Le Patriarche de Moscou en France

Les faits

Le patriarche de Moscou Alexis II séjourne en France de mardi à jeudi, effectuant le premier voyage d'un patriarche orthodoxe russe dans un pays de tradition catholique depuis que Rome a rompu avec les Chrétiens d'Orient en 1054.

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Contrairement à la presse transalpine (qui n'était il est vrai pas directement concernée par l'évènement), la presse française n'a pas été avare de compte-rendus et de commentaires sur la visite du patriarche russe Alexis II en France.
Si le Figaro publie une interview correctement menée (voir le blog de Patrice de Plunkett, ici, ici et ici), d'autres journaux, parmi lesquels, bien sûr, Le Monde et Libération, ont une approche moins objective.
Le Monde met l'accent sur les "divisions" entre les Eglises orthodoxes et catholiques, qui rendraient impossible tout rapprochement, tandis que le quotidien des bobos d'extrême-gauche titre carrément son article:
« Alexis II, un patriarche compromis
Le chef de l’Eglise orthodoxe de Russie, en visite en France, est accusé d’avoir servi le KGB
».
A part son titre, il ne vaut pas la peine d'être cité, et, en jetant un coup d'oeil sur le forum des lecteurs du journal, j'ai d'ailleurs trouvé non sans surprise certaines réactions extrêmement réticentes devant tant de malveillance.

Désinformation, pourquoi?

Il est assez facile de comprendre les motivations de ces support de désinformation.
Ce sont les mêmes que celles de la presse italienne dans son travail de boycott de l'évènement. Dans son blog, Rafaella en parle de façon qui me paraît très juste, je la cite donc:
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« Peut-être les "gros" journaux (giornaloni) pensent-ils que l'oecuménisme n'est possible qu'avec les protestants? Pourquoi ne pas parler (ndt: ici, il s'agit de critiquer, ou de prétendre impossible) des pas en avant faits avec les orthodoxes? Peut-être ont-ils trop de points en commun avec les catholiques, et peuvent-ils ainsi donner beaucoup de fil à retordre à l'Europe laïciste? »
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Effectivement, un front commun des religions (surtout ces deux-là, que si peu de choses séparent, finalement) a de quoi donner des angoisses aux zélateurs de la laïcité, et de la société sans Dieu. Sans parler de l'aspect géopolitique, déjà évoqué après le discours de Ratisbonne.
J'ajoute que c'est la Tradition (opposée à la Réforme, cf Henri Tincq) qui fait la spécificité commune de ces deux religions chrétiennes: tout ce que cette presse déteste.
Pour finir, il me revient une fois de plus en mémoire la promesse solennelle faite par le pape Benoît XVI nouvellement élu devant ses confrères cardinaux , le 20 Avril 2005:
C'est donc pleinement conscient, au début de son ministère dans l'Eglise de Rome que Pierre a baigné de son sang, que son Successeur actuel prend comme premier engagement de travailler sans épargner ses forces à la reconstruction de l'unité pleine et visible de tous les fidèles du Christ. Telle est son ambition, tel son devoir pressant. Il est conscient que dans ce but, les manifestations de bons sentiments ne suffisent pas. Des gestes concrets sont nécessaires, qui pénètrent les âmes et remuent les consciences...

Si l'on en juge par ces articles, même lus en négatif, il tient parole, et on peut supposer que le processus est en bonne voie.


Une interviewe au Figaro

Dans cet entretien accordé au Figaro, les propos d'Alexis II sont très en phase avec ceux de Benoît XVI. Qu'on en juge:



Extraits
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[Benoît XVI et nous] avons la même approche. Il faut défendre les valeurs chrétiennes face à une liberté qui est comprise comme la possibilité de tout faire. Nous devons coopérer pour empêcher la redéfinition des valeurs morales européennes, la légalisation des unions homosexuelles, la propagande en faveur de l'euthanasie ou de l'avortement. Je suis persuadé que l'Église catholique et l'Église orthodoxe doivent agir ensemble pour défendre les valeurs chrétiennes contre un matérialisme agressif. La vision personnelle du Pape contribue à ce rapprochement. Concernant la possibilité d'une rencontre avec Benoît XVI, je ne l'exclus pas du tout. Peut-être pas dans un mois, mais dans un an ou deux. Cependant, il faut se préparer soigneusement, lever toutes les difficultés.
Je suis catégoriquement opposé à ce que ma rencontre avec le Pape, qui aura un caractère historique, ne soit qu'un événement médiatique.
Elle doit permettre de surmonter véritablement les désaccords.

Mon adresse [au Conseil de l'Europe, à Strasbourg] visera à rappeler la nécessité de remettre la morale au coeur des droits de l'homme que défend le Conseil de l'Europe. La société, qui est éduquée hors de l'espace religieux, perd de plus en plus de vue cette exigence.

