Que se passe-t-il dans l'Ordre de Malte?


Le Pape vient de nommer une commission chargée d'enquêter. Roberto de Mattei explique les dessous de l'affaire, et pourquoi, juridiquement, cette désignation n'a pas de sens. Le cardinal Burke serait-il visé? (23/12/2016)

>>> Cet article sera publié dans la journée sur "Corrispondenza Romana" et "Tempo"

>>> Ceux qui lisent l'italien trouveront un exposé assez complet de la situation ici: www.lanuovabq.it

 
Celui qui, au mépris du Magistère de l'Eglise, favorise la contraception et l'avortement, et viole ses propres voeux, mérite aujourd'hui d'être réhabilité. Celui qui défend l'enseignement de l'Église et l'intégrité morale des institutions auxquelles il appartient, est au contraire accusé de «résistance malveillante» au Saint-Père et finit sur le banc des accusés.
(...)
Le Pape a entièrement le droit de s'informer sur les affaires internes de l'Ordre, mais il est inhabituel que cela se fasse à travers une commission qui contourne le représentant pontifical [le cardinal Burke], à moins de vouloir placer ce dernier sous accusation.

Le Pape et Malte: l'inepte désignation d'une commission


Roberto de Mattei
24/12/2016
(ma traduction)

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22 juin 2013: le Pape reçoit le Grand Maître de l'Ordre, Fra Matthew Festing (photo ICI)


Le pape nomme une commission d'enquête pour l'Ordre de Malte? La stratégie de désignation d'une commission plaît indubitablement beaucoup à François, qui a déjà pris cette mesure draconienne contre deux institutions religieuses qu'il considère comme trop «traditionnelles»: les Franciscains de l'Immaculée et les religieux du Verbe incarné. Et ce n'est pas par hasard que l'annonce d'une commission pour «recueillir des éléments susceptibles d'informer complètement et rapidement le Saint-Siège sur les faits récents concernant le Grand Chancelier de l'Ordre, M. Albrecht Freiherr von Boeselager» a été donnée par le bureau de presse du Vatican, le 22 Décembre, juste au moment où le pape Bergoglio transformait les traditionnels souhaits de Noël à la Curie en une dure réprimande contre ceux qui résistent à son projet de changement radical de l'Eglise [*], avec une référence implicite au cardinal Raymond Leo Burke, patron de l'Ordre de Malte.
Mais dans le cas présent, l'instrument de la désignation d'une commission n'est pas possible, justement.
Comme l'explique don Fabrizio Turriziani Colonna dans une étude documentée consacrée à "Sovranità e indipendenza nel Sovrano Militare Ordine di Malta" (Libreria Editrice Vaticana 2006), l'Ordre de Malte et le Saint-Siège, sont placés l'un face à l'autre en tant que sujets de Droit International et donc dans une position d'indépendance réciproque. L'Ordre de Malte, a en effet une double personnalité juridique, qui sur le plan du Droit Canon, le subordonne au Saint-Siège, mais sur celui du Droit International lui garantit l'indépendance de celui-ci. Le fait que l'Ordre de Malte entretienne des relations diplomatiques avec 94 États et ait un ambassadeur près le Saint-Siège, confirme que, dans un certain domaine, les relations sont sur un pied d'égalité.
L'Ordre Souverain Militaire de Malte est, en un mot, un Etat souverain
, bien que sans territoire, jaloux de son autonomie et de ses prérogatives. En neuf siècles d'histoire, les Chevaliers de Malte se sont couverts de gloire, versant leur sang pour l'Eglise, mais les conflits avec le Saint-Siège n'ont pas manqué. Le dernier, raconté par Roger Peyrefitte (Chevaliers de Malte, Flammarion, Paris 1957), fut durant l'après-seconde guerre mondiale du XXe siècle, quand l'Ordre parvint à déjouer la tentative de fusion avec les Chevaliers du Saint-Sépulcre. Le bras de fer prit fin en 1953 avec l'arrêt d'une Cour cardinalice qui reconnaissait la souveraineté de l'Ordre de Malte, tout en affirmant sa dépendance à l'égard du Saint-Siège en ce qui concerne la vie religieuse des chevaliers. L'Ordre de Malte accepta la sentence, conditionnée par quelques points: 1) la reconnaissance de ses droits dérivant de sa condition de sujet du Droit International; 2) la limitation de la dépendance religieuse de l'Ordre aux seuls chevaliers ayant fait profession, et aux chapelains; 3) l'exclusion d'une sujétion à la Secrétairerie d'Etat du Vatican.
La compétence du Saint-Siège ne concerne donc pas le gouvernement interne et international de l'ordre, mais il est limité au strict religieux.

