Benoit-et-moi 2017
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Le dénombrement de Béthléem

A propos du sublime tableau de Peter Brugel l'ancien, le commentaire inspiré de Maurizio Blondet (23/12/2017)

Pieter Bruegel l’Ancien, Le dénombrement de Bethléem (1566), Musées royaux des beaux-arts, Bruxelles

Trêve contemplative

Maurizio Bondet
19 décembre 2017
Ma traduction

* * *
Nous avons besoin d'une trêve. Contemplative.
Soit que j'ai l'impression d'avoir dit ce qui était nécessaire, et il n'y a rien d'autre à ajouter, soit qu'il est inutile de relever une fois de plus les aberrations inguérissables de notre époque, je sens que j'ai besoin - que nous avons besoin - d'une trêve.

Au lieu de dire, contempler. C'est "le dénombrementde Bethléem" de Pieter Brugel. Un Bethléem flamand, familier au peintre, qui a vécu dans ces décennies de la petite glaciation dont Leroy Ladurie écrivit pour le Languedoc: «... tout gèle, la mer, le Rhône, les oliviers». En 1562, un Parisien écrit: «On ne savait pas si c'était l'hiver ou l'été, sauf pour la durée des jours». En Allemagne, le prix du seigle a quadruplé. On patine sur la Tamise glacée. En 1564, note un chroniqueur français, le vin gèle dans les barriques.

En cet hiver sans fin, parmi gens et poules, ménagères qui tuent le cochon, charretiers affairés, enfants en traîneau, porteurs qui marchent sur la rivière gelée en portant sur leurs épaules les charges que les péniches prises dans la mâchoire de la glace ne peuvent pas porter; où soldats et gens du peuple se pressent autour d'un grand feu, une petite famille arrive complètement inaperçue. Lui, le mari, porte sur l'épaule un outil de travail qui peut aussi servir d'arme, les temps sont ainsi, on ne peut pas voyager sans arme. Elle, sur l'âne, ne s'est pas recouverte d'un manteau, mais d'une de ces couvertures grossières, sous laquelle on essaie de dissimuler le maximum, leurs bagages. Elle garde les yeux baissés, le petit visage est déjà souffreteux, on comprend que l'accouchement est proche.

Ils sont arrivés. Une petite foule se masse devant le bureau, sur la neige piétinée et sale. L'hiver, tout le monde le sait, ne passe pas et ne passera pas; c'est la vie, un hiver long et mauvais. Personne n'a un regard pour eux, étrangers insignifiants. Nous savons qu'il n'y aura pas de place pour eux à l'auberge. Heureusement, Joseph a emmené aussi la maigre vache de la famille -ou le boeuf. Avec l'âne, il les réchauffera, eux et l'Enfant.