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Vers la messe oecuménique?

Intrigues à la Congrégation pour le Culte Divin, décentralisation, et menaces sur l'Instruction de 2001 Liturgiam authenticam (20/2/2017)

>>> Sur le même sujet, voir aussi:
¤ Père Scalese: querculanus.blogspot.fr
¤ Sandro Magister: magister.blogautore.espresso.repubblica.it

Dans un article publié hier sur la Bussola (La réforme de la Curie), Marco Tosatti explique fort bien la stratégie mise en place par le Pape (lui ou ses inspirateurs) pour "réformer la Curie". C'est ce que dans un autre article publié ce matin sur son blog il appelle "la stratégie de l'araignée": elle consiste à

«vider de l'intérieur le pouvoir au sommet de quelques Congrégations, en décapiter très vite quelques-unes, et permettre que de nombreux 'ufficiali' et collaborateurs soient démis ou poussés à se démettre, afin de les remplacer par des personnes qui donnent davantage de garanties de loyauté, non pas tant à l'institution qu'à celui qui commande».

Apparemment, le sort de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, dirigée par le cardinal Sarah, ressort à la fois de la première et de la troisième catégorie.
Justement à ce propos, dans le même article de la Bussola, Marco Tosatti écrit:

A l'intérieur [de la Congrégation], le jeu est rendu facile par le fait que depuis 2012 le Secrétaire de la Congrégation est Mgr Arthur Roche, certes pas conservateur, très proche du cardinal britannique Murphy O'Connor, l'un des grands conseillers discrets et des inspirateurs du Pontife. Et en effet, c'est à lui, en tant que président, et non pas au cardinal Sarah, comme cela aurait pu être envisagé, qu'est confiée la tâche de présider une commission pour examiner les traductions de la liturgie, modifiant l'instruction de 2001 Liturgiam authenticam. Sarah - me dit-on - n'était absolument pas au courant de cette décision ...

Lorenzi Bertocchi consacrait à cette histoire un article très édifiant sur la Bussola du 6 février dernier. Le titre: LITURGIE AUTHENTIQUE, CROCHE-PIED À SARAH. ET À BENOÎT XVI. On en trouvera la traduction en annexe (réparation d'un oubli...).
Selon lui, un petit groupe "plein de zèle" de collaborateurs de la Congrégation oeuvrerait "en douce" (en particulier à l'insu du cardinal Sarah) pour liquider l'instruction Liturgiam authenticam ... et par la même occasion, l'héritage liturgique de Benoît XVI.

Aujourd'hui, toujours sur la Bussola, il est à nouveau question de l'instruction Liturgiam Autenticham.
L'article, signé Luisa Scrosati, évoque le projet d'étendre le pouvoir des conférences épiscopales également dans le domaine liturgique. Plus précisément, de «décentraliser et de donner une "certaine" liberté aux Conférences épiscopales pour expérimenter de nouvelles traductions [des textes liturgiques], plus compréhensible au peuple de Dieu, de nouveaux textes mieux adaptés à la mentalité de l'homme moderne, et - pourquoi pas? - une nouvelle prière eucharistique, pour pouvoir aller à la rencontre des frères séparés, en particulier dans les zones germanophones».

Vers la messe "œcuménique"
Le difficile travail karstique (*) pour une messe oecuménique

(*) terme emprunté à la géologie, qu'on pourrait traduire ainsi: "d'érosion par dissolution"

Luisella Scrosati
20/02/2017
www.lanuovabq.it
Ma traduction
* * *

Dans les travaux de réforme de la Curie romaine en cours, l'idée prend corps que les dicastères continuent d'exister nominalement, mais que dans la pratique, leur autorité est de plus en plus réduite. Si la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a été de fait évincée, n'ayant pas été autorisée à prononcer un mot sur les divisions en cours à cause de l'interprétation d'Amoris Laetitia (le cardinal Müller n'avait même pas été invité à la présentation du document, la préférence ayant été donnée aux cardinaux C. Schönborn et Lorenzo Baldisseri), la Congrégation pour le culte Divin et la discipline des sacrements ne jouit pas d'un meilleur prestige.

