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La foi chrétienne ne recherche pas les bravos (I)

A propos du mariage et inévitablement d'Amoris Laetitia, magnifique interview du cardinal Brandmüller au Frankfurter Allgemeine Zeitung. Première partie de la traduction complète, par Isabelle (29/10/2017)

Nous devrions d'abord poser la question essentielle : qu'est-ce que la religion? Qu'est-ce que comprend un catholique sous le terme "religion" ? La religion, dans l'acception actuelle, est pour beaucoup un phénomène seulement psychologique et socio-culturel. Dans l'acception catholique par contre, la religion n'est précisément pas un produit de l'esprit humain, ni une tentative pour expliquer l'existence à l'aide de la réflexion philosophique. La religion est la réponse de l'homme à un appel qui lui est adressé de l'extérieur.

La foi chrétienne ne recherche pas les applaudissements

Christian Geyer et Hannes Hintermeier
Frankfurter Allgemeine Zeitung
28 octobre 2017
Traduction d'Isabelle

* * *

L’amour peut-il être un péché ? Et si oui, qui peut le croire ? La polémique sur “Amoris Laetitia” enfle dans le monde entier – entre autres aussi à cause du silence obstiné du pape François.

Monsieur le Cardinal, il y a, à l’heure actuelle, beaucoup d’agitation dans l’Eglise catholique. Les uns soupçonnent le pape d’hérésie alors que les autres l’acclament comme un réformateur luthérien. Ce sont les questions de morale sexuelle, telles qu’elles sont abordées dans le document pontifical “Amoris Laetitia” sur le mariage et la famille qui constituent la pierre d’achoppement. La controverse est mondiale et, parfois, violente et radicale, puisqu’une conférence épiscopale se dresse contre l’autre, notamment lorsqu’il s’agit de l’admission aux sacrements des divorcés remariés. Dans une perspective séculière, se pose d’abord la question de savoir comment, au 21e siècle, on peut encore imaginer de vouloir imposer des normes à la vie sexuelle, lorsque les partenaires sont parvenus à un accord mutuel.

A mon avis, nous devrions d’abord poser la question essentielle : qu’est-ce que la religion? Qu’est-ce que comprend un catholique sous le terme “religion” ? La religion, dans l’acception actuelle, est pour beaucoup un phénomène seulement psychologique et socio-culturel. Dans l’acception catholique par contre, la religion n’est précisément pas un produit de l’esprit humain, ni une tentative pour expliquer l’existence à l’aide de la réflexion philosophique. La religion est la réponse de l’homme à un appel qui lui est adressé de l’extérieur. Et ainsi, se pose la question de Dieu, du créateur sans lequel l’homme n’existerait pas. Ce Dieu, toujours dans la conception que la foi chrétienne se fait d’elle-même comme religion révélée, s’est fait connaître aux hommes. Et cela, en se plaçant lui-même sur le plan où on peut trouver l’homme. Dieu – c’est la conviction commune à tous les chrétiens – est devenu homme en Jésus de Nazareth ; il est entré dans l’histoire pour rencontrer l’homme et se communiquer lui-même d’une manière parfaite et définitive. La réponse de l’homme à cette révélation du créateur est la religion et celle-ci marque naturellement de son empreinte la manière de vivre.

Mais là commence la discussion. Dieu, si l’on admet son existence, parle d’une manière qui n’est pas univoque. La révélation, puisqu’il s’agit d’une parole, met en jeu une interprétation. N’y a-t-il pas, pour cette raison, différentes écoles théologiques ? En fait la problématique qui nous occupe semble dépasser de loin les questions de morale sexuelle. Fondamentalement, n’est-ce pas, en réalité, la question de savoir en vertu de quoi quelqu’un – institution, personne isolée – peut revendiquer le droit de parler de manière contraignante au nom de Dieu ? Et ne se pourrait-il pas que cette très vieille question de critique de la religion fasse irruption, pour la première fois, au cœur de la papauté, raison pour laquelle un texte comme “Amoris Laetitia” semble garder un caractère délibérément imprécis ?

D’abord, il y a une base de droit naturel sur laquelle on peut concevoir le mariage, l’amour et la famille.

Mais l’appel au droit naturel déplace seulement la question : qui l’interprète et au nom de quoi ?

Le droit naturel, auquel fait référence le dogme catholique, voit le mariage comme une communauté de vie entre un homme et une femme, dont le but est de transmettre la vie humaine. Ce mariage naturel est élevé par le Christ dans une sphère surnaturelle et divine et devient un sacrement. Le sacrement est un signe extérieur, institué par le Christ, pour indiquer une action de la grâce dans l’âme humaine. Les sacrements font ce qu’ils signifient, ce qu’ils expriment. Dès lors, dans cette perspective qui est celle de l’Eglise et qui ne sera évidemment pas partagée par les athées et les agnostiques, mais qu’ils peuvent très bien comprendre – dans cette perspective donc, le mariage n’est plus une affaire qui concerne seulement l’homme, la femme et la société, mais une affaire entre l’homme, la femme et Dieu, qui leur donne, pourrait-on dire, le pouvoir de poursuivre sa création. L’apôtre Paul dit : le mariage chrétien, sacramentel est une image réelle de la relation entre le Christ et son Eglise. Nous annonçons ici une nouvelle qui dépasse, certes, la raison humaine mais ne la contredit pas.

