se trouvent dans une situation de vie contraire aux paroles de Jésus. Et il a annoncé que la porte est toujours ouverte pour eux, puisque Dieu ne cesse d'appeler à la conversion et d'agir dans leur cœur pour régénérer leur désir vers la vie pleine que Dieu nous a annoncée.
Certainement, proposer des voies qui ne conduisent pas à cette vie pleine n'est pas "ouvrir les portes". La porte que Dieu ouvre nous conduit toujours à lui, à la demeure où nous pouvons vivre sa vie. Le péché ferme la porte de la vie. Admettre une personne à la communion eucharistique lorsqu'elle vit en contradiction manifeste avec les paroles du Christ signifie ouvrir une porte qui ne conduit pas au Christ, à savoir fermer la vraie porte de la vie. Rappelons-nous: la porte c'est Jésus, l'Église ne peut ouvrir que cette porte; le pasteur qui ne peut pas entrer par cette porte n'est pas un vrai pasteur. Car "celui qui n'entre point par la porte dans la bergerie, mais qui y monte par ailleurs, est un voleur et un brigand. Mais celui qui entre par la porte est le pasteur des brebis. En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis." (Jn, 10, 1-2.7).
Le document du synode (nn. 84-86) n'affirme rien d'autre et le texte écrit est le seul sûr pour interpréter correctement ce que le synode a voulu dire. Le document parle du devoir du pasteur d'accompagner les personnes, sous la conduite de l'évêque, mais il ajoute aussi, et cela est très important, que l'accompagnement doit se faire "selon l'enseignement de l'Église". Cet enseignement inclut sans aucun doute la lecture non déformée, mais complète et fidèle de "Familiaris Consortio" n.84 et de "Sacramentum caritatis" n.29, ainsi que du Catéchisme de l'Église Catholique.
L'accompagnement, qui tiendra compte des circonstances concrètes, a un objectif commun: conduire la personne vers une vie en accord avec la vie et la parole de Jésus; et, au bout du chemin, la décision d'abandonner la nouvelle union ou de vivre en elle dans la continence absolue. Renoncer à cet objectif c'est renoncer aussi au chemin.
Il est vrai que le texte ne répète pas explicitement cet enseignement, et en ce sens il a été interprété de différentes manières par la presse. Mais c'est une interprétation abusive, trompeuse, qui en déforme la signification. Le texte ne parle jamais de donner l'eucharistie à ceux qui continuent de vivre d'une façon qui lui est manifestement contraire. S'il y a des silences, ils doivent être interprétés selon l'herméneutique catholique, c'est à dire à la lumière du magistère précédent et constant, un magistère qui n'est jamais nié par le texte. En d'autres mots, aux divorcés remariés civilement la porte de la communion eucharistique reste fermée par Jésus lui-même qui a dit: "celui qui répudie sa femme, si ce n'est pour adultère, et en épouse une autre, commet un adultère. Que l'homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni! "(Mt, 19, 9.6).
[La porte] est fermée par "Familiaris Consortio", n. 84, par "Sacramentum Caritatis" n. 29 et par le Catéchisme de l'Église Catholique. Enfoncer cette porte ou rentrer par un autre côté signifie réécrire un autre évangile et s'opposer à Jésus Christ Notre Seigneur. Je suis tout à fait certain que le pape François interprète les numéros 84-86 de la Relation synode en parfaite continuité et fidélité à ses prédécesseurs. En effet, dans une interview au quotidien argentin "La Nación" il a affirmé: "Que faisons nous avec eux, quelle porte peut-on ouvrir? Il y a une inquiétude pastorale, et alors, allons-nous leur donner la communion? Ce n'est pas une solution que de leur donner la communion. Ceci uniquement n'est pas la solution, la solution est l'intégration".

