L'interview de Mgr Gänswein au "Schwäbischen Zeitu


Traduction complète (22/7/2016)

>>> Cf.
Encore une interview de Georg Gänswein (le résumé de Marco Tosatti)



Chacun pourra juger si l’interprétation donnée hier par Marco Tosatti était justifiée ou pas (ceci à l’intention de ceux qui m’accuseraient de déformer l’image du pape à coup de citations tronquées)..
Pour ma part, je retiens du secrétaire de Benoît XVI un langage qui reste prudent (répétons-le, il n’a pas le choix…), voire excessivement louangeur - même contre les évidences - , mais avec des réserves inédites jusqu’à présent.

Original en allemand ici : www.schwaebische.de
Traduction en espagnol : www.benedictogaenswein.com
Traduction en français de Carlota.

Entretien de Mgr Georg Gänswein avec le "Schwäbischen Zeitung"


17 juillet 2016

* * *

L’homme de confiance du pape demande la réforme fiscale de l’Eglise allemande. Chez François il reconnaît “un jésuite classique de la vieille école ignacienne”.

L’archevêque de curie, Georg Gänswein, est préfet de la Maison Pontificale et depuis de nombreuses années secrétaire et confident du Pape Émérite Benoît XVI. Dans cet entretien exclusif avec le «Schwäbische Zeitung», le «serviteur de deux Papes » parle des pontificats de Benoît XVI et de son successeur François.
Il explique la vision depuis Rome de l’Église allemande d’un point de vue interne. Il explique pourquoi il considère que le système fiscal de l’Église allemande est arrivé à un point insoutenable. Il déplore la divergence entre diocèses riches et églises vides. Il parle du rejet qu’il produit à l’institution ecclésiastique en Allemagne. Et il révèle pour qui bat son cœur au football.

Le rédacteur en chef, Hendrik Groth, s’est entretenu avec l’archevêque Gänswein à Rome.

- Comment va le Pape Benoît XVI?

Il n’est plus Pape, il s’est retiré. En avril il a fêté ses 89 ans et récemment il a célébré son 65ème anniversaire comme prêtre. Il y a eu une petite cérémonie avec François, des cardinaux et quelques personnes invitées à titre personnel. La tête se maintient claire, brillante, bien. Les jambes sont quelque peu fatiguées. En particulier marcher est devenu plus difficile. Le déambulateur lui donne de la stabilité et de la sécurité. La psychologie est de fait aussi importante que la physiologie. Mais les forces ont simplement diminué. Le Pape émérite est aussi une personne sujette aux lois de la nature.

- Comment se passe le travail au quotidien ?

La routine journalière est simple. Cela commence avec la messe du matin. Je concélèbre, de temps en temps il y a des concélébrants invités. Suit le bréviaire, puis le petit déjeuner. La matinée a le rythme suivant : prière, lecture, correspondance, visites. Après, le déjeuner où je suis de nouveau. A l’issue du déjeuner nous faisons deux ou trois petits tours de promenade sur la terrasse. Puis vient la sieste. Dans l’après-midi il consacre beaucoup de temps à lire et à répondre aux lettres; il reçoit encore une grande quantité de courrier du monde entier. À 19 heures nous allons dans les jardins du Vatican pour réciter le Rosaire, puis nous dinons et ensuite nous regardons les informations du journal télévisé italien. En général, ensuite il se retire, j’en fais autant. Le dimanche il a un programme plus lâche (« du dimanche »), il n’a pas de travail, il se consacre à la musique et à la culture.

- Vous êtes aussi l’intermédiaire entre le Pape régnant François et Benoît. Peu après l’élection du nouveau Pape, vous avez dit qu’en théologie il n’y avait pas l’épaisseur d’une feuille de papier entre Benoît et François. Pouvez-vous dire la même chose deux ans après ?

Cette question m’a déjà été faite; et je l’affirme encore après ce que je vois, entends et perçois. Par rapport aux principes de leur conviction théologique il y a définitivement une continuité. Evidemment, je suis aussi conscient qu‘occasionnellement, des doutes pourraient surgir de par les différentes formes de représentation et de formulation. Mais quand un Pape veut changer un aspect de la doctrine il doit le dire avec clarté, afin que cela soit sujet à obligation. Les principes doctrinaux importants ne peuvent pas être changés par des demi-phrases ou avec des notes de pied de page formulées d’une manière ambiguë. La méthodologie théologique dans ce sens a un critère très clair. Une loi qui n’est pas claire en elle-même, ne peut obliger. La même chose est applicable à la théologie. Les déclarations doctrinales doivent être claires pour être contraignantes. Les déclarations qui permettent différentes interprétations sont quelque chose de risqué.

