La liste de Tornielli (I)


Assisté par un complice, du nom de Galeazzi, le porte-parole officieux et thuriféraire attitré de François dénonce sur la Stampa-Vatican Insider les "ennemis du Pape", dans la plus pure tradition de délation des dictatures communistes, avant de conclure qu'ils sont rassemblés par leur amour commun pour... Poutine, et même financés par la Russie. Grotesque et pitoyable (18/10/2016)



Dans la liste (de proscription) minutieusement établie par celui qui fut (dans une autre vie) un bon et honnête journaliste, et dont on a du mal à imaginer qu'elle n'a pas reçu l'imprimatur du chef, figurent presque uniquement (et presque tous) les noms qui sont familiers aux lecteurs de mon site, d'Antonio Socci à Roberto de Mattei en passant par Sandro Magister et Giuseppe Rusconi. Jusqu'à des cardinaux, sans surprise, le cardinal Burke, le cardinal Caffara et - plus subtilement, mais non moins méchamment - le cardinal Sarah, dont Sandro Magister ferait la promotion de la candidature la papauté.
Ce qui surprend dans ce réquisitoire, en dehors de sa méchanceté, donc, c'est qu'il ne contient en contre-partie aucun argument pour démonter ceux des proscrits. Tornielli n'essaie même pas (et pour cause! il n'en a pas); il se contente de dénoncer, en discréditant par l'accusation mortifère de lien avec l'"extême-droite", utilisant le procédé habituel consistant à flanquer des qualificatifs déjà infâmants en soi (traditionaliste, conservateur) des préfixes "hyper" et "ultra" - non sans céder bizarement à une variante de la théorie du complot en évoquant une "salle de contôle"; et de souligner que l'opposition à "Bergoglio", bien que très bruyante sur le web (vite, qu'on rétabliise la censure, voire le supplice de la roue pour les régicides!) est numériquement très marginale. Tornielli, qui se dit catholique (bon catholique, cela va de soi) devrait pourtant savoir que la Vérité n'est pas une affaire de nombres...

Ceux qui ont été mis en cause, directement ou indirectement, ont déjà commencé à répondre (1) - mais certains ne le feront sans doute pas, n'ayant pas envie de descendre à ce niveau de bassesse (notons que Tornielli & Co s'est peut-être tiré une balle dans le pied, en offrant aux blogs cités et à leurs idées une tribune inespérée à l'échelle mondiale!).
Au premier rang, Antonio Socci qui répond brièvement sur sa page Facebook, en relevant un fait très significatif: en réalité, peut-être à l'insu de l'auteur (qui n'a sans doute pas choisi le titre) une des pièces ultimes d'un puzzle qui commence à prendre sa forme définitive, en rassemblant des faits épars depuis trois ans, apparemment sans rapport entre eux, mais en réalité liés par un projet commun:

Hier sur la "Stampa", journal atlantiste et ultra-Obamien, est paru un article minable où était dressée la liste noire des critiques de Bergoglio et où, - sans aucune explication - à la fin on sortait rien de moins que l'accusation de sympathie pour Poutine.
Avec le titre : «CES CATHOLIQUES CONTRE FRANÇOIS QUI ADORENT POUTINE».
Étrange accusation qui d'une part montre le zèle atlantiste de celui qui la formule et d'autre part, tente de disqualifier quiconque préfère Poutine aux politiques dévastatrices d'Obama / Clinton.


Nous y reviendrons.

En attendant, voici le morceau d'anthologie du duo comique Tornielli & Galeazzi, agrémentée sur la version papier d'une infographie soignée, pour faire sérieux, et à l'usage de ceux qui n'auraient pas le courage de lire jusqu'au bout leur prose laborieuse...

Ces catholiques contre François qui adorent Poutine


Voyage dans la galaxie des opposants à Bergoglio. Un front qui sur le Web unit "liguistes", nostalgiques de Ratzinger, ennemis du Concile: «L'Eglise dans la confusion par la faute du pontife».

16/10/2016
Giacomo Galeazzi, Andrea Tornielli
www.lastampa.it
Ma traduction

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Ce qui la maintient unie, c'est l'aversion pour François. La galaxie de la dissidence à Bergoglio va des lefebvristes qui ont décidé d'«attendre un Pontife traditionnel» pour revenir à la communion avec Rome, aux catholiques "liguistes" [i.e. proches de la Ligue du Nord, en France, en dirait "frontistes"] qui opposent François à son prédécesseur Ratzinger et lancent la campagne «Mon papa est Benoît» [allusion à des propos de Matteo Salvini, le leader de la Ligue].