REVOIR LE CENTRE ET LES PÉRIPHÉRIES

Nous avons déjà évoqué les mouvements subversifs (cf Annexe) visant à saborder ladite "Cinquième instruction pour l'application correcte de la Constitution sur la liturgie de Vatican II [sur l'usage des langues vulgaires dans la publication des livres de la liturgie romaine]" (résumé en français: www.vatican.va), Liturgiam Autenticham (LA). Ce texte fondamental est peu apprécié, non seulement pour les critères de traduction indiqués, mais aussi parce qu'il confirme et renforce la nécessité de recognitio des textes liturgiques approuvés par la Conférence épiscopale: «Cette recognitio n'est pas tant une formalité qu'un acte de pouvoir de gouvernement, absolument nécessaire (en cas d'omission, en effet, les actes des conférences des évêques n'ont pas force de loi), qui peut impliquer des modifications, y compris substantielless. Ainsi, il n'est pas permis de publier des textes liturgiques [...] s'il n'y a pas la recognitio». La raison en est claire: «Comme il est nécessaire que la lex orandi concorde toujours davec la lex credendi [...] les traductions liturgiques ne peuvent pas être dignes de Dieu si elles ne rendent pas fidèlement dans la langue vernaculaire la richesse de la doctrine catholique présente dans le texte original, de sorte que le langage sacrée s'adapte au contenu dogmatique qui porte avec lui». Et puis vient la hache pour toute tentative centrifuge: «Il faut observer le principe selon lequel chaque Église particulière doit être en accord avec l'Église universelle, non seulement en ce qui concerne la doctrine des signes de foi et les sacrements, mais aussi en ce qui concerne les usages universellement reçus par la tradition apostolique ininterrompue» (LA, §80).

Pour dissoudre définitivement la liturgie catholique, il est donc nécessaire de donner plus de liberté aux conférences épiscopales et de se débarrasser de - en jargon curial «d'atténuer» - la peu appréciée recognitio, dans l'acceptation de la ligne de 'devolution' (en anglais: au sens que le pouvoir serait "dévolu", en l'occurence, aux conférences épiscopales).

"Amoris Laetitia" docet. On pensait que la bataille se jouait sur deux façons de comprendre la doctrine sur le mariage et l'Eucharistie, alors qu'au contraire, le message a été plutôt clair: la doctrine n'est pas modifiée (lire: la doctrine n'intéresse pas), mais la pratique change. Et pour cela, il est nécessaire de donner une liberté aux conférences épiscopales, parmi lesquelles beaucoup ont hâte de s'aventurer sur de nouveaux sentiers, évidemment pour le bien des âmes. Parce qu'au fond, « Il n’est pas opportun que le Pape remplace les Épiscopats locaux dans le discernement de toutes les problématiques qui se présentent sur leurs territoires. En ce sens, je sens la nécessité de progresser dans une “décentralisation” salutaire».( Evangelii Gaudium, 16).
La révolution part des périphéries.

VERS UNE PRIÈRE EUCHARISTIQUE OECUMÉNIQUE

Des indiscrétions confirment que dans la liturgie, on tente de faire la même chose: décentraliser et donner une "certaine" liberté aux Conférences épiscopales pour expérimenter de nouvelles traductions, plus compréhensible au peuple de Dieu, de nouveaux textes mieux adaptés à la mentalité de l'homme moderne, et - pourquoi pas? - une nouvelle prière eucharistique, pour pouvoir aller à la rencontre des frères séparés, en particulier dans les régions germanophones, qui doivent cohabiter avec lesdits frères séparés, mais sans pouvoir donner le témoignage de l'union autour de l'autel du Seigneur ... Il faudrait donc penser à un prière eucharistique qui puisse être prononcée ensemble sans créer de difficulté à quiconque.

Divagations? Non. Le support permettant de tout justifier est même déjà prêt. Il s'agit du document de 2001 du Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens, alors dirigé par le cardinal Kasper, qui reconnaissait la validité de l'anaphore de Addai et Mari (Prière eucharistique de l'Eglise assyrienne d'Orient, mieux connue comme Église nestorienne), un document qui peut se vanter du placet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, qui avait comme préfet le cardinal Ratzinger, et de celui de Jean-Paul II. Rien de mieux pour pouvoir tout révolutionner, en se couvrant derrière une continuité avec les papes précédents. Cette anaphore a la particularité de ne pas contenir les paroles de la consécration, sinon, comme l'indique dans le document de 2001 «de manière eucologique et disséminée», c'est-à-dire pas de manière explicite («Ceci est mon corps ... Ceci est la coupe de mon sang»), mais «dispersées» dans les prières qui composent l'anaphore. L'anaphore serait donc très utile comme principe justificatif d'une nouvelle prière eucharistique sans les paroles de la consécration, qui pourraient heurter les frères protestants.