- N’est-ce pas aussi une question de mentalité? Le Pape vient de Buenos Aires. Les Argentins ont un sens particulier de l’humour, avec un certain éclat dans leurs yeux.

Évidemment, la mentalité tient son rôle. François est fortement influencé par son expérience comme Provincial des Jésuites et en particulier comme archevêque de Buenos Aires, à un moment où son pays était économiquement très mal en point. Et là-bas, dans cette grande ville et dans ce méga-diocèse, qui avait été le lieu de ses joies et de ses difficultés, on avait compris qu’il faisait ce dont il était convaincu sans tergiverser. Et c’est aussi ce qu’il fait maintenant comme Évêque de Rome, comme Pape. Le fait que dans la spontanéité de ses discours, il soit quelque peu imprécis en comparaison avec ses prédécesseurs, il faut simplement l’accepter. Chaque Pape a son propre style personnel. C’est une façon de parler, même au risque de produire des malentendus qui parfois donnent lieu à des interprétations risquées. Il continuera à parler sans mâcher ses mots.

- Y a-t-il un fossé entre les cardinaux, et entre les cardinaux des différents continents, qui voient et comprennent le Pape de façon différente ?

Avant le Synode des évêques, en octobre dernier, il y avait une espèce de sentiment en faveur ou contre le Pape François. Je ne sais pas qui a créé ce scénario. Je serai prudent pour parler d’une distribution géographique des pour et des contre. Il est certain que sur certaines questions l’épiscopat africain a parlé très clairement. L’épiscopat, c’est-à-dire les conférences épiscopales et non pas seulement des évêques à titre individuel. Cela n’a pas été le cas en Europe et en Asie. Cependant je résiste à cette théorie de la rupture. Même si, pour faire honneur à la vérité, je dois ajouter que quelques évêques sont vraiment préoccupés par le fait que la doctrine puisse souffrir du fait du manque de langage clair.

- Parfois on a l’impression que les catholiques conservateurs qui ont réclamé de leurs frères et sœurs la fidélité au Pape pendant le pontificat de Benoît XVI, ont maintenant un problème avec le Pape François. Est-ce vrai?

La certitude de ce que le Pape est considéré comme un roc solide, le dernier point d'ancrage, est en train de se diluer. Si cette perception de la réalité reflète et s’ajuste d’une manière adéquate à l’image du Pape François ou s’il s’agit plutôt d’une création des médias, je ne peux en juger. Cependant, l’incertitude et occasionnellement la confusion et un certain désordre, ont augmenté. Le Pape Benoît XVI faisait référence peu avant sa renonciation au Concile Vatican II en le considérant comme un authentique « Concile des pères » face à un « Concile virtuel des médias ». On peut peut-être dire aujourd’hui la même chose de François. Il existe une brèche entre les médias et la réalité actuelle.

- D’un autre côté le Pape François parvient à attirer des gens vers l’Église Catholique.

François peut, de fait, capter l’attention du public et attirer. Et cela, même au-delà de l’Eglise. Peut-être même plus à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’Église Catholique. L’attention qui est portée au Pape, par le monde non catholique, y compris en Allemagne, est considérablement plus grande que dans le cas de ses prédécesseurs. Évidemment cela est dû aussi à son style peu conventionnel, et le fait qu’il ait des gestes sympathiques et inattendus a fait la conquête des médias. La perception favorable des personnes joue un rôle essentiel pour une information positive.

- Y a-t-il un tournant dans l’Église à travers François? Y a-t-il un point de départ vers une nouvelle direction ?

Si on regarde sa vie spirituelle, si on écoute ce qu’il prêche, revendique et annonce, alors on le reconnaît comme un jésuite ignacien classique de la vieille école, dans le meilleur sens du terme. Si cet homme a commencé une nouvelle ère, parcce qu'il fait des affirmations claires (???) sans égard au politiquement correct , c’est libérateur, cela nous manque, et nous fait du bien. Cette posture courageuse est accueillante, les gens le remercient avec sympathie et même avec enthousiasme.

