Les dubia d'un simple curé de paroisse


Aldo Maria Valli donne la parole à l'un des innombrables prêtres de terrain désemparés, qui partagent les "dubia" des cinq cardinaux parce qu'ils sont confrontés très concrètement aux ambiguïtés d'Amoris Laetitia dans l'exercice de leur ministère (26/12/2016)



Difficile de dire si ce témoignage est authentique, ou s'il s'agit d'un artifice "littéraire" pour exposer une situation générique. Quoi qu'il en soit, les questions existent bel et bien, et exigent une réponse précise du Pape - et peut-être, de la part des bergogliens les plus obtus, d'autres arguments en défense de leur idole que les psalmodies sur la miséricorde et l'ouverture au monde.
L'un des intérêts de cet article, c'est qu'il émane d'un vaticaniste italien estimé, tout sauf tradi, Aldo Maria Valli, qu'il y a une paire d'années j'aurais qualifié (peut-être hâtivement) de "catholique adulte".
Mais catholique, c'est un fait...
La publication d'Amoris Laetitia semble lui avoir fait abandonner définitivement "le choeur des vaticanistes en extase devant le Pape François" (cf. www.liberoquotidiano.it)

"Amoris laetitia",
les "dubia" d'un curé de paroisse et une réponse "blowin' in the wind"


Aldo Maria Valli
24 décembre 2016
www.aldomariavalli.it
Ma traduction

* * *

«Les formes de cohabitation more uxorio [comme mari et femme], en dehors d'un mariage religieux valide, sont-elles ou non en contradiction avec la volonté de Dieu?».

Le curé qui me pose la question ne cache pas qu'il se trouve dans une situation compliquée. Il se creuse la tête, mais il est comme dans un labyrinthe. Après "Amoris laetitia", il trouve difficile de donner des réponses claires et précises à des questions d'une importance fondamentale à la fois pour le salut des âmes et pour la cohérence interne de la doctrine catholique.

On parle beaucoup, et à juste titre, des dubia sur "Amoris laetitia" exprimés par les cardinaux Brandmüller, Burke, Caffara et Meisner, mais il y a aussi tous les dubia, pas du tout théoriques, dans lesquels se débattent les prêtres chargés d'âmes.

«L'évêque me dit que rien n'a changé et de rester calme, mais la vérité - raconte le prêtre - est que la confusion est grande en ce moment. Il semble que chacun puisse exprimer son évaluation personnelle, décidant en conséquence, sans qu'il n'y ait plus de point fixe auquel s'accrocher. Ceux qui font appel aux règles antérieures à "Amoris de laetitia", qui n'ont pas été révoquées, sont souvent considérés avec méfiance sinon hostilité pure et simple, comme s'ils étaient des docteurs de la loi obtus, incapable d'amour et de miséricorde. Ceux qui au contraire veulent adhérer à "Amoris laetitia" se trouvent confrontés à un appel au «discernement» qui à la fin, s'avère générique. Je me demande: la plus haute forme de la miséricorde n'est-elle pas d'indiquer des certitudes sur un chemin clair vers la sainteté, surtout à notre époque de confusion morale totale ?».

La liste des dubia formulés par le curé coïncide avec ceux des quatre cardinaux qui ont écrit au pape et est marquée par la même préoccupation.

«Dans "Familiaris Consortio" de Saint-Jean-Paul II nous lisons: "Les pasteurs doivent savoir que, pour l'amour de la vérité, ils sont obligés de bien discerner les situations". C'est un passage que François reprend, mais quelle est la vérité? Est-elle dans la doctrine que l'Eglise abtoujours affirmé ou est-elle, comme il semble émerger d'"Amoris laetitia", dans la façon dont les gens vivent, en conscience, une situation donnée?».

«Les unions dites irrégulières peuvent-elles exprimer d'une certaine façon le bien du mariage chrétien, ou bien le contredisent-elles? Constituent-elles ou pas une conduite de vie peccamineuse? Et dans une union irrégulière, peut-on voir une prise de conscience, même partielle et graduelle, de la loi divine?».

Le curé explique que parmi les prêtres, il y a toujours eu différentes lignes de conduite, si bien que les personnes qui ne reçoivent pas le feu vert pour la communion dans une paroisse pouvaient l'obtenir dans une autre. Mais à présent, il semble que l'Église elle-même, à travers la voie du "cas par cas", justifie et légitime ce qui est à tous points de vue une ambiguïté susceptible d'ôter la crédibilité à la fois à la doctrine et à la pastorale.