Il y a les ultraconservateurs de la Fondation Lépante et les sites web proches des positions sédévacantistes, convaincus que l'écrivain catholique Antonio Socci a raison de soutenir l'invalidité de l'élection de Bergoglio uniquement parce que lors du conclave de Mars 2013 , un vote a été annulé sans avoir été dépouillé. La raison? Un bulletin de trop inséré par erreur par un cardinal. Le vote avait été refait immédiatement afin d'éviter tout doute et sans qu'aucun des cardinaux électeurs ne soulève d'objections. Et encore, des prélats et des intellectuels traditionalistes signent des appels ou protestent contre les ouvertures pastorales du pontife argentin sur la communion pour les divorcés remariés et le dialogue avec le gouvernement chinois.

Le désaccord avec le pape unit des personnes et des groupes très différents entre eux, et qui ne sont pas comparables: il y a les prises de position soft sur le journal en ligne "La Bussola Quotidiana" et le mensuel "Il Timone", dirigés par Riccardo Cascioli. Il y a le reproche quasi quotidien au pontife argentin mis en ligne par le vaticaniste émérite (!!) de L'Espresso, Sandro Magister. Il y a les tons apocalyptiques et moqueurs de Maria Guarini, animattrice du blog «Chiesa e Postconcilio», jusqu'aux critiques plus dures des groupes ultratraditionalistes et sédévacantistess, ceux qui croient qu'il n'y a plus eu de Pape valide après Pie XII.
La Stampa a visité les lieux et a rencontré les protagonistes de cette opposition à François, numériquement limitée, mais très présente sur le web, pour décrire un archipel qui à travers Internet, mais aussi avec des rencontres privées entre ecclésiastiques, mélange attaques frontales et stratégies plus complexes.
En première ligne sur le web contre le pape, l'écrivain Alessandro Gnocchi, signature des sites Riscossa Cristiana et Unavox: «Bergoglio met en œuvre la reddition programmée au monde, la mondanisation de l'Eglise. Son pontificat est basé sur l'exercice brutal du pouvoir. Un avilissement de la foi qui se répand autant ne s'est jamais vu».

SALLE DE CONTRÔLE (Centre opérationnel)
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Entre les murs paléochrétiens de la basilique de Santa Balbina all'Aventino, près des thermes de Caracalla, la Fondation Lépante est l'un des moteurs culturels de la dissidence à François. Entre les livres publiés, l'agence d'information «Corrispondenza romana» et les rencontres tenues dans la grande salle au premier étage, ici opère l'une des salles de contrôle du front anti-Bergoglio. «L'Eglise vit l'un des moments de plus grande confusion de son histoire, et le pape est l'une des causes - dit l'historien Roberto De Mattei, qui est le président de la Fondation Lépante -. Le chaos concerne surtout le magistère pontifical. François n'est pas la solution, mais il fait partie du problème». L'opposition, ajoute De Mattei, «ne vient pas seulement de ces milieux, qualifiés de traditionalistes, mais s'est élargi à des évêques et des théologiens de formation ratzingerienne et wojtylienne»

Plus que de dissidence, De Mattei préfère parler de «résistance», la même qui s'est récemment exprimée à travers la critique de l'exhortation apostolique "Amoris Laetitia" de 45 théologiens et philosophes catholiques, et la déclaration de «fidélité à l'enseignement immuable de l'Eglise» de 80 personnalités, devenues depuis lors plusieurs milliers, y compris des cardinaux, des évêques et des théologiens catholiques. Chez les Italiens, il y a le cardinal Carlo Caffara, archevêque émérite de Bologne. L'un des principaux centres de résistance, souligne encore l'historien, «est l'Institut Jean Paul II pour la famille, dont le sommet a été récemment décapité par Bergoglio». Dans le collimateur des traditionalistes il y a aussi la «contribution que la politique migratoire de François fournit à la déstabilisation de l'Europe et à la fin de la civilisation occidentale».

FRONDE POLITICO-THÉOLOGIQUE
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L'attaque sur Bergoglio est mondiale. "Dans la galaxie de la dissidence à François il y a une forte composante géopolitique - note Agostino Giovagnoli, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Catholique et spécialiste du dialogue avec la Chine -. Ils accusent Bergoglio de ne pas annoncer avec suffisamment de force les vérités de la foi, mais en réalité, ils l'accusent de ne pas défendre la primauté de l'Occident. C'est une opposition qui a des raisons politiques masquées par des questions théologiques et ecclésiales». La Chine en est une illustration. «Il y a une alliance entre des milieux de Hong Kong, des secteurs des Etats-Unis et la droite européenne: ils reprochent à François de faire passer l'objectif d'unir l'Eglise en Chine avant la défense de la liberté religieuse - poursuit-il. Ce sont des positions qui trouvent souvent de l'espace dans l'agence catholique AsiaNews. Le pape, selon ces critiques, devrait affirmer la liberté religieuse comme argument politique contre Pékin, au lieu de rechercher le dialogue à travers la diplomatie».