Il est vrai qu'il existe de "nombreux parcours et dimensions à explorer", comme le père Spadaro l'indique. Je voudrais seulement ajouter que ceux-ci sont des parcours vers un objectif. Et que cette finalité pour l'Église ne peut être qu'une seule: conduire la personne à Jésus, mettre la vie en syntonie avec Jésus et son enseignement sur l'amour humain et conjugal. L'accès à l'eucharistie, qui est la communion avec le corps de Jésus, est ouvert pour tous ceux qui sont prêts à vivre dans leur corps selon la parole de Jésus. Si l'Église ouvre la porte vers une autre finalité, vers un autre lieu, alors celle-ci n'est pas la porte de la miséricorde. Il s'agirait alors d'un vrai changement de la doctrine, car toute doctrine, comme celle sur l'indissolubilité du mariage, est confessée en premier lieu là où l'eucharistie est célébrée. Lorsqu'un chrétien dit "Amen" en recevant l'eucharistie il affirme non seulement que l'eucharistie est le corps de Jésus, mais aussi qu'il veut conformer à lui sa propre vie dans son corps, conformer à Jésus ses relations, car il croit que la parole de Jésus est parole de vraie vie.

Cela signifie qu'il y a un chemin, qu'il y a une espérance aussi pour ceux qui vivent éloignés, et ce synode a voulu le réaffirmer. Si ces personnes ne se sentent pas prêtes à vivre selon la parole de Jésus, alors il est du devoir de l'Église de leur rappeler, avec patience, délicatesse et miséricorde qu'ils appartiennent à l'Église, qu'ils sont enfants de Dieu. Il est du devoir de l'Église de les accompagner afin qu'elles puissent s'approcher de Jésus en de nombreuses manières, prenant part à la célébration liturgique, contribuant aux œuvres de charité et de miséricorde, à la mission de l'Église… Dès qu'elles seront plus proches de Jésus, elles pourront mieux comprendre ses paroles, pourront être convaincues de la force de Dieu dans leur vie qui rend possible la conversion, l'abandon du péché et la rupture totale avec celui-ci.

Certes, l'accompagnement se fait au cas par cas, comme aussi la préparation au mariage est faite au cas par cas. Mais cela ne signifie pas qu'à ceux qui se préparent au mariage l'Église offre différents types de mariage, de durées différentes selon les cas individuels. Le mariage auquel ils se préparent est toujours le même, tout comme est toujours le même l'objectif pour les divorcés remariés. C'est ainsi parce que nous vivons en commun, nous ne sommes pas des monades, nous partageons le même appel à la sainteté et à une même vocation à l'amour, celle qui justement est contenue dans le mariage monogame, stable et indissoluble.

Annexe II

Le cardinal Napier


Napier: J'attends une forte réaffirmation de l'enseignement de l'Église
Le cardinal sud-africain: Au Synode des Évêques les médias occidentaux "poursuivaient de manière évidente un agenda".

kath.net

* * *

Kath.net: Le synode est à présent terminé, et ses résultats ont été publiés. Que pensez-vous que le Pape François va faire maintenant avec ces résultats? A quoi pouvons-nous nous attendre?

Cardinal Napier: En revenant sur les deux derniers synodes, j'identifie une claire évolution partant d'un fort accent sur les problèmes et défis auxquels la Famille est confrontée, vers un examen plus attentif de ce que Dieu attend de la Famille qu'il a établie depuis le début, qu'il a appelée à élever et prendre soin des enfants et qu'il a ensuite envoyée bâtir l'Église et la Société.
Alors que de nombreuses interventions ont continué à mettre en évidence deux problèmes spécifiques, beaucoup de Pères Synodaux ont gardé ce thème à l'esprit et se sont donc concentrés sur ce que l'Eglise doit faire pour clarifier auprès des familles que leur appel est un réel appel de Dieu - croître et se multiplier, de manière à prendre soin de toute la Création de Dieu
J'attends du Pape François qu'il fasse clairement la lumière sur ce que les couples mariés doivent faire pour construire des mariages solides par le Sacrement du Mariage et une vie de famille bien structurée qui mette l'accent sur la Prière, les dévotions et les Sacrements, tous célébrés ensemble comme une Famille!
Nous attendons une forte réaffirmation de l'enseignement de l'Église avec un fort accent sur la préparation et l'accompagnement des nouveaux époux et de ceux en des situations difficiles.