«Quelle importance devrait être accordée à la conscience individuelle? Peut-elle être considérée comme la source du bien et du mal? Je comprends - dit le curé - que nous vivons dans une société sécularisée, et que nous devons nous arranger, comme le pape le recommande, avec la réalité telle qu'elle est, sans nous refugier dans un monde qui se reflète seulement sur le papier, mais l'indissolubilité du lien conjugal doit-elle être considérée comme un idéal à atteindre ou comme une vérité à vivre et à témoigner?».

Le curé s'interroge avec passion et aussi avec souffrance. Pour lui, ces questions ne sont pas de la théorie: elle ont le visage de personnes qu'il affronte directement, et qui attendent de lui des réponses. Mais lesquelles?

«La fidélité à la nouvelle union peut-elle dans une certaine mesure "compenser" la dissolution du lien conjugal au point de considérer que la nouvelle union n'est pas un péché? Et que signifie le fait que les divorcés et remariés civilement sont membres vivants de l'Eglise? Cela signifie-t-il qu'ils ne sont pas dans une situation objective de péché? Mais s'ils ne sont pas en situation de péché, cela signifie-t-il que le mariage n'est pas indissoluble?».

Et ensuite: en quoi devrait consister, dans la pratique, le discernement qui est au centre de la proposition d'"Amoris laetitia"? Vers quoi doit-il tendre? Le discernement pastoral, par exemple, peut-il aller jusqu'à considérer que la nouvelle union, vécue dans la fidélité et dans l'amour sincère, est plus sainte que la première, bien que l'indissolubilité ait été enfreinte?

Questions sur questions. «Les divorcés remariés peuvent-ils être considérés comme étant en état de grâce? Peuvent-ils donc recevoir l'absolution et s'approcher de l'Eucharistie, même s'ils ne renoncent pas à la nouvelle union et même s'ils ne la vivent pas dans la chasteté? Je ne dis pas qu'avant "Amoris laetitia", il était plus facile de traiter certaines questions, mais cela semble aujourd'hui être devenu impossible, parce que le document est confus».

«Si vous me demandez si le processus de discernement peut aller jusqu'à soutenir l'admission à l'Eucharistie, en vertu de la présence de circonstances atténuantes, pour les divorcés civilement remariés vivant comme mari et femme, je dois vous dire qu'à ce stade, honnêtement, je ne sais pas».

Et que dire du subjectivisme qui semble s'être glissé dans le document? «Le fait qu'une personne soit subjectivement convaincue, en conscience, de l'invalidité du mariage, est-elle suffisante pour justifier le second mariage, accorder l'absolution et admettre à l'Eucharistie? Après "Amoris laetitia", comment fais-je pour justifier l'impossibilité de donner la communion aux personnes civilement remariées qui vivent more uxorio dans la fidélité? Le document, même si formellement il me laisse libre de discerner, en réalité me pousse à donner la communion».

«Plus je lis le texte et moins j'ai les idées claires. Après "Amoris laetitia" et sa proposition d'évaluer au cas par cas, comment fais-je pour soutenir l'universalité de la loi divine? Mon évêque me dit que ce n'est pas à moi de discerner pour décider qui peut et qui ne peut pas approcher la communion eucharistique: mon rôle doit être d'aider les gens à prendre conscience de l'état dans lequel ils se trouvent, devant Dieu et l'Eglise. Ce sont de belles paroles, mais, avec tout le respect dû, elles ne tiennent pas compte de la réalité. Les gens veulent des réponses claires. Même les plus disponibles et les plus compréhensifs, qui sont la majorité, à un moment donné demandent d'aboutir à des résultats. Et il y a encore ceux qui ont une attitude revendicatrice: le pape a donné la permission, alors vous, cher Monsieur le Curé, vous devez vous adapter».

Les questions s'accumulent, les réponses s'éloignent. «La dernière fois que je l'ai rencontré, l'évêque m'a dit: "Je vais bientôt partir en retraite et je suis très content de m'en aller; je ne vous envie pas, vous qui restez en première ligne, au milieu de cette confusion". Au moins, il a été sincère. Reste le fait que je me sens à court de réponses».

On pense à Bob Dylan, tout frais Prix Nobel: «The answer, my friend, is blowin’ in the wind» - "La réponse, mon ami, souffle dans le vent".

Mais est-ce le vent de l'Esprit?