On aimerait admettre tout cela comme une vision poétique de l’amour. Mais si on l’entend comme un modèle normatif, cette façon de voir s’oppose directement à une conception des relations entre les sexes qui se détermine elle-même, telle qu’elle prédomine aujourd’hui. Les relations amoureuses se sont radicalement émancipées de la tradition. Les décisions culturelles pour un enfant, pour un ou une partenaire, pour des relations hétéro- ou homosexuelles sont détachées des contraintes biologiques. Les gens peuvent aussi, d’un commun accord, se séparer l’un de l’autre. Est-ce que le relâchement de la morale sexuelle, placé sous le signe théologique de la miséricorde, comme François le souhaite manifestement, n’ouvre pas un nouveau chemin, si l’Eglise veut encore avoir quelque chose à dire aux hommes à l’avenir ?

L’Evangile de Jésus Christ, ouvre des horizons qui, sans ce que nous appelons révélation, sont d’abord inaccessibles à la raison naturelle. Cela signifie qu’une contradiction entre l’Evangile et ce qui est socialement admis ne doit pas étonner. Jésus, dans ce contexte, parle un langage très clair, lorsqu’il parle de l’indissolubilité du mariage et de la condamnation de l’adultère. Dans la mesure où je suis catholique, je me situe à l’intérieur de ce cadre. C’est un cadre qui tient absolument compte de la réalité d’un possible échec d’un mariage et, dans le cas d’incompatibilité d’humeur des conjoints, d’une séparation de corps.

Se séparer : oui ; mais se remarier : non ? N’est-ce pas là une conviction coupée de la réalité de manière presque provocante et qui a été corrigée, d’une manière peut-être théologiquement maladroite, mais qui n’en fait pas moins autorité, par « Amoris Laetitia » ?

Comme je l’ai dit, Jésus lui-même parle de l’indissolubilité du mariage et du caractère répréhensible de l’adultère. Dans le cadre de l’Eglise, on a toujours admis la possibilité de l’échec. Il est souvent arrivé que l’un des conjoints se révèle littéralement insupportable. Mais la possibilité d’un remariage n’existe pas ; et elle n’a jamais existé dans toute l’histoire chrétienne jusqu’à Luther.

La séparation de corps fait penser à la noblesse anglaise, où l’on disait toujours en parlant du conjoint : « Divorce, jamais ; meurtre, oui » (divorce never, murder yes). Si je fais la connaissance de ma voisine dans la cage d’escalier et que je ne reste pas « séparé de corps » de ma femme, mais emménage chez la voisine, qu’est-ce donc ?

Un adultère.

Et si, sans remords, mais avec un sentiment de bonheur, je vis, auprès de cette voisine, les dix années à venir ?

C’est du concubinage. Un adultère qui se prolonge.

Où cela se situerait-il dans la hiérarchie des fautes ?

Comme un péché grave.

Mais pas comparable à un remariage ?

Non, parce ce que le concubinat, – et ceci, même d’un point vue humain et social – est toujours révocable. On s’en va simplement et on va ailleurs.

Cette position ne vous semble-telle pas passablement formaliste ? Elle ne semble pas non plus s’accorder très bien avec un langage de l’amour.

Mais, excusez-moi ! La foi chrétienne, notamment dans sa forme catholique, est un sujet de scandale pour le monde. Et le Christ était et reste une provocation pour le monde. La foi chrétienne et l’Eglise ne recherchent ni les applaudissements, ni l’approbation. Cela ne va pas.

Que dites-vous à ceux qui pensent : si nous ne changeons pas maintenant, nous courons à la ruine ?

Ainsi vous pensez que l’Eglise décline ?

Mais, dans ce pays, on en a quelquefois l’impression, pour le dire gentiment.

Excusez-moi, mais qu’y a-t-il d’autre dans l’Evangile ? Dans l’Evangile, on ne prédit pas un triomphe glorieux de la foi et de l’Eglise, mais la grande apostasie. Et pour cela, je ne dois même pas ouvrir l’Apocalypse de Jean, il suffit des quatre Evangiles. Et ce qui est essentiel, c’est que l’Eglise comme telle ne périt pas : “Ne crains pas, petit troupeau, dit le Christ, car mon père vous a promis de vous donner le Royaume”. Ce sont là des choses que l’on doit reconnaître et dire clairement. Et cet effort constant et forcené pour ne pas faire de scandale, pour être gentil avec tout le monde n’est tout simplement pas compatible avec l’Evangile, avec la vie du chrétien en ce monde. Dans l’Evangile on parle de l’amour qui se refroidit. Est-ce que nous avons un amour qui se réchauffe ? Notre amour s’est tellement refroidi que l’on élimine les enfants avant la naissance et les hommes malades, âgés ou déments. N’est-ce pas cela le refroidissement de l’amour ? Je le pense vraiment. Nous faisons aujourd’hui ce qui, il y a quelques années à peine, faisait condamner des hommes à la mort.

Vous mettez sur le même pied l’euthanasie systématique et la mort provoquée des malades atteints de démence ?

Mais naturellement.

à suivre