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L'avertissement dramatique de Benoît XVI

et le rappel de Ratisbonne. Riccardo Cascioli revient sur la "lettre au président polonais" et ne craint pas de comparer avec l'attitude de François, à quelques jours du voyage en Egypte (25/4/2017)

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Europe athée contre radicalisme islamiste (La lettre de Benoît XVI)

Islam
alors que le pape François s'apprête à se rendre en Egypte, Benoît XVI relance son discours de Ratisbonne

Riccardo Cascioli
25/04/2017
www.lanuovabq.it
Ma traduction

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Il s'agit bien sûr d'une coïncidence due à la célébration de son anniversaire et à un Congrès organisé concomitamment, mais le puissant message de Benoît XVI à quelques jours de l'importante visite du pape François en Egypte ne peut pas être un hasard. Il se trouve en effet qu'à l'occasion du 90e anniversaire du pape émérite, qui tombait le dimanche de Pâques, un colloque sur le thème «Le Concept d'Etat dans la perspective de l'enseignement du cardinal Joseph Ratzinger-Benoît XVI» s'est tenu le 19 avril à Varsovie, au siège de la Conférence épiscopale polonaise.

Pour l'occasion, Ratzinger lui-même a envoyé un message qui, bien que bref, affirme un concept fondamental, et même un jugement explosif qui une fois de plus réduit en miettes le politiquement correct sur les relations entre Occident et islam. Dans le message, Benoît XVI parle d'«une question essentielle pour l'avenir de notre continent». Et il explique:

«La confrontation entre des conceptions radicalement athées de l'Etat et l'émergence d'un Etat radicalement religieux dans les mouvements islamistes, conduit notre époque dans une situation explosive, dont nous expérimentons chaque jour les conséquences.
Ces radicalismes exigent que nous développions d'urgence une conception convaincante de l'Etat, qui soutienne la confrontation avec ces défis et puisse les surmonter».

Benoît XVI repropose donc encore une fois la leçon de Ratisbonne, ce discours prononcé le 12 Septembre 2006, aussi critiqué qu'incompris. Critiqué et incompris, surtout en Occident, où une fausse polémique fut montée pour provoquer la réaction furieuse du monde islamique et couvrir la véritable signification de ces paroles qui au contraire, 11 ans après, apparaissent encore plus actuelles. En réalité, il y eut bien une réaction, mais derrière ces protestations alimentées à dessein, quelque chose bougea aussi dans le monde musulman, l'expression la plus évidente en étant une lettre de 138 intellectuels musulmans (*) adressée au Pape et à tous les chefs des confessions chrétiennes, initiative qui culmina avec plusieurs rencontres au Vatican.

Benoît XVI rappelait alors l'importance d'une unité entre raison et foi, la conception d'un Dieu qui agit selon la raison, chose à laquelle était déjà arrivée la pensée grecque. Et il voyait dans la scission entre la raison et la foi, le drame de la société actuelle. D'un côté, l'Occident, avec une raison «réduite» par la volonté d'exclure Dieu: «Une raison qui face au divin est sourde et qui relègue la religion dans le domaine de la sous-culture est incapable de s'insérer dans le dialogue des cultures». De l'autre l'islam, qui conçoit un Dieu agissant arbitrairement: puisque Dieu est absolument transcendant, sa volonté n'est même pas liée à la rationnalité. C'est pourquoi l'islam justifie la violence. Ce n'est que dans la conception greco-chrétienne que «ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu».

Quiconque regarde la réalité d'aujourd'hui sans les œillères de l'idéologie ne peut pas ne pas reconnaître que c'est justement le drame que nous vivons: d'un côté un Occident laïciste qui, précisément pour cette raison, est incapable de comprendre la réalité et les cultures qu'il rencontre et qui se sert de la violence du politiquement correct pour imposer sa propre vision; de l'autre l'islamisme qui ne parvient pas à concevoir autre chose que sa propre domination, y compris par la terreur. Cet affrontement entre des radicalismes opposés a désormais comme théâtre l'Europe, à cause aussi de la politique migratoire insensée fruit essentiellement de l'incompréhension évoquée plus haut.

Ainsi, le message de Benoît XVI à l'occasion de son 90e anniversaire, résonne un peu comme le dernier avertissement avant la tragédie. Quelle est la route suggérée, quelle peut être une «conception convaincante de l'Etat»? C'est ce qu'a résumé au cours du Symposium de Varsovie le Père Federico Lombardi, qui à l'époque de Benoît XVI était le porte-parole vatican: «Joseph Ratzinger-Benoît XVI est profondément convaincu - a dit Lombardi - que le vrai fondement, la garantie la plus solide d'un ordre capable de protéger la dignité et la valeur de la personne humaine réside dans la reconnaissance par la raison humaine de la vérité d'un ordre moral objectif, fondé en dernière analyse sur la raison créatrice de Dieu».

C'est une indication claire, qui explique aussi ce que signifie vraiment reconnaître les racines chrétiennes de l'Europe: non pas imposer une religion, mais avoir une conception de la raison «déployée dans toute son ampleur» et donc ouverte au transcendant, comme Benoît XVI l'a déclaré à Ratisbonne.

Proposée à nouveau aujourd'hui, cette pensée apparaît encore plus révolutionnaire par rapport à la culture dominante actuelle et à la spirale de la violence dans laquelle le monde se resserre. Mais à la veille du voyage du pape François en Egypte, elle résonne aussi comme un avertissement - ou tout au moins une suggestion - à un pontife qui n'a jamais caché sa déception pour le discours de Ratisbonne, le considérant comme un obstacle au dialogue avec l'islam.

Au défi sur la vérité et la raison, lancé par Benoît XVI, François oppose le défi de la «rencontre comme message», comme lui-même l'a définie.
Pour François, l'important est de se voir, de se parler, dans la conviction qu'en se connaissant, beaucoup de barrières tombent et qu'on peut construire des ponts. Ainsi , François n'a jamais mentionné l'islam en termes problématiques, par exemple en référence à l'immigration; il continue de répéter que l'islam est une religion de paix et qu'il n'y a pas de différence entre la violence des islamistes et celle des chrétiens.

Reste à voir s'il s'agit simplement d'une stratégie «opération sympathe» ou d'une conviction. Ce qui est certain, c'est que certaines affirmations ne correspondent pas à la réalité, comme ne cessent de nous dire ceux qui vivent dans les pays musulmans ou qui sont des spécialistes du monde musulman. Comme par exemple le jésuite égyptien Samir Khalil Samir, islamologue, professeur à l'Institut pontifical oriental et qui fut conseiller de Benoît XVI. Ces derniers jours, parlant à des journalistes, il a dit clairement: «Le pape François vient d'Argentine, il ne connaît pas l'islam. Il a rencontré à Buenos Aires un imam très gentil avec qui il a eu une bonne relation [ndt: cela, c'est la version charitable...], mais son ignorance de l'islam ne sert pas le dialogue. Bergoglio a souvent dit que l'islam, est une religion de paix et cela, c'est tout simplement une erreur».

Quoi qu'il en soit, dans quelques jours le pape François sera à l'Université d'Al-Azhar du Caire, où il rencontrera le recteur, l'imam Ahmed al Tayyeb. Nul doute que ce sera une rencontre cordiale, mais sur les développenents, l'avertissement de Benoît XVI demeure: le pas à faire, c'est de relier la foi à la raison, sinon le choc entre les radicalismes opposés (laïciste et islamiste) sera une tragédie.

NDT