Kath.net: La couverture des médias, au moins aux USA et en Europe, s'est nettement concentrée sur les catholiques divorcés remariés. Pensez-vous qu'il y avait d'autres sujets importants au synode des évêques qui n'ont pas été suffisamment mentionnés dans la couverture médiatique?

Cardinal Napier: Si vous considérez que le thème était "La vocation et la mission de la Famille dans l'Église et la société moderne", [à voir] l'obsession des médias occidentaux avec les divorcés civilement remariés et les "familles" homosexuelles, vous ne pouvez pas ne pas penser qu'ils poursuivaient de manière évidente un agenda.
Ma lecture du Synode, et cela apparaît dans le document final, est que la plupart des pères synodaux, en particulier ceux d'Afrique, voulaient que le Synode adopte des mesures préventives par une préparation rigoureuse et un accompagnement attentif des jeunes gens en général, à travers une bonne catéchèse; des nouveaux mariés pendant les 5-7 premières années, ainsi que de ceux en des circonstances particulières - les divorcés remariés, les familles avec des membres ayant attirance pour le même sexe, les familles monoparentales, des familles gouvernées par des enfants.

Kath.net: Quel était pour vous le sujet le plus important dans le synode de cette année?

Cardinal Napier: Pour moi, les sujets principaux étaient la préparation rigoureuse qui est essentiellement discernement de sa propre vocation, que ce soit le mariage, la prêtrise, la vie religieuse ou le célibat. Une telle préparation au mariage consiste essentiellement à apprendre comment établir, entretenir et vivre de bonnes et saines relations avec les autres en accord avec la vocation que Dieu a donnée à chacun.
Le deuxième thème d'intérêt était celui de l'accompagnement par lequel l'Église aide ceux qui entrent en des phases nouvelles de la vie, la réponse aux problèmes et défis les plus importants de chaque étape.

Kath.net: Le Synode a été caractérisé par une discussion ouverte tout à fait inhabituelle, quelques remarques non seulement de la part de laïcs mais aussi de cardinaux ont paru étonnamment sévères. Était-ce une évolution normale?

Cardinal Napier: Un aspect remarquable des sessions du synode depuis que le pape François nous a invités à parler ouvertement et avec franchise, mais à écouter avec humilité, a été l'ouverture et la franchise des discussions, dans la Salle Synodale mais surtout dans les groupes restreints de discussion.
Personnellement, j'ai entendu un débat très franc et honnête, mais pas la dureté que j'ai entendu s'être manifestée en d'autres groupes.
Je n'ai toutefois détecté aucun malaise ou animosité dans la Salle Synodale, même quand il y avait du désaccord.

(...)

Annexe III

Le cardinal Pell


www.basilicasanclemente.com

Certains ont voulu dire, à propos du récent synode, que l'Église est confuse et répand la confusion, dans son enseignement sur la question du mariage. Ce n'est pas le cas. La doctrine de l'église sur la sexualité, le mariage et la famille continue de se fonder sur l'enseignement propre de Jésus au sujet de l'adultère et du divorce. L'enseignement de saint Paul sur les dispositions adéquates pour recevoir la communion reste fondamental dans la question controversée de l'impossibilité de donner la communion aussi aux divorcés civilement mariés.

Une telle "possibilité" n'est même pas citée dans le document synodal. Nous attendons maintenant l'exhortation apostolique du Saint-Père, qui va encore une fois exprimer la tradition essentielle de l'Église et soulignera que l'appel au discernement et au for intérieur peut être utilisé uniquement pour mieux comprendre la volonté de Dieu, ainsi qu'elle est enseignée dans les Écritures et par le magistère, et ne peut jamais être utilisée pour mépriser, déformer ou réfuter l'enseignement établi par l'Église.

Prions ce soir pour notre Saint-Père François afin que, comme saint Clément, il prépare cet enseignement pour clarifier aux fidèles ce que signifie suivre le Seigneur, dans son Église, dans notre monde. En cette fête de saint Clément prions pour le pape François, afin qu'il continue à enseigner et à nous exhorter à suivre les vérités de la foi, qui sont toujours plus fortes qu'un aride laïcisme horizontal.