Antonio Socci a lu 'Dernières conversations'


Il y a vu - sans surprise - "un livre rempli d'énigmes et de signaux étranges". Parmi les énigmes, le moment de la parution (10/10/2016, mise à jour)

>>> Dossier:
Dernières conversations avec Peter Seewald

 

UNE DATE DE PUBLICATION CALCULÉE?


A part "l'énigme Gotti-Tedeschi" (selon Antonio Socci l'implication du "banquier de l'IOR" n'est pas évidente, c'était aussi ma première impression) qui est décidément troublante, je mentirais si je disais que certains de ses doutes ne m'ont pas aussi traversé l'esprit.
Bien entendu, cela reste des conjectures, et tout pourrait avoir une explication très simple. Sans compter que l'attitude du Saint-Père Benoît lui-même, sa sérénité lors de ses apparitions publiques (y compris les photos prises lors des nombreuses visites qu'il reçoit à Mater Ecclesiae) semblent contredire de façon flagrante les interprétations "dietrologistes" d'Antonio Socci - si l'on me permet ce barbarisme.
Il va également sans dire que ces propos touchent essentiellement non pas le contenu du livre - sinon QUELQUES passages - , mais les circonstances dans lesquelles il est paru , en relation avec ce que vit en ce moment l'Eglise: "Dernières conversations" reste dans son ensemble un livre magnifique, et le témoignage d'un grand Sage et d'un grand homme d'Eglise.

Ce qui n'interdit pas de se poser certaines questions - avec tout le respect et l'affection que nous avons pour Benoît XVI, évidemment.
Par exemple, peu de commentateurs ont noté (Antonio Socci le fait, mais ne creuse pas la question) que ces entretiens ne sont pas tout récents, mais remontent à 2-3 ans.
C'est Peter Seewald qui le disait dans un entretien à Die Zeit (Peter Seewald parle de Benoît XVI):
"Une petite partie des interviews date encore de l’époque du pontificat ; la plus grosse partie, de la période qui suit la renonciation".

A-t-il fallu tout ce temps à Peter Seewald pour rassembler le matériel disponible et le remettre en forme pour le publier seulement maintenant?
Ou la date de la parution a-t-elle obéi à une autre logique...?
C'est ce que pourrait laisser supposer cette autre confidence de Peter Seewald, à laquelle personne n'a prêté attention, dans la même interview:
"Au départ, ces entretiens n’étaient pas conçus pour constituer une publication indépendante mais ils devaient servir de matériau pour une biographie de Ratzinger à laquelle je travaille. Pour cette raison, les choses se présentent peut-être différemment".

On croit comprendre que Seewald rassemblait le matériel d'une biographie probablement posthume (donc à publier dans un avenir indéterminé et que nous espérons le plus éloigné possible) et que pour une raison X ou Y, il (on) a décidé de hâter cette publication.
D'où l'impression d'avoir parfois affaire à une "ébauche", comme dans le cas de la narration des vicissitudes de l'IOR, ici liquidées en quelques lignes, alors qu'on peut imaginer que Seewald a fait une synthèse des explications sans doute plus détaillées du Saint-Père.

Ce ne sont évidemment que des hypothèses, mais elles "colleraient" parfaitement pour justifier que par la publication de son livre (dont le timing n'est sans doute pas de son fait), Benoît XVI ne reniait nullement la promesse solennelle qu'il avait faite au moment de la renonciation de rester "caché au monde"... et que bien entendu, il n'avait pas "menti" ou perdu la mémoire à propos de l'IOR!

Un livre rempli d'énigmes et de signaux étranges


www.antoniosocci.com
9 octobre 2016
Ma traduction

* * *

Le livre de Benoît XVI «Dernières conversations» , a été célébré dans tous les journaux et il figure dans le classement des meilleures ventes de livres, mais a-t-il été effectivement lu et compris?
La première énigme est le livre lui-même. Le 14 Février 2013, trois jours après l'annonce du retrait (qui deviendrait effectif le 28 février), le pape annonça solennellement: «Je resterai caché au monde» .
Au lieu de cela, passées trois années, il sort même un best-seller (surtout, il avait également déclaré qu'après la trilogie sur Jésus, il n'y aurait pas d'autres livres). Pourquoi?
Comment est-il possible qu'un homme aussi rigoureux, aussi peu enclin à se mettre en avant, renie brusquement de façon spectaculaire sa décision de rester caché? Quelles sont les vraies raisons de ce livre?
Est-il possible qu'un grand théologien, qui a des centaines de publications, l'un des plus grands intellectuels de notre temps, au caractère si timide, quelqu'un qui est même pape, à près de 90 ans, manque à l'engagement de rester caché parce qu'ils ressent le besoin de raconter des anecdotes comme «le pied-de-nez» de la tante Theres ou les membres de la Commission théologique qui «picolent» joyeusement dans le quartier duTrastevere? invraisemblable.

