Anecdotes diverses autour de François


tirées de ses dernières interviews (par Scalfari et par le P. Spadaro); et deux décisions qui suscitent la perplexité. Le tout rapporté avec humour et impertinence par Giuseppe Rusconi, dont les "notes" ne sont pas le moins intéressant! (18/11/2016)


>>> Scalfari: le Pape récidive

>>> L'entretien avec le Père Spadaro remonte à juillet dernier, il sert d'introduction à un recueil de ses homélies de Buenos Aires édité en italien sous le titre Nei tuoi occhi è la mia parola, dont nous avons déjà parlé...

 

Spadaro, Scalfari: François nous a dit ...
(avec quelques notes)


Giuseppe Rusconi
www.rossoporpora.org
14 Novembre, 2016
Ma traduction

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Petit florilège de réponses papales extrapolées de récentes conversations avec le père Antonio Spadaro et Eugenio Scalfari. Homélies et pétards, peuple et mythe, liturgie et nostalgie dans «Dans tes yeux est ma parole - homélies et discours de Buenos Aires 1999-2013» (Rizzoli); Chrétiens et communistes dans la conversation avec Scalfari.


Jeudi 10 Novembre la grande Salle jésuite de la Curie généralice de Borgo Santo Spirito a accueilli la présentation (très stimulante) du recueil d'homélies et de discours de Jorge Mario Bergoglio comme archevêque de Buenos Aires (1999-2013). Publié par Rizzoli, le recueil est introduit par une ample discussion - qui a eu lieu le 9 Juillet - du "curateur", le Père Antonio Spadaro, avec François.
Puis, vendredi 11 Novembre, la Repubblica est sortie avec le compte rendu d'une autre conversation excellente, (et très «politique») entre le pape et le fondateur, Eugenio Scalfari. Comme on le sait, le Fondateur [titre ironique donné par les Italiens au très suffisant Scalfari] n'emmène avec lui ni enregistreur ni bloc-notes, mais conserve tout dans sa mémoire, à laquelle il fait appel quand ensuite il "transvase" les questions et les réponses dans les pages (où les termes rapportés sur le papier ne correspondent probablement pas toujours à ceux qui sont effectivement prononcés ... mais cela n'a rien de nouveau, le pape le sait et manifestement l'accepte, si bien que certains saints doutes sismographiques [du "Sismografo" dont on sait que le directeur a quelque contentiieux avec le responsable de <Rosso Porpora>] exprimés le lundi 14 Novembre par Luis Badilla sur la valeur de la conversation en raison des méthodes bien connus de Scalfari [cf. Scalfari: le Pape récidive] - résonnent comme étranges et hors de propos).
En revanche, comme transcripteur dans les pages, on peut faire confiance au P. Spadaro, parce que des enregistreurs - par sécurité - il en apporte toujours trois.
Voici quelques passages qui paraissent significatifs de la personnalité François, nous permettant de mieux cadrer sa figure, de façon plus réaliste.

Mais tout d'abord, nous ne pouvons pas ne pas signaler un fait intéressant car il concerne les élections américaines et que d'une certaine façon il "implique" aussi François. Selon les sondages d'opinion faits à la sortie des urnes, 52% des catholiques et 60% des protestants ont voté pour Trump, jusque-là peut-être pas un exemple édifiant de bon citoyen en lui-même, mais surtout "excommunié" en tant que chrétien par François 18 Février sur le vol de retour de Mexico. Un tel fait ne suggère-t-il pas au moins un peu de réflexion? Peut-être une petite pensée sur le fait que dans le vote pour Trump (en particulier chez les nombreuses personnes qui ont d'abord exprimé avec leur vote non pas une appréciation particulière pour le magnat, mais la volonté de barrer la route à son adversaire) s'est concrétisé à grande échelle un authentique oecuménisme "électoral" fondé sur les "principes non négociables", mis au rebut au son des trompettes et qui aujourd'hui s'avèrent en réalité encore très vivants dans une partie consistante de la "base" catholique et protestante américaine. Pour notre part, nous renvoyons à l'article du 11 Octobre dans ce même site "Des ponts, pas des murs: François propose, beaucoup de catholiques disposent" [cf. Des ponts, pas des murs]. De plus, le 12 novembre lors de la manifestation pour le "NON" au référendum du 4 Décembre promu par deux associations de laïcs catholiques comme le Family day et le Mouvement des travailleurs chrétiens, l'évocation de la victoire de Trump («l'ensemble de l'establishment était pour Hillary Clinton et Trump a gagné») - a déclenché une salve nourrie d'applaudissements. Une dernière remarque sur le sujet: Samedi 19 Novembre, il y aura trois nouveaux cardinaux américains, tous les trois "progressistes" ... et, si nous nous en tenons aux données sur le vote catholique, ils formeront un mini-consistoire de perdants chez eux.