Peut-être peut-on parler d’un réveil, d’une nouvelle ère par rapport à cela. Peu après l’élection du Pape François, quelque évêque a parlé de l’«effet François» et il a ajouté avec fierté qu’il était maintenant beau d’être catholique. On a commencé à sentir et à percevoir publiquement un vent en faveur de la foi et de l’Église. En est-il réellement ainsi ? La vie catholique est-elle plus vivante, assiste-t-on à plus de services religieux, les vocations sacerdotales et pour la vie religieuse ont-elles augmenté, les personnes qui avaient abandonné l’Eglise sont-elles revenues ? Qu’a produit concrètement ledit effet François dans la vie religieuse de nos pays respectifs ? Depuis l’extérieur, on ne peut pas apprécier une résurgence. Mon impression est que le Pape François jouit d’une cote de popularité élevée, supérieure à tout dirigeant au monde. Cependant, sur la question de la foi, de l’identité même de la foi, tout cela paraît avoir peu d’influence. Les chiffres des statistiques, s’ils ne mentent pas, me donnent malheureusement cette impression.

- Un thème récurrent est le système fiscal de l’Église allemande. Benoît s’était exprimé de nombreuses fois de manière critique par rapport à ce thème. Avec l’Eglise pauvre que veut François, le système est aussi difficile à concilier. Est-il juste que celui qui ne veut pas payer l’impôt à l’Eglise, pour le dire crûment, soit expulsé ?

L’impôt à l’Église est un thème sans fin. Bien sûr, la question de savoir si le système que nous avons en Allemagne est une façon appropriée de soutenir financièrement l’Église est justifiée. On doit prendre en compte les raisons historiques de l’apparition du tribut ecclésial afin de situer correctement la question, dans le cas contraire on va dans une impasse. Il y a deux points de vue opposés qui s'affrontent. Certains disent : à bas l’impôt ecclésial ! D’autres veulent le transformer en une espèce de bien du culte. Les deux extrêmes ne sont pas bons. En Italie, tous les salariés doivent payer un impôt culturel. On peut opter pour une contribution en faveur de l’Église catholique mais ce n’est pas une obligation. Il n’y a pas d’expulsion, comme en Allemagne, pour celui qui cesse de payer cet impôt. Ici ce que nous voyons c’est que l’impôt ecclésial n’est pas un impôt cultuel mais un impôt confessionnel (Die Kirchensteuer ist keine Kult - sondern eine Konfessionssteuer). Si pour moi il est trop élevé, je cesse simplement de le payer et j’économise de l’argent. Évidemment, comme vous dites, l’expulsion en cas de non paiement de l’impôt à l’Église est excessive.

- Le problème c’est que celui qui ne paie pas l’impôt de l’Église est excommunié de fait ?

Oui, c’est un problème grave. Comment réagit l’Église catholique en Allemagne face à ce défi religieux? Avec l’exclusion automatique de la communauté ecclésiale, l’excommunication. C’est excessif, ce n’est pas logique. On peut remettre en question les dogmes, personne ne s’en préoccupe, personne n’est expulsé. Le manquement au paiement de l’impôt à l’Église est une offense plus grande que les violations des principes de la foi ? L’impression qui en résulte, c’est celle-là: tant que la foi est en jeu c’est relativement acceptable, mais aussitôt que l’argent entre dans l’équation, alors les choses deviennent sérieuses. L’épée tranchante de l’excommunication est irrationnelle et a besoin d’être corrigée.

- Vous vivez depuis de nombreuses années à Rome. Votre point de vue sur l’Allemagne a-t-il changé ?

Oui, évidemment. L’opinion devient plus profonde et plus large. Simplement parce qu’ici (ndt à Rome) je recueille des expériences à travers des rencontres journalières avec des personnes du monde entier, on en gagne en connaissance, les horizons se font plus larges et il se produit un enrichissement humain et spirituel. Une expérience que j’ai vécue personnellement, c’est qu’une grande partie de ce que nous voyons en Allemagne comme réalité de l’Église est inconnue dans d’autres pays, mais la foi est encore très vivante. Et je ne veux pas sur ce point mettre les institutions catholiques au pilori. Mais si on parle avec des frères qui viennent d’autres pays et si on leur explique, par exemple, combien de personnes travaillent dans les diocèses allemands ou pour des organisations de l’Église, ils froncent les sourcils. Ils ne peuvent pas le croire. L’argent rend possible beaucoup de choses, mais il entraîne avec lui un danger d’asphyxie. Naturellement le patrimoine doit être bien administré. L’argent n’appartient pas à l’évêque ni au chapitre de la cathédrale, ni à une fondation, on a la grande responsabilité d’utiliser l’argent conformément à la signification de la confiance que doit produire l’annonce de l’Église.

