Réponse aux musulmans: ce que veut Benoīt XVI

« Pourquoi Benoît XVI est si prudent au sujet de la lettre des 138 musulmans.
Parce que le dialogue qu'il souhaite est tout autre. Le pape demande à l'islam de suivre le même cheminement qu'avait accompli l'Eglise catholique sous la pression des Lumières. L'amour de Dieu et du prochain doit se réaliser dans l'acceptation totale de la liberté religieuse....»
(Sandro Magister)


En évoquant la fameuse "lettre des 138 musulmans", j'avais écrit: "les musulmans sont-ils sincères?" (Le gambit du Saint-Père )
Sandro Magister reste prudent (auto-censure?), car il ne met pas directement en doute leur bonne foi, mais il constate qu'ils cherchent à déplacer le débat sur un terrain où le Pape ne peut pas (et ne veut pas) les suivre.

Selon un des signataires de la lettre, ils prétendent en effet que "[le] dialogue [religieux] doit être fondé théologiquement et spirituellement".
C'est peut-être ce qu'un certain mondialisme appelle de ses voeux, une religion syncrétique et universelle, mais pour le Pape, c'est évidemment inacceptable (et tout autant pour les musulmans). Car si l'on en juge par l'analyse d'un jésuite islamologue cité par Sandro Magister "il y a une différence abyssale entre le Dieu unique des musulmans et le Dieu trinitaire des chrétiens, avec le Fils qui s’est fait homme. "

Pour le Saint-Père, au contraire, chrétiens et musulmans peuvent se rencontrer sur le terrain de l'opposition "à la dictature de la raison positiviste, qui exclut Dieu de la vie de la communauté et de l'organisation publique". Mais surtout, il les appelle à se remettre en cause pour accepter le meilleur des "Lumières", "les droits de l'homme et en particulier la liberté de la foi et de son exercice".
Orienter le débat vers un champ où il ne peut avoir aucune issue, ne serait-ce pas un moyen de l'étouffer, en piégeant l'interlocuteur? Sandro Magister le dit, d'ailleurs: "[de la part des musulmans] c’est un choix délibéré"

Nous apprenons au passage que le 'New York' Times a publié la semaine dernière "une spectaculaire réponse collective dans un message signé par 300 chercheurs", essentiellemnt protestants, les rares catholiques étant "à la lisière de l’orthodoxie"... (autrement dit, en désaccord avec le magistère).
Et nous retrouvons une vieille connaissance... la REPENTANCE!!!
Décidément! (l'allusion à "la paille et la poutre" relève d'une répartition incongrue des proportions, surtout dans le contexte actuel)

Repentance

« Le message fait l’éloge de la lettre des 138.... Et il commence par une demande de pardon "au Dieu unique de toutes les miséricordes et à la communauté musulmane du monde entier".
Une demande de pardon expliquée de la manière suivante:
"Puisque Jésus dit: ‘Enlève d’abord la poutre de ton œil, et alors tu verras clair pour enlever la paille de l'œil de ton frère’ (Matthieu 7,5), nous voulons commencer en reconnaissant que dans le passé (les Croisades) comme dans le présent (les excès de la ‘guerre contre la terreur’), de nombreux chrétiens ont été coupables de péchés à l’encontre notre prochain musulman". »

L'article de Sandro Magister se conclut par une mise en garde dramatique, sous la plume d'un juriste allemand, auteur d'un essai sur la pensée de Benoît XVI relative aux relations avec l'islam, après Ratisbonne.
Mettant en doute la capacité -ou la volonté- des musulmans de séparer les pouvoirs spirituels et temporels en reconnaissant la neutralité religieuse, "il imagine un pays européen dans lequel les immigrés musulmans seraient sur le point de constituer la majorité de la population... dans ce cas ce pays a le devoir de fermer ses frontières. Pour des raisons d’autodéfense".
Prudemment, Sandro Magister présente cette projection comme une hypothèse d'école???

Evidemment, on n'est pas certains que cela reflète la position du Saint-Père (on a vu au moment de l'affaire de Ratisbonne qu'il n'est d'ailleurs pas libre de s'exprimer sur ce sujet).
Mais on ne peut qu'espérer que ce n'est pas prophétique...

On lira l'intégralité de l'analyse de Sandro Magister dans son billet hebdomadaire traduit en français:

Extraits
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Ambiguļté du message des 138

Christian W.Troll, [un jésuite allemand islamologue] relève que la lettre des 138 musulmans, en insistant sur les commandements de l’amour de Dieu et de son prochain comme "parole commune" au Coran et à la Bible, semble vouloir porter le dialogue uniquement sur le terrain doctrinal et théologique.

Cependant – remarque Troll – il y a une différence abyssale entre le Dieu unique des musulmans et le Dieu trinitaire des chrétiens, avec le Fils qui s’est fait homme.

La vraie "parole commune" doit être cherchée ailleurs: "en appliquant ces commandements à la réalité concrète des sociétés pluralistes, ici et maintenant". Elle doit être cherchée dans la protection des droits de l’homme, de la liberté religieuse, de la parité entre l’homme et la femme, de la distinction entre le pouvoir religieux et le pouvoir politique. La lettre des 138 est évasive ou muette sur tous ces sujets.