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CONVERSATION D'INTRODUCTION DE "DANS TES YEUX EST MA PAROLE"


HOMÉLIES ET MÉMOIRE: Habituellement, en fait, je ne me souviens pas des homélies passées. L'homélie pour moi est quelque chose de tellement lié à l'histoire concrète du moment qu'elle peut ensuite être oubliée [ndt: en effet, en ce qui concerne les siennes!!]. Elle n'est pas faite pour être rappelée par le prédicateur, qui au contraire est toujours poussé vers l'avant.

HOMÉLIES ET PEUPLE: Quand au séminaire, ils nous enseignaient l'homilétique, je ressentais déjà une forte aversion pour les feuilles surlesquelles tout est écrit. Et de cela, je me souviens bien. J'étais et je suis convaincu qu'entre le prédicateur et le peuple de Dieu, il ne doit rien y avoir au milieu. Il ne peut pas y avoir de papier. Quelque petite note écrite oui, mais pas tout. Je me souviens bien de cela. Et je l'ai aussi dit à l'école, à l'époque. Le professeur a été étonné. Il m'a demandé pourquoi j'étais si opposé à la préparation de toute l'homélie. Et j'ai répondu: «Si vous lisez, vous ne pouvez pas regarder les gens dans les yeux».

LES HOMÉLIES DE SAINTE MARTHE: je commence la veille. A midi le jour précédent. Je lis les textes du jour et, en général, je choisis l'une des deux lectures. Puis je lis à haute voix le passage que j'ai choisi. J'ai besoin d'entendre le son, d'écouter les mots. Et puis je souligne dans le livre que j'utilise ceux qui me touchent le plus. Je fais des petits cercles sur les mots qui me frappent. Ensuite, pendant le reste de la journée, les mots vont et viennent pendant que je fais ce que je dois faire: je médite, je réfléchis, je goûte les choses ... Il y a des jours, cependant, où j'arrive au soir et où rien ne me vient à l'esprit, où je ne sais pas ce que je vais dire le lendemain. Alors je fais ce que dit saint Ignace: je dors dessus. Et alors dès que je me réveille, l'inspiration vient. Il vient des choses justes, parfois fortes, parfois plus faibles. Mais c'est ainsi: je me sens prêt.

PARFOIS, JE DONNE DES COUPS, MÊME JÉSUS L'A FAIT ...: Parfois, je donne des coups. Parfois il faut donner des coups, parfois stimuler, parfois l'un et l'autre en même temps. Jésus l'a fait aussi. Lisez les béatitudes de Luc: «Heureux, heureux, heureux ... gare, garde, gare ..."

LES PÉTARDS DU DIABLE: je faisais le pasteur surtout avec les enfants. (...) Dans la fête des enfants (...) nous brûlions le diable. C'était une façon de faire avec les enfants la méditation des deux drapeaux de saint Ignace (ndt: un sujet apparemment récurrent, dont le Pape a déjà parlé en juillet 2015 lors de la rencontre avec les jeunes au cours du voyage au Paraguay). D'un côté, il y avait le diable et de l'autre un ange. Je préparais un grand diable en tissu et je mettais des pétards à l'intérieur. On faisait une catéchèse. Ensuite, nous projetions un film pour les garçons, et les filles, en revanche allaient jouer. Ensuite , le goûter .. et puis nous allions du Collège Massimo à la paroisse. Nous allions comme en procession. Nous étions tous très sérieux. Les enfants le savaient et criaient: Brûlons le diable! Ensuite, on allumait le feu. Tout le monde criait. C'était une explosion de pétards! Les enfants s'amusaient. C'était un théâtre qui les aidait à apprendre. Pour moi, c'était une façon de leur faire faire le troisième exercice de la première semaine des Exercices Spirituels. Saint Ignace dans cet exercice veut stimuler la capacité de condamner le mal et de susciter la haine du péché.

LITURGIE ET RITE EXTRAORDINAIRE ... LE PAPE BENOÎT MAGNANIME ... MAIS «NO PASARAN!» (le Père Spadaro fait allusion à des propositions encourageant les prêtres à tourner le dos aux fidèles, à revenir sur Vatican II, à utiliser le latin. Et cela non seulement pour des petits groupes, mais pour tous): le pape Benoît a fait un geste juste et magnanime pour répondre à une certaine mentalité de certains groupes et de personnes qui avaient de la nostalgie et qui s'éloignaient. Mais c'est une exception. C'est pourquoi nous parlons de rite extraordinaire. L'ordinaire de l'Eglise, ce n'est pas cela. Il faut aller avec magnanimité à la rencontre de ceux qui sont liés à une certaine façon de prier. Mais l'ordinaire, ce n'est pas ça. Vatican II et Sacrosanctum Concilium doivent continuer comme ils sont. Parler de réforme de la réforme est une erreur. [Note de rédaction: voilà un jugement qui ne bénéficiera pas d'un consensus enthousiaste dans le collège des cardinaux ...]