- Et cependant, si on applique la phrase du Pape Benoît, l’Église doit renoncer à ses biens terrestres afin de préserver sa richesse et contribuer à sa purification et à sa réforme de l’intérieur.

Si les biens excluent la croyance, - la foi, alors il n’y a qu’une seule possibilité: s’en libérer. Les coffres pleins et les églises vides, cette rupture est terrible, elle ne peut continuer longtemps. Si la caisse enregistreuse sonne et si les bancs restent vides, un jour il se produira une implosion. Une église vide ne peut pas être prise au sérieux. À quoi sert un diocèse très riche mais où la foi s’épuise peu à peu ? Avons-nous à ce point sécularisé la foi qu’elle ne joue presque plus aucun rôle et est même considérée comme du lest ? Le lest on le jette quand on n’en a plus besoin. Ne sommes-nous pas capables de prêcher la foi pour que les personnes sentent que c’est quelque chose de grand, quelque chose de beau qui enrichit et approfondit nos vies ?

- Quant à l’occupation des sièges épiscopaux vacants en Allemagne, votre nom surgit de temps en temps. Vous imaginez-vous remplissant cette tâche ?

On divulgue un « top » des favoris pour les brûler. C’est la vraie raison pour les désigner: un jeu transparent. J’ai ici et actuellement deux tâches importantes à remplir, comme Préfet de la Maison Pontificale et secrétaire du Pape émérite à qui j’ai promis loyauté le jour de son élection et jusqu’à son dernier jour. Et cela, évidemment, n’a pas changé avec sa renonciation.

La vacance des sièges épiscopaux fonctionne de la façon suivante: en Allemagne, sauf en Bavière où est appliqué un régime légèrement différent, le chapitre de la Cathédrale choisit l’évêque sur une liste de trois personnes. Croyez-vous que si quelque chapitre incluait mon nom, on me choisirait ? Difficilement. Cela ne me fait pas mal. C’est injuste, mais ceux qui sont intéressés à ce jeu le refont à chaque fois. Comme ancien collaborateur de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, comme secrétaire du cardinal Ratzinger et du Pape Benoît, évidemment je porte une « marque de Caïn ». Je suis clairement « identifiable » d’une manière extérieure. En réalité, je n’ai jamais essayé de cacher mes convictions. On m'a catalogué en public comme quelqu'un situé à droite, ou un tenant de la ligne dure. Et si cela est dû au fait que je m'exprime de manière claire et sans détour, alors je peux affirmer: oui, tout à fait. C'est ma position aujourd’hui et aussi dans le futur. Les chapitres ne sont pas non plus un haut lieu de loyauté envers Rome. Je n’ai aucune ambition d'occuper un siège épiscopal allemand.

- Parmi les laïcs allemands vous avez une image beaucoup plus positive. Vous êtes très populaire. Dans les médias vous n’arrivez pas à vous défaire de l’étiquette de « Georg Clooney du Vatican », une star du cinéma international qui déplace beaucoup de sympathies.

Il est probable que cela ne m’a pas été bénéfique, au contraire. L’institution ecclésiastique a une image négative de moi. Je ne suis pas parmi ses favoris.

- Avez-vous du temps pour vos hobbies?

J’essaie de prendre tout le temps possible pour aller en montagne. Une fois par mois je dois y aller. Je vais avec deux frères dans les Abruzzes. Depuis trois ans je me suis proposé de reprendre les raquettes de tennis. Jusque là sans succès. La lecture est brève, la musique trop aussi. Si c’est possible je vais au travail à pied. La montagne est un besoin, c’est une propreté interne et externe.

- C’est vrai que vous êtres fan du Bayern de Munich?

Oui, c’est vrai. Depuis l’âge de quatre ans. Mais le Fribourg SC a aussi avec le temps trouvé une place dans mon cœur. J’ai une grande sympathie pour cette équipe.

- Essayez un instant de regarder l’Église catholique en Allemagne comme s’il s’agissait d’une équipe de football. Quelle est la première opinion critique qui vous vient ?

Cette équipe est défaillante en ligne avant. La partie se jour plutôt au centre, ils se passent les ballons mutuellement d’un côté à l’autre. Le mouvement du jeu manque, ce qui est essentiel, le risque. Ce n’est pas comme cela que l’on peut gagner aujourd’hui un jeu.

- Avez-vous vous regardé aux côtés du Pape François la finale de la Coupe du Monde entre l’Allemagne et l’Argentine?
(Murmure): Il ne l’a pas vue. Il n’a pas voulu.