[Les mosquées construites ici] ne sont pas seulement des édifices religieux mais des enclaves qui ne s'assimileront pas si elles ne sont pas en phase avec les communautés locales. Il faut mener un dialogue des civilisations, pour que ces apports culturels deviennent une richesse pour la culture nationale. Sinon, les conflits viendront.

Je serai heureux de féliciter [Nicolas Sarkozy] pour son élection et de lui dire notre souci de préserver les valeurs chrétiennes de l'Europe. Il en a parlé pendant sa campagne, j'en suis heureux.

Une interviewe au Monde

Le titre de l'article, signé Henri Tincq, donne le ton: "Trop d'obstacles pour une rencontre avec Benoît XVI".

Patrice de Plunkett a déjà souligné que ce titre ne correspondait pas vraiment au contenu. Mais le titre est ce qui accroche. Et une toute petite modification du texte, par rapport à celui publié dans le Figaro, introduit une nuance subtile de refus. Les points de friction semblent avoir fait l'objet de questions très pointues. Ce sont les seules qui intéressent leur auteur. Et bien sûr, le patriarche est interrogé avec insolence sur ses relations avec le régime (honni) de Poutine, et la prétendue caution à ses "exactions" en Tchètchénie.
Il répond crânement, y compris par sa conclusion: tradition, et non réforme.
Une fois de plus, notre "spécialiste national des religions" prend ses désirs pour des réalités.
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HT: Votre visite à l'Eglise catholique de France est-elle un premier pas avant une rencontre avec Benoît XVI ? Ou restez-vous dans une attitude de refus ? L'oecuménisme semble réduit à un "front moral" contre la permissivité de l'Europe...

Alexis II: Je n'ai jamais exclu la possibilité d'une telle rencontre. Mais ce contre quoi je m'élève, c'est qu'elle n'ait lieu que pour les caméras ! Elle devra être précédée par des changements profonds dans nos relations et, pour le moment, il y a encore trop d'obstacles.
Dans les années 1990, des responsables catholiques ont affirmé que la Russie post-marxiste était un désert spirituel et, pour eux, une terre de mission. Nous ne pouvons pas l'accepter. ... des dizaines de milliers de religieux catholiques font du travail missionnaire au sein de notre peuple, qui considère cela comme du prosélytisme.
....
En résumé, avec l'Eglise de Rome, nous sommes séparés depuis presque mille ans, et il faudra encore beaucoup d'efforts pour pouvoir surmonter notre division.

HT: Dans les milieux opposants, des critiques se font entendre sur la place trop grande que prend l'Eglise dans la vie publique russe. Votre proximité avec le président Poutine ne vous oblige-t-elle pas à cautionner sa politique, jusqu'à ses exactions en Tchétchénie ?
Alexis: "Cautionner" la politique du président Poutine ? En toute responsabilité, je vous réponds que l'Etat ne se mêle pas de la vie intérieure de l'Eglise. Et que l'Eglise ne se mêle pas de la vie politique de l'Etat. Le principe de la séparation est respecté, mais il y a des domaines où nous devons collaborer, comme l'éducation, le social, la préservation de la paix entre les religions et entre les peuples. Nous savons ce que l'Etat fait pour le bien de notre peuple, mais quand des décisions sont prises qui affaiblissent, par exemple, les populations les plus démunies, nous le faisons aussi savoir.

En ce qui concerne la Tchétchénie, je rappelle que des dizaines de prêtres ont été tués par les nationalistes et que, soixante ans après la guerre mondiale, le terrorisme montre à nouveau, hélas, son visage le plus cruel.

HT: [..] le conservatisme semble aujourd'hui l'avoir emporté sur l'esprit de réforme...
Alexis: L'Eglise orthodoxe n'est pas une Eglise de réforme, mais une Eglise de tradition. Mais la tradition n'est pas pour nous un legs mort des siècles passés, mais un héritage vivant, grâce à la richesse héritée de nos pères.
...


Le site Orthodoxie.com

Ce site en français, que son nom définit assez bien, donne une couverture complète de la visite d'Alexix II en France, et cite en entier le discours qu'il a prononcé devant le Parlement Européen de Strasbourg:
On y trouve également le compte-rendu de la rencontre avec le Président Sarkozy.
Voici une partie du texte du communiqué final publié conjointement à l'issue de la rencontre, il serait bon de l'archiver pour le ressortir en temps utile:

«Le Président de la République a salué l'importance de cette visite du Patriarche en France, à l'invitation de la conférence des évêques de France. Cette démarche inédite et exceptionnelle est un signe majeur et tangible de la volonté des chrétiens d'Europe de se rapprocher et d'unir leurs efforts, autour des racines chrétiennes de l'Europe, pour construire une société plus humaine dans un monde où les repères s'effacent, les tensions s'accumulent et le sentiment religieux est trop souvent dévoyé pour nourrir la violence.»
(photo sur le site de la présidence de la république)