DERRIÈRE L'ABSURDE
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Ensuite, il y a les affirmations improbables avec lesquelles Benoît semble nous dire (implicitement): Je ne peux pas révéler comment les choses sont vraiment.
Avant tout sur la cause de son retrait.
Déjà une fois, en février 2014, il avait liquidé quelqu'un qui voulait savoir pourquoi il était resté «pape émérite», vêtu en pape, avec une réponse surréaliste: «au moment de la renonciation, il n'y avait pas d'autres vêtements à disposition»
Il est évidemment absurde de penser qu'il est resté pape émérite pour des raisons vestimentaires (autrement dit parce qu'en deux semaines - du 11 au 28 février - on n'avait pas réussi à trouver une soutane noire au Vatican ...).
Il est tout aussi absurde d'admettre qu'il aurait démissionné - comme nous le lisons dans le livre - à cause d'une histoire de fuseau horaire. Il raconte en effet que le voyage au Mexique en 2012 l'avait fatigué, et pensant qu'il serait trop stressant de participer aux Journées mondiales de la Jeunesse de Rio de Janeiro en Juillet 2013, il a démissionné de la papauté.
C'est une réponse encore plus incroyable que celle sur l'habit, et encore une fois sur le même "thème sensible" dont - évidemment - il ne peut pas ou ne veut pas parler.
En effet, le pape sait parfaitement que dans la doctrine catholique, la renonciation à la papauté ne peut se produire que pour des raisons «gravissimes» (la perte des capacités mentales dues à la maladie), sinon c'est une faute morale sérieuse: il est évident que le voyage à Rio n'est certes pas une raison très grave, tout comme il est évident que Benoît n'est pas homme à s'exposer à la légère à une faute morale grave.
Et surtout, l'explication adoptée est totalement invraisemblable. En effet, au choix entre la papauté et la participation aux JMJ, il est rationnel et moral de renoncer aux secondes, et certainement pas à la papauté.
Aussi parce que Benoît aurait de toute façon pu participer aux JMJ depuis Rome par liaison vidéo, dans la mesure où même s'il avait été présent physiquement, la plupart des jeunes ne l'auraient vu que sur l'écran.
Enfin, il y a une dernière raison qui permet de trancher. Ratzinger explique que les JMJ de Rio devaient avoir lieu en 2014, mais «elles avaient été anticipées d'un an en raison de la Coupe du Monde de football» . Sans cette anticipation «j'aurais essayé de tenir jusqu'en 2014».
Ici, nous sommes en plein absurde. Parce le Vatican était le seul à pouvoir avancer les JMJ: si on voulait vraiment éviter la coïncidence avec la Coupe du Monde, on pouvait facilement reporter les JMJ à 2015 (plutôt que de les avancer à 2013).
Bref, il y avait mille façons de résoudre les problèmes. L'unique choix inadmissible était le renoncement à la papauté pour les JMJ. Surtout sachant que le pape pourrait très bien arriver à 2014 (il le dit lui-même).

AUTRES ÉNIGMES
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Et pourquoi une renonciation si précipitée? Pourquoi démissionner en février quand les JMJ auraient lieu en Juillet?
Benoît XVI a même laissé en plan la moitié de son encyclique la plus importante, celle sur la foi, et aussi l'Année de la Foi.
Quiconque connaît sa rigueur habituelle considère qu'il n'est pas homme à laisser ainsi au milieu une oeuvre tant attendue et si importante de son ministère. Pourquoi alors cette fuite précipitée?
Le livre est plein (???) de contradictions et d'incohérences de ce type.
Sensationelle, par exemple, sa réponse sur l'IOR, où Benoît assume la responsabilité personnelle de tous les choix.
Certains ont même soutenu qu'il aurait ainsi revendiqué l'éviction d'Ettore Gotti Tedeschi. En réalité, Benoît ne cite pas son nom et semble confusément [car l'affaire et sa chronologie sont tout sauf claires, comme cela a déjà été dit ici, et il était impossible de la liquider en une ligne, comme le fait Seewald] se référer à d'autres événements.
En tout cas, il est imprécis et surtout nous savons que son secrétaire, Mgr Georg Gaenswein, avait révélé, le 22 Octobre 2013, au «Messaggero», que Benoît XVI ignorait le limogeage du président de l'IOR: «Benoît XVI qui a appelé Gotti à l'IOR pour poursuivre la politique de transparence a été surpris, très surpris de l'acte de défiance au professeur» .

Il y a d'autres points d'interrogation.

LES DEUX PAPES
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Les journaux ont insisté sur les éloges de Benoît à François. Mais ils ont oublié de signaler que les interviews rapportées dans le livre ont été enregistrées dans les premiers mois du pontificat de Bergoglio (juillet et décembre 2013, et février 2014), quand le pape argentin avait signé l'encyclique sur la foi, en réalité déjà écrite par Benoît. Moi-même - dans les premiers mois - je regardais le pape Bergoglio avec faveur.
D'ailleurs, il y a aussi des piqûres de critiques («Si un pape ne recevait que les applaudissements, il devrait se demander s'il fait quelque chose de mal»).

Et puis, comme le Petit Poucet, Benoît XVI semble parsemer le livre de signaux qui augmentent le mystère de son actuelle situation de pape émérite et de la présence simultanée de deux papes.
Lorsque, par exemple, il dit que son acte «n'est pas une fuite, mais une autre façon de rester fidèle à mon ministère» . Lorqu'il explique qu'il continue d'être pape «dans un sens intérieur» et lorsqu'il envisage même d'être le dernier pape («tout peut être» ) .
Des signes qui alimentent le mystère. Et qui vont dans le sens de la conférence explosive de Mgr Gänswein, le 21 mai où il expliquait qu'«il n'a pas abandonné l'Office de Pierre» .

Mais alors, que s'est-il passé au Vatican?

Antonio Socci