On n'accordera pas beaucoup de poids au fait qu'à la fin de ce document, il est spécifié que « les considérations précédentes à propos de l'usage de l'anaphore de Addai et Mari et les présentes orientations en vue de l'admission à l'Eucharistie concernent exclusivement la Célébration eucharistique et l'admission à l'Eucharistie des fidèles de l'Eglise chaldéenne et de l'Eglise assyrienne d'Orient, aux vues de la nécessité pastorale et du contexte oecuménique rappelés ci-dessus». En d'autres termes: cette anaphore ne peut être utilisée que dans le contexte indiqué et ne peut pas devenir le principe inspirateur pour de nouvelles réformes présumées, comme le claironnent depuis des années de nombreux liturgistes. Asinus asinum fricat.
Mais on sait qu'à une époque où où l'on doit édifier non pas des murs mais des ponts, cette clause est vouée à être balayée en un instant.

(...)

Annexe

Liturgie authentique, croche-pied à Sarah. Et à Benoît XVI

Lorenzo Bertocchi
La Bussola
6 février 2017

* * *

Décentralisation et inculturation. Ces deux mots d'ordre sont l'horizon de travail de la commission instituée par le Pape François pour réformer, certains disent supprimer, l'instruction Liturgiam authenticam. Ce document a été approuvé explicitement par saint Jean-Paul II, au cours d'une audience avec son secrétaire d'État, le 20 Mars 2001 et publié par la Congrégation pour le Culte Divin , le 28 Mars avec la tâche d'exprimer les critères pour la traduction des textes liturgiques du latin aux langues modernes.

LE CARDINAL SARAH TENU DANS L'IGNORANCE?

Selon certaines sources, un petit groupe de personnes de la Congrégation pour le Culte Divin - à commencer par le Secrétaire, l'archevêque anglais Arthur Roche, qui est également à la tête de la commission instituée - s'emploierait avec zèle à oblitérer de l'instruction . Ces jours-ci, une rencontre de travail confidentielle aurait eu lieu à l'extérieur de Rome, à laquelle auraint pris part, en plus de Roche, le Sous-Secrétaire le père Silvano Maggiani, Andrea Grillo, professeur à l'Université pontificale de saint Anselme, et les évêques Piero Marini et Domenico Sorrentino. Tous des noms importants du courant liturgique post-conciliaire.

On est surpris d'apprendre que la phase préparatoire de tout cela, malheureusement, semble avoir eu lieu à l'insu du préfet de la congrégation, le cardinal Robert Sarah. Par ailleurs, le cardinal ne semble pas jouir de beaucoup de sympathie, si l'on en juge à la façon dont il a été immédiatementrepris par le bureau de presse du Vatican durant l'été 2016, après certaines de ses déclarations lors d'une conférence de Londres sur l'opportunité de célébrer tourné "ad orientem". Pour beaucoup , ce fut une humiliation à tous points de vue, accompagnée ensuite d'un certain isolement vécu dans la congrégation qu'il dirige. Nous ne savons pas à quel point cela correspond à la réalité, mais dans les milieux de la congrégation, il circule des blagues corsées à propos du cardinal: «C'est quelqu'un - dit-on - qui a eu besoin d'écrire 500 pages pour parler du silence», en référence au dernier livre du cardinal, intitulé justement "La Force du silence".

«Le petit groupe qui aurait particulièrement à coeur de dépasser "Liturgia authenticam", dit une source qui a demandé à rester anonyme, en plus de l'intention de déconstruire systématiquement l'instruction, cherche à éliminer tout l'héritage du magistère liturgique du Pape Benoît XVI" .