LITURGIE ... AH, CES NOSTALGIQUES QUI SONT NÉS APRÈS LE CONCILE ... PEUT-ÊTRE À PSYCHANALYSER?: J'essaie toujours de comprendre ce qui se cache derrière les gens qui sont trop jeunes pour avoir connu la liturgie pré-conciliaire et qui pourtant la souhaitent. Parfois , je me suis retrouvé face à une personne très rigide, à une attitude de rigidité. Et je me demande: pourquoi tant de rigidité? Creuser, creuser, cette rigidité cache toujours quelque chose: l'insécurité, parfois même autre chose ...

PEUPLE ET MYTHE: Le peuple n'est pas une catégorie logique, ni une catégorie mystique, si nous l'entendons dans le sens que tout ce que fait le peuple est bon ou que le peuple est une catégorie angélique. Mais non! C'est éventuellement une catégorie mythique. Je le répète: mythique. Le peuple est une catégorie historique et mythique. Le peuple se fait dans un processus, avec l'engagement en vue d'un but ou d'un projet commun. L'histoire est construite par ce processus de générations qui se succèdent dans un peuple. Il faut un mythe pour comprendre le peuple. Lorsque vous expliquez ce qu'est un peuple, vous utilisez des catégories logiques parce que vous devez l'expliquer: il le faut, bien sûr. Mais vous n'expliques pas ainsi le sentiment d'appartenance au peuple. Le mot peuple a quelque chose de plus qui ne peut pas être expliqué logiquement.

L'HOMÉLIE? ELLE EST TOUJOURS POLITIQUE: L'homélie est toujours politique parce qu'elle se fait dans la 'polis', elle se fait au milieu du peuple. Tout ce que nous faisons a une dimension politique, et implique la construction de la civilisation. On peut dire que , même dans le confessionnal, quand vous donnez l'absolution, vous construisez le bien commun. Ceci est de la grande politique.

LES CHRÉTIENS? ILS NE DOIVENT PAS ÊTRE APOLITIQUES: On ne peut pas dire que les chrétiens sont apolitiques. Les chrétiens ne devraient pas être apolitiques. Il suffit de lire la Lettre à Diognète pour comprendre. Le citoyen est appelé à s'associer en vue du bien commun dans le dialogue avec toutes les forces vives de la société. Nous devons trouver de nouvelles formes de dialogue et de coexistence dans nos sociétés pluralistes. Nous devons accepter et respecter les différences, donner de l'espace à la rencontre et à la proximité.

LES OPPOSITIONS: les oppositions aident. La vie humaine est structurée sous forme oppositive. Et c'est ce qui se passe encore aujourd'hui dans l'Église. Les tensions ne sont pas nécessairement résolues et approuvées, elle ne sont pas comme les contradictions. [Note de rédaction: les oppositions aident? Comment réagira alors le pape François à la lettre de demande d'éclaircissements sur quelques passages du Chapitre VIII d'Amoris laetitia, signée par les Cardinaux Brandmüller, Burke, Caffara et Meisner (plusieurs autres la partagent, mais ils ne veulent pas - ou disent qu'ils ne peuvent pas - mettre leur nom) envoyée le 19 Septembre, restée sans réponse et diffusée lundi 14 Novembre dans plusieurs pays?


LA RENCONTRE DU 7 NOVEMBRE ENTRE LE PAPE FRANÇOIS ET SCALFARI, TELLE QU'ELLE EST RAPPORTÉE PAR CE DERNIER SUR LA REPUBBLICA DU 11 NOVEMBRE 2016



LA PLUS GRANDE PRÉOCCUPATION: Celle des réfugiés et des immigrés. En petite partie, ce sont des chrétiens mais cela ne change rien, pour nous, à la situation quant à leur souffrance et à leurs difficultés ; les causes sont multiples et nous faisons notre possible pour les supprimer. Pourtant, bien souvent, ce sont seulement des mesures contraires aux populations qui craignent de se voir enlever leur travail et réduire leur salaire (Ndr: n'y a-t-il pas par hasard quelque autre raison moins matérielle?). L’argent est contre les pauvres, non seulement contre les immigrés et les réfugiés (Ndr: une affirmation très curieuse). Il y a aussi des pauvres des pays riches lesquels ont peur d’accueillir leurs semblables venant des pays pauvres.