Parmi ceux qui donnent leur voix à la dissidence, qui a d'indéniables relais internes à à la Curie, il y a également des ecclésiastiques ayant des entrées au Vatican, comme le Père Nicola Bux, liturgiste et théologien, consultant de la Congrégation pour le Culte Divin et pour les Causes des Saints.
«Aujourd'hui, beaucoup de laïcs, de prêtres et d'évêques se demandent: où allons-nous? - explique-t-il à La Stampa. Dans l'Église, il y a toujours eu la possibilité d'exprimer sa propre position dissidente envers les autorités ecclésiastiques, même s'il s'agissait du pape. Il est notoire que le cardinal Carlo Maria Martini, exprimait souvent, même par écrit, son désaccord avec le pontife régnant, mais Jean-Paul II ne l'a pas destitué comme archevêque de Milan, ni considéré comme un conspirateur». Le devoir du pape, continue Bux, est «de protéger la communion ecclésiale et non de favoriser la division et l'opposition interne, se mettant à la tête des progressistes contre les conservateurs». Et «si un Pontife soutenait une doctrine hétérodoxe, il pourrait être déclaré, par exemple par les cardinaux présents à Rome, déchu de son office».
Dans un crescendo de tirs, on a également vu descendre sur le terrain au cours des derniers jours, avec une interview au Giornale [auquel Tornielli, dans une autre vie, collaborait] le chercheur Flavio Cuniberto, auteur d'un livre critique de la doctrine sociale du Pape, spécialiste de René Guénon et du traditionalisme proche de la droite ésotérique. Il a déclaré que «Bergoglio n'a pas encore mis à jour la doctrine, il l'a démolie, il se comporte comme s'il était catholique, mais il ne l'est pas: l'idée déformée de la pauvreté élève le vieux paupérisme à la sphère dogmatique». Le pape fait l'éloge recyclage des déchets et ce faisant «les vertus du bon consommateur de l'ère moderne tardive deviennent les nouvelles vertus évangéliques».

THÉORIES SUR LES DEUX PAPES
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Dans sa page officielle sur Facebook, Antonio Socci soutient que Benoît XVI n'a pas vraiment voulu démissionner, mais se considère encore pape, voulant en quelque sorte partager le «ministère pétrinien» avec son successeur. Une interprétation que Ratzinger lui-même a séchement démentie à plusieurs reprises, depuis février 2014 jusqu'au récent livre-interview «Dernières conversations», déclarant sa démission pleinement valide et manifestant publiquement son obéissance à François. La théorie a tiré une nouvelle lymphe à partir de l'interprétation de certains mots prononcés en mai dernier par Mgr Georg Gänswein, préfet de la Maison pontificale, et secrétaire de Benoît XVI. Don Georg, intervenant à la présentation d'un livre, avait affirmé: «Il n'y a donc pas deux papes, mais en fait un ministère élargi - avec un membre actif et un membre contemplatif». Socci publie fin Septembre, l'une à côté de l'autre, les photos de Ratzinger et de Bergoglio sous les mots «Lequel des deux?». Et il écrit: «Il y a celui qui oppose l'amour de la vérité (Bergoglio) et celui qui les reconnaît unis en Dieu (Benoît XVI)». Parmi les nombreux commentaires qui s'affichent, Paul Soranno répond: «François Ier semble s'être mis au service du Dieu Arc-en-Ciel (celui qui n'impose pas d'obligations religieuses ou morales) et non du Dieu catholique».