LA QUESTION DE LITURGIAM AUTHENTICAM

Le problème peut sembler une affaire pour initiés, sauf qu'il s'agit dans de nombreux cas de la fidélité au texte même des Evangiles. À ce propos, rappelons la fameuse lettre écrite par Benoît XVI aux évêques allemands dans la querelle de 2012, à propos du "pro multis" - pour beaucoup -, de l'Evangile et du missel latin dans les paroles de la consécration du sang du Christ, contre le "pour tous" de nombreuses traductions courantes. Dans cette lettre, le pape Ratzinger constatait que dans les prières liturgiques dans les différentes langues, parfois, on ne peut presque rien trouver en commun et que le texte unique, qui est la base de la vie liturgique de l'Église tout entière, n'est souvent reconnaissable que de loin, sans parler des banalisations qui «représentent d'authentiques pertes». Dans cette lettre à l'épiscopat allemand, Benoît XVI soulignait clairement la nécessité de se référer aux critères définis dans Liturgiam authenticam.

"COMME LE PRÉVOIT"

Jusqu'à la publication de l'instruction Liturgiam Authenticam, ceux qui soutenaient l'opportunité de traduire très librement les textes liturgiques, tout en reconnaissant qu'il y avait eu des abus, se réclamaient en général d'un document publié en 1969 par la Commission qui élabora la réforme liturgique et dont le secrétaire était Mgr Annibale Bugnini (dont Piero Marini fut le secrétaire, ndt), un document non signé et de façon inhabituelle rédigé en français, souvent cité par ses premiers mots: «Comme le prévoit...». Toutefois, délibérément, l'instruction publiée sur ordre de saint Jean-Paul II ne citait pas ce document et tentait d'appeler à la fidélité et à la précision dans les traductions liturgiques plus qu'à la créativité, parfois improvisée, du liturgiste en vogue du moment.

Toujours Jean-Paul II, dans l'Encyclique de 2003 'Ecclesia de Eucharistia' réaffirmait le même concept que par la suite Benoît XVI fera sien dans la lettre citée plus haut. C'est seulement vingt jours avant sa mort, du lit de la polyclinique Gemelli, où le pape était désormais vidé de ses forces qu'on lui fit signer un document en faveur de la traduction «pour tous». Le cardinal Ratzinger, à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, n'en savait rien et, c'est pour cela qu'il fit ses remontrances lors d'une réunion des chefs de dicastère quelques jours plus tard.

POURQUOI LITURGIAM AUTHENTICAM REDEVIENT-ELLE D'ACTUALITÉ?

La question est intéressante aussi en ce qui concerne les rumeurs qui circulent sur le petit groupe plein de zèle dans le processus de «dépassement» de l'instruction. Surtout s'il était vrai que leur action n'est pas seulement pour «dépasser» l'instruction, mais plus généralement pour laisser derrière eux le magistère liturgique du pape émérite.

Quand le pape était Benoît, l'archevêque Roche n'était pas contre l'instruction de Jean-Paul II. En effet, en tant que président de la Commission internationale sur l'Anglais dans la liturgie (International Commission on English in the Liturgy – ICEL), l'une des deux commissions (l'autre s'appelle Vox Clara et est présidée par le cardinal George Pell) chargées de réviser la traduction du Missel romain, il avait déclaré que «la nouvelle traduction est un grand don pour l'Eglise (...). Dans la nouvelle traduction, nous trouvons un texte plus fidèle à la version latine du texte et donc plus riche dans son contenu théologique et dans les références à l' Écriture, mais aussi une traduction qui, je la crois, conduira les cœurs et les esprits des personnes à la prière».

Dans une interview datant d'il y a quelques années, Mgr Roche affirma que le latin fera toujours partie du rite romain parce qu'il «conserve la langue dans laquelle a été écrit du rite romain, tant dans la forme ordinaire qu'extraordinaire... C'est la façon dont l'Église s'exprime. (...) Les gens de partout dans le monde, de tous les continents et de différentes parties du globe viennent à Rome et participent à la messe en s'unissant tous ensemble à cette expression commune qu'est le chant des parties latines de la messe». Et pendant les préparatifs de la commémoration des cinquante ans de Sacrosanctum Concilium , Mgr Roche a assuré que François n'avait exprimé aucune intention de changer de direction par rapport à Benoît en ce qui concerne à la fois la forme extraordinaire que la forme ordinaire du rite romain.

Pourquoi a-t-on l'impression que les choses changent? Quelle est la véritable opinion de Mgr Arthur Roche? Veut-on vraiment détruire l'héritage de Benoît XVI?