COMMUNISTES ET CHRÉTIENS: Il a été maintes fois dit et ma réponse a toujours été que, le cas échéant, ce sont les communistes qui pensent comme les chrétiens (Ndlr: en fait, ils les ont persécutés et ils les persécutent dans des circonstances indépendantes de leur volonté ...). Le Christ a parlé d'une société où les pauvres, les faibles, les marginalisés, ce sont eux qui décident (Ndlr: mais a-t-il vraiment dit cela? Si c'est oui, alors supprimons le droit de vote à tous les autres ...?). Pas les démagogues, pas les Barabbas, mais le peuple, les pauvres, qu'ils aient la foi dans le Dieu transcendant ou non, ce sont eux que nous devons aider pour obtenir l' égalité et la liberté.

ADVERSAIRES DANS L'ÉGLISE: Je ne dirais pas adversaires. La foi nous unit tous. Bien sûr, chacun de nous en tant qu'individus voit les mêmes choses différemment; objectivement le cadre est le même, mais subjectivement, il est différent. Nous nous le sommes dit de nombreuses fois, vous et moi.


Post-Scriptum


Ces jours-ci, deux changements ont été annoncés par le Vatican, concernant des moments traditionnels, mineurs (mais à notre avis non négligeables) de la vie de l'Etat pontifical et de l'Eglise. Ce sont deux changements qui, avec le recul, confirment l'image de l'Eglise chère à François, certes bien différente de celle de ses prédécesseurs.

Premier changement: le 9 Novembre, le Gouvernorat a publié un communiqué sur le «Saint Noël 2016», consacré à l'arbre (offert par la ville de Scurelle, Trentin), et à la crèche de la place Saint-Pierre (offerte par Malte). L'inauguration - avec ascension [de l'arbre] - aura lieu quelques jours plus tôt que d'habitude, le 9 Décembre. L'extinction des lumières sera au contraire anticipée de près de quatre semaines: elle est fixée au 8 janvier, «jour où nous commémorons le Baptême du Seigneur, et où se conclut dans la liturgie le Temps de Noël». Nous ne verrons donc plus durant les après-midi et les soirées de Janvier (du 9 jusqu'au 2 Février), en particulier le dimanche, le traditionnel pèlerinage Place Saint-Pierre de familles romaines avec de jeunes enfants ou des amoureux, tous impatients de voir le grand arbre et la crèche artistique. On reste songeur devant cette partielle mise au rebut de facto de symboles chrétiens bien visibles, faite par un Pontife manifestement anti-règles au nom (oyez! oyez!) du respect des temps liturgiques. En compensation, le 14 Novembre, le Gouvernorat a annoncé, comme fruit de "Laudato si'", l'ouverture d'une "île écologique" à l'intérieur du Vatican, dans l'espoir qu'elle «puisse en quelque sorte devenir aussi un bel exemple d'état "vert" non polluant».

Deuxième changement: dans un "avis" du 11 Novembre, le Bureau des Célébrations Liturgiques communique que «les visites de courtoisie aux nouveaux Cardinaux auront lieu le samedi 19 Novembre de 16h30 à 18h30, dans la salle Paul VI». Là encore, c'est une nouveauté à signaler: la mise au rebut pour ces visites traditionnelles des salles des Palais Sacrés, certainement beaucoup plus «chaudes» que la froide Salle Paul VI. C'était aussi pour beaucoup l'occasion de voir ou de revoir, en gravissant le grand escalier majestueux du Bernin (à double rampe), la Salle Regia - avec des fresques du XVIe siècle, y compris celle de Vasari sur la bataille de Lépante (aïe, aïe ... aujourd'hui, "bataille" et "Lépante" sonnent mal, très mal à certaines oreilles ...) et la Salle Ducale. Dans ces lieux chargés d'histoire, parmi ceux qui ont reçu l'hommage populaire ces dernières années on trouve par exemple les cardinaux Parolin, Baldisseri, Müller, Stella, Mamberti, Harvey, Tagle, Bertello, Calcagno, Veglio, Filoni, le cardinal patriarche maronite raï. Grand mouvement, grande foule, bousculades, dynamisme des couleurs et chaleur de la rencontre avec les nouveaux cardinaux et les vieux amis ... bref, tous à la fin fatigués mais satisfaits (y compris sous l'aspect visuel). Samedi 19 Novembre, par contre, on devra se contenter de la Salle Paul VI, qui invite à se serrer dans un manteau et à se dépêcher, sans satisfaction visuelle.
Une impertinence finale: après l'appartement privé dans la résidence de Castel Gandolfo, le pape a-t-il l'intention de transformer en musée (payant) également une partie des palais sacrés?