Et c’est un choix délibéré. L’un des principaux auteurs de la lettre, le théologien libyen Aref Ali Nayed, professeur à l’université de Cambridge, s’explique ainsi dans une interview accordée à "Catholic News Service", l’agence de la conférence des évêques des Etats-Unis:

"Le dialogue éthico-social est utile et l’on en a grand besoin. Mais ce type de dialogue se produit déjà chaque jour, par le biais d’institutions tout à fait séculières comme les Nations Unies et ses organismes. Si des communautés fondées sur la révélation religieuse veulent vraiment apporter leur contribution à l’humanité, leur dialogue doit être fondé théologiquement et spirituellement. De nombreux théologiens musulmans ne sont pas du tout intéressés par un dialogue purement éthique entre culture et civilisation".

La position de Benoīt:

Quel est en revanche le dialogue avec l’islam voulu par Benoît XVI ?

Le pape l’a expliqué de la manière la plus limpide dans un passage du discours qu’il a adressé à la curie le 22 décembre 2006 à l’occasion de la présentation des vœux de Noël:

"Dans un dialogue à intensifier avec l'Islam, nous devrons garder à l'esprit le fait que le monde musulman se trouve aujourd'hui avec une grande urgence face à une tâche très semblable à celle qui fut imposée aux chrétiens à partir du siècle des Lumières et à laquelle le Concile Vatican II a apporté des solutions concrètes pour l'Eglise catholique au terme d'une longue et difficile recherche.
"Il s'agit de l'attitude que la communauté des fidèles doit adopter face aux convictions et aux exigences qui s'affirment dans la philosophie des Lumières.

"D'une part, nous devons nous opposer à la dictature de la raison positiviste, qui exclut Dieu de la vie de la communauté et de l'organisation publique, privant ainsi l'homme de ses critères spécifiques de mesure.

"D'autre part, il est nécessaire d'accueillir les véritables conquêtes de la philosophie des Lumières, les droits de l'homme et en particulier la liberté de la foi et de son exercice, en y reconnaissant les éléments essentiels également pour l'authenticité de la religion.

"De même que dans la communauté chrétienne, il y a eu une longue recherche sur la juste place de la foi face à ces convictions - une recherche qui ne sera certainement jamais conclue de façon définitive - ainsi, le monde musulman également, avec sa tradition propre, se trouve face au grand devoir de trouver les solutions adaptées à cet égard.

"Le contenu du dialogue entre chrétiens et musulmans consistera en ce moment en particulier à se rencontrer dans cet engagement en vue de trouver les solutions appropriées. Nous chrétiens, nous sentons solidaires de tous ceux qui, précisément sur la base de leur conviction religieuse de musulmans, s'engagent contre la violence et pour l'harmonie entre foi et religion, entre religion et liberté".

Il n’y a pas de trace dans la lettre des 138 de cette proposition adressée par Benoît XVI au monde musulman en décembre 2006. Signe que la distance entre les visions de l’un et des autres est réellement grande.

Un avertissement dramatique

Un grand chercheur a analysé avec beaucoup de lucidité la vision qu’a Benoît XVI de l’islam: c’est le juriste allemand Ernst-Wolfgang Böckenförde. Il a exposé son point de vue dans un essai paru cette année en Allemagne et traduit en italien par la revue "Il Regno".
Böckenförde est en plein accord avec le pape quand il dit qu’en ce qui concerne la liberté de religion, l’islam est confronté au même défi que les chrétiens du temps des Lumières.

L’Eglise catholique a répondu à ce défi, lors du Concile Vatican II, par la déclaration "Dignitatis Humanae" sur la liberté religieuse fondée sur les droits de la personne.

Mais le monde musulman – s’interroge Böckenförde – est-il prêt à emprunter un chemin similaire? Est-il prêt à reconnaître la neutralité religieuse de l’état et donc la même liberté pour toutes les religions au sein de l’état?

Les musulmans "de la diaspora", c’est-à-dire ceux qui vivent dans des pays européens et occidentaux où ils sont minoritaires, semblent disposés à cette reconnaissance. Preuve en est la déclaration adoptée en 2001 par le comité des musulmans d’Allemagne, qui affirme: "Le droit islamique oblige les musulmans qui vivent en diaspora à se conformer à l’ordre juridique local".

Qu’en est-il là où les musulmans sont majoritaires et contrôlent l’état? Böckenförde est sceptique. Il considère que, quand l’islam est en position de force, il est très loin d’accepter la neutralité de l’état et donc la liberté totale de toutes les religions.

Böckenförde en est tellement convaincu qu’il conclut son essai par une hypothèse d’école: il imagine un pays européen dans lequel les immigrés musulmans seraient sur le point de constituer la majorité de la population.

Dans ce cas – affirme le juriste allemand – ce pays a le devoir de fermer ses frontières. Pour des raisons d’autodéfense. Parce qu’un état séculier ne peut renoncer à ce "droit naturel" qui est son fondement: "un droit qui résulte de l’appartenance à un monde culturel fondé sur des éléments du monde classique, du judaïsme et du christianisme, mais revus dans l’optique des Lumières".