C'est sur le Réseau que la dissidence à Bergoglio prend les tons les plus enflammés, avec des gens qui derrière le paravent de leur ordinateur, se laissent aller à des invectives furieuses, comme on le lit dans les commentaires sous des articles publiés sur les réseaux sociaux. Sur le site Messainlatino, qui se consacre à la promotion de l'ancienne liturgie, mais accueille également souvent des commentaires au vitriol à propos du pape, il est question de «l'ennuyeuse monotonie idéologique de l'actuel pontificat». Sur le web, on lit des commentaires sur l'Eglise qui «sera poussée à se fondre dans une sorte d'ONU des religions avec une touche de Greenpeace et une de CGIL [CGT à l'italienne]», étant donné qu'«aujourd'hui les péchés moraux sont déclassifiés et que Bergoglio institue les péchés sociaux (ou socialiste)».
Sur le Blog hypertraditionaliste de Maria Guarini, «Chiesa e Postconcilio», on lit des titres de ce genre: «Si le prochain pape est bergoglien, le Vatican va devenir une branche de la catho-maçonnerie».
La dissidence vient des secteurs les plus conservateurs, mais elle trouve aussi un rivage chez certains ultraprogressistes déçus.
Tel est le cas du prêtre ambrosien don Giorgio De Capitani, qui attaque sans relâche François sur la gauche, et n'est donc pas assimilable aux groupes jusqu'ici décrits. Sur son site Internet, il ne sauve rien du pontificat. «Que de mots inutiles et banals - invective-t-il -. La paix, la justice et la bonté. Le pape nous casse les pieds avec ses mots et ses gestes à arracher des larmes. François est victime de son propre consensus et cela ne suscite que des illusions, il jette beaucoup de poudre aux yeux, et plonge dans le ravissements les journalistes ignorants sur la foi».
Giuseppe Rusconi, le journaliste tessinois qui anime le site Rossoporpora se demande: «Notre Pasteur est-il vraiment en premier lieu, "notre", ou ne montre-t-il pas qu'il privilégie le troupeau mondial indistinct, étant ainsi perçue par l'opinion publique non-catholique comme un leader apprécié des souhaits exprimés par la société contemporaine? Le fait-il par stratégie jésuite ou par choix personnel? Et quand le Pasteur retournera à la bergerie, combien de brebis perdues portera-il avec lui? Et combiende celles qu'il a laissées retrouvera-t-il?»

Cette galaxie composite de la dissidence a élu comme ses points de référence quelques évêques et cardinaux. Magister sur son blog a lancé la candidature papale du Cardinal guinéen Robert Sarah, l'actuel ministre de la liturgie de François, aimé par les conservateurs et les traditionalistes et largement cité dans leurs sites et dans leurs publications.

RISQUE DE SCHISME?
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Parmi ceux qui sont considérés comme les étoiles polaires de ce monde il y a surtout le cardinal américain Raymond Leo Burke, patron des Chevaliers de Malte, et l'évêque auxiliaire d'Astana, Athanasius Schneider. Mais au-delà de l'amplification médiatique offerte par le réseau, il ne semble pas qu'il y ait de nouveaux schismes à l'horizon, après celui fait par Mgr Marcel Lefebvre en 1988. Le sociologue Massimo Introvigne (!!!), directeur du CESNUR, en est convaincu: «Les évêques catholiques dans le monde sont plus de cinq mille, la dissidence réussit à en mobiliser une douzaine, la plupart d'entre eux à la retraite, ce qui montrant précisément sa maigre consistance».

Introvigne soutient que cette dissidence «est plus sur le web que dans la vie réelle, et elle est surfaite, il y a en effet des dissidents qui écrivent sur les réseaux sociaux des commentaires sous quatre ou cinq alias, pour donner l'impression d'être plus nombreux» (!!!). Pour le sociologue, c'est un mouvement qui «n'a pas de succès, parce qu'il n'est pas unifié. Il y a au moins trois dissidences différentes: celle, politique, des fondations américaines, de Marine Le Pen et de Matteo Salvini, qui n'est pas très intéressée par les questions liturgiques et morales - souvent, ils ne vont même pas à l'église - mais seulement par l'immigration et la critique du Pape au turbo-capitalisme. Celle des nostalgiques de Benoît XVI, qui toutefois ne conteste pas Vatican II. Et celle, radicale, de la Fraternité Saint-Pie X ou de De Mattei et de Gnocchi, qui rejette le Concile et ce qui est venu après. Bien qu'il y ait des ecclésiastiques qui servent de point d'ancrage, les contradictions entre les trois positions sont destinées à exploser, et un front commun n'a aucune chance de perdurer».
Introvigne souligne une caractéristique commune frappante de beaucoup de ces milieux: «C'est l'idéalisation mythique du président russe Vladimir Poutine, présenté comme le «bon» leader à opposer au «mauvais» pape, pour ses positions sur les homosexuels, les musulmans et les immigrés. Avec la dissidence anti-François collaborent des fondations russes très liées à Poutine».

NDT


(1) Ceux qui lisent l'italien trouveront une première série de réactions ici:

¤ Riscossa Cristiana
¤ Campari & de Maistre (I) et (II)
¤ Chiesa e Post Concilio
¤ Maurizio Blondet
¤ Mgr Nicola Bux (en fait, les propos exacts tenus par le prélat interpelé par le duo)