Le retour de Benoît XVI

Ma traduction du discours prononcé ce matin en recevant les deux doctorats honoris causa d' universités polonaises (mise à jour ultérieure; la voix de Benoît XVI en italien).


Le Saint-Père s'est exprimé en ltalien.
Il Sismografo reproduit intégralement le texte original, et sa traduction en allemand, langue dans laquelle le texte a été écrit.
Sur ce bref clip audio de Radio Vatican en italien, on peut entendre le voix du saint-Père émérite, redevenue claire et forte: media02.radiovaticana.va/audio/audio2/mp3/00484961.mp3

Voici ma traduction (*).
C'était un tel plaisir de retrouver la musique de son style et la limpidité de sa pensée.


ilsismografo.blogspot.fr/

Ce matin à Castel Gandolfo, le pape émérite Benoît XVI, a reçu un doctorat honorifis causa de l'Université pontificale «Jean-Paul II» à Cracovie et de l'Académie de Musique de Cracovie. C'est le Card. Stanislaw Dziwisz, archevêque de Cracovie, Grand Chancelier de l'Université Pontificale «Jean-Paul II» qui a remis les deux diplômes. Voici les mots de remerciements que Benoît XVI a prononcés lors de la cérémonie:

Eminence!
Magnificences!
Mesdames et Messieurs les professeurs!
Mesdames et Messieurs!


En ce moment, je ne peux qu'exprimer mon remerciement le plus grand et le plus cordial pour l'honneur que vous m'avez réservé en me conférant le doctoratus honoris causa. Je remercie le Chancelier, son Eminence le cher Cardinal Stanislaw Dziwisz, et les autorités académiques des deux universités. Je me réjouis surtout du fait que de cette manière, mon lien avec la Pologne, avec Cracovie, la patrie de notre grand saint Jean-Paul II est devenu encore plus profond. Parce que sans lui mon chemin spirituel et théologique n'est même pas imaginable. Avec son exemple vivant, il a aussi montré comment peuvent aller main dans la main la joie de la grande musique sacrée et la tâche de participation commune à la sainte liturgie, la joie solennelle et la simplicité de l'humble célébration de la foi.
Dans les années de l'après-Concile, sur ce point, une très ancienne opposition s'était manifestée avec une passion renouvelée. J'ai moi-même grandi dans la région de Salzbourg, marqué par la grande tradition de cette ville. Ici, il allait de soi que les messes festives accompagnées par le chœur et l'orchestre faisaient partie intégrante de notre expérience de foi dans la célébration de la liturgie. La façon avec laquelle, à peine retentissaient les premières notes de la Messe du Couronnement de Mozart, le ciel s'ouvrait presque et on éprouvait très profondément la présence du Seigneur, reste gravée dans ma mémoire de façon indélébile. A côté de cela, cependant, la nouvelle réalité du Mouvement liturgique était néanmoins déjà présente, en particulier à travers l'un de nos chapelins qui devint plus tard vice-régent puis recteur du grand séminaire de Freising. Pendant mes études à Münich, puis, très concrètement, je suis de plus en plus entré dans le Mouvement liturgique à travers les leçons du professeur Pascher, l'un des plus importants experts du Concile en matière liturgique, et surtout à travers la vie liturgique de la communauté du Séminaire. Ainsi, la tension entre la participatio actuosa conforme à la liturgie, et la musique solennelle qui enveloppait l'action sacrée, est devenue progressivement perceptible bien que je ne la ressentais pas aussi forte.
Dans la Constitution sur la liturgie de Vatican II (ndt: Sacrosanctum Concilium), il est écrit très clairement: «Le trésor de la musique sacrée sera conservé et cultivé avec la plus grande sollicitude» (§114). D'autre part, le texte souligne, comme catégorie liturgique fondamentale, la participatio actuosa de tous ls fidèles à l'action sacrée. Ce qui dans la Constitution restait encore ensemble pacifiquement, par la suite, dans la mise en œuvre du Concile, a souvent été dans un rapport de tension dramatique. Des milieux significatifs du Mouvement liturgique considéraient que, pour les grandes œuvres chorales et même pour les messes pour orchestre, à l'avenir il y aurait de la place seulement dans les salles de concert, pas dans la liturgie. Ici, il ne pouvait y avoir de place que pour le chant et la prière des fidèles. D'autre part, on craignait l'appauvrissement culturel de l'Église qui en résulterait nécessairement. Comment concilier les deux? Comment mettre en œuvre le Concile en entier? Telles étaient les questions qui s'imposaient à moi et à beaucoup d'autres fidèles, aux gens simples, non moins qu'aux personnes en possession d'une formation théologique.

A ce stade, peut-être est-il juste de poser la question fondamentale: Qu'est réellement la musique? D'où vient-elle et à quoi tend-elle?
Je pense qu'on peut localiser trois «lieux» où naît la musique.
Un de ses premières sources est l'expérience de l'amour. Quand les hommes furent saisis par l'amour, une autre dimension de l'être commença à s'ouvrir à eux, une nouvelle grandeur et amplitude de la réalité. Et elle les poussa également à s'exprimer de manière nouvelle. La poésie, le chant et la musique en général sont nés de cet «être touchés», de ce déploiement d'une nouvelle dimension de la vie.