À ce stade, on pourrait imaginer que le Pape, ayant décelé des déviances d'ordre doctrinal et moral parmi les cavaliers, a décidé d'intervenir pour redresser la situation. Qu'est-il arrivé, au contraire? Après la sortie au grand jour du fait que von Boeselager, pendant la période où il était le Grand Hospitalier de l'Ordre, avait abusé de son pouvoir, promouvant la distribution de dizaines de milliers de préservatifs et de contraceptifs, y compris abortifs (comme l'indiquent les rapports relatifs au programme des Nations Unies contre le VIH en Birmanie), le Grand Maître Matthew Festing est intervenu pour mettre fin au scandale et a demandé à Boeselager de démissionner, faisant appel au vœu d'obéissance qu'il avait prêté. Le Grand Chancelier, fort de son amitié avec le secrétaire d'Etat Pietro Parolin et de la récente nomination de son frère Georg dans le conseil d'administration de l'IOR, a rejeté la demande avec arrogance, revendiquant son comportement de catholique «libéral». La création par la Secrétairerie d'Etat d'un groupe d'enquête de cinq membres, tous plus ou moins liés à Boeselager, constitue un cas grave d'ingérence dans l'administration de l'Ordre.

Le Saint-Siège devrait se limiter à veiller sur la vie religieuse à travers le cardinal patron qui est le cardinal Burke, nommé par le pape François lui-même. Le Pape a entièrement le droit de s'informer sur les affaires internes de l'Ordre, mais il est inhabituel que cela se fasse à travers une commission qui contourne le représentant pontifical, à moins de vouloir placer ce dernier sous accusation. Toutefois, un cardinal ne peut être jugé que par ses pairs et non par des bureaucrates du Vatican. Tout aussi impropre est le fait de confier à une commission du Vatican le jugement sur des événements qui concernent non pas la vie religieuse, mais le gouvernement de l'Ordre, mettant dans ce cas le Grand Maître en accusation. Ce dernier a donc bien fait de refuser l'action inepte de la commission.
Malheureusement, il n'y a pas que la procédure qui est inepte, il y a surtout le jugement sur le fond, de la part des autorités du Vatican. Celui qui, au mépris du Magistère de l'Eglise, favorise la contraception et l'avortement, et viole ses propres voeux, mérite aujourd'hui d'être réhabilité. Celui qui défend l'enseignement de l'Église et l'intégrité morale des institutions auxquelles il appartient, est au contraire accusé de «résistance malveillante» (allusion aux voeux à la Curie, ndt) au Saint-Père et finit sur le banc des accusés.
Il faut espérer que les Chevaliers réagiront. L'enjeu est la souveraineté de l'Ordre de Malte, mais aussi sa tradition de défense ininterrompue de la foi et de la morale catholique.

Roberto de Mattei

[*] NDT


(...) Dans ce parcours, il est normal, et même salutaire, de rencontrer des difficultés qui, dans le cas de la réforme, pourraient se présenter sous diverses typologies de résistances : les résistances ouvertes qui naissent souvent de la bonne volonté et du dialogue sincère ; les résistances cachées qui naissent des cœurs effrayés ou pétrifiés qui s’alimentent des paroles vides du “gattopardisme spirituel” [à elle seule, cette allusion très "italienne" au roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa "Le Guépard" est une signature: de qui exactement, je l'ignore, mais en tout cas, pas du Pape!!] de celui qui en paroles se dit prêt au changement, mais veut que tout reste comme avant ; il y a aussi les résistances malveillantes, qui germent dans des esprits déformés et apparaissent quand le démon inspire des intentions mauvaises (souvent “déguisées en agneaux”) [voir le commentaire de Sandro Magister qui titrait ironiquement sur Settimo Cielo: "Quanti diavoli in veste di agnelli, a Santa Marta e dintorni"]. Ce dernier type de résistances se cache derrière les paroles de justification, et souvent accusatoires, en se réfugiant dans les traditions, dans les apparences, dans la formalité, dans le connu, ou bien dans le vouloir de tout porter sur le personnel, sans distinguer entre l’acte, l’acteur et l’action.

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