Une deuxième origine de la musique est l'expérience de la tristesse, avoir été touché par la mort, la douleur et les abîmes de l'existence. Dans ce cas aussi s'éclosent, dans la direction opposée, de nouvelles dimensions de la réalité qui ne peuvent plus trouver de réponse dans les seuls discours.

Enfin, le troisième lieu d'origine de la musique est la rencontre avec le divin, qui depuis le début fait partie de ce qui définit l'humain. A plus forte raison, c'est là qu'est présent le totalement autre et le totalement grand qui suscite de nouvelles façons de s'exprimer. Peut-être est-il possible d'affirmer qu'en réalité, dans les deux autres domaines aussi - l'amour et la mort - le mystère divin nous touche et, dans ce sens, c'est l'«être touchés» par Dieu, qui, globalement, constitue l'origine de la musique. Je trouve émouvant d'observer comment par exemple dans les Psaumes, le chant lui non plus ne suffit plus aux hommes, et on fait appel à tous les instruments: la musique cachée de la création, son langage mystérieux, se trouvent réveillés.
Avec le Psautier, dans lequel opèrent aussi les deux motifs de l'amour et de la mort, nous nous trouvons directement à l'origine de la musique de l'Église de Dieu. On peut dire que la qualité de la musique dépend de la pureté et de la grandeur de la rencontre avec le divin, avec l'expérience de l'amour et de la douleur. Plus pure et plus vraie sera cette expérience, plus pure et plus grande sera la musique dont elle naît et se développe.

A ce point, je voudrais exprimer une pensée qui ces dernières années m'a saisi de plus en plus, d'autant plus que les différentes cultures et religions entrent en relation entre elles. Dans le cadre des cultures et des religions les plus variées, il existe une grande littérature, une grande architecture, une grande peinture et de grandes sculptures. Et partout, il y a aussi de la musique. Et pourtant, dans aucune culture il n'existe une musique d'une grandeur comparable à celle née dans le contexte de la foi chrétienne: de Palestrina à Bach, Handel, jusqu'à Mozart, Beethoven et Bruckner. La musique occidentale est quelque chose d'unique, qui n'a pas d'égal dans d'autres cultures. Cela devrait nous faire réfléchir.

Bien sûr, la musique occidentale va bien au-delà du domaine de la religion et de l'Église. Et pourtant, elle trouve toujours sa source la plus profonde de la liturgie dans la rencontre avec Dieu. Chez Bach, pour lequel la gloire de Dieu est le but ultime de toute la musique, cela est tout à fait évident. La réponse grande et pure de la musique occidentale s'est développée dans la rencontre avec ce Dieu qui, dans la liturgie, se rend présent pour nous dans le Christ Jésus. Cette musique, pour moi, est une démonstration de la vérité du christianisme. Là où se développe une telle réponse, s'est réalisée la rencontre avec la vérité, avec le vrai créateur du monde. Pour cette raison, la grande musique sacrée est une réalité de rang théologique et de signification permanente pour la foi de toute la chrétienté, même s'il n'est pas du tout nécessaire qu'elle soit exécutée toujours et partout. D'autre part, cependant, il est également clair qu'elle ne peut pas disparaître de la liturgie et que sa présence peut être une manière tout à fait spéciale de participation à la célébration sacrée, au mystère de la foi.
Si nous pensons à la liturgie célébrée par Saint Jean-Paul II dans tous les continents, nous voyons toute l'étendue des possibilités expressives de la foi dans l'événement liturgique; et nous voyons aussi combien la grande musique de la tradition occidentale n'est pas étrangère à la liturgie, mais est née et a grandi par elle, et de cette manière contribue toujours de nouveau à la façonner.
Nous ne connaissons pas l'avenir de notre culture et de la musique sacrée. Mais une chose est claire: là où advient réellement la rencontre avec le Dieu vivant, qui dans le Christ vient à nous, là naît et grandit aussi à nouveau la réponse, dont la beauté provient de la vérité elle-même.

Les activités des deux universités qui me confèrent ce doctorat honorifis causa sont une contribution essentielle afin que le grand don de la musique qui provient de la tradition de la foi chrétienne, demeure vivant et contribue à ce que la force créatrice de la foi ne s'éteigne pas, même dans l'avenir.
Pour cela, je remercie sincèrement chacun d'entre vous, non seulement pour l'honneur que vous m'avez réservé, mais aussi pour tout le travail que vous faites au service de la beauté de la foi.
Le Seigneur vous bénisse tous.

(*) Message personnel:
"Les textes de Benoît XVI appartiennent à toute l'Eglise"... certes... mais dans la langue où ils sont accessibles au moment où on les utilise (y compris si c'était du chinois ou du latin). Si ce n'est pas le cas, il est correct de citer sa source... (voir ici: benoit-et-moi.fr/2015-I/navigation-et-copyright)