Et avec Dieu, c'est sérieux?

« La République [...] n'est pas la finalité de l'homme »
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L'intérêt affiché par Nicolas Sarkozy pour les religions ne date pourtant pas du mois dernier, étant entendu qu'afficher un intérêt n'implique pas d'être sincère dans la démarche. Nicolas Sarkozy est un animal politique doté d'un rare flair. Il sent, il hume - il lit aussi et surtout avec attention les études d'opinion qu'on lui livre (et que nous lui payons). C'était le cas lorsqu'il était ministre de l'Intérieur, ça l'est tout autant depuis qu'il a été élu. Or que disent celles-ci ? Que les Français aspirent à « autre chose ».
Que quand bien même ils réclament plus de « pouvoir d'achat » [..] la frénésie consommatrice est bien souvent un substitut, un moyen de combler un manque d'une tout autre nature, quête qu'ils ne formulent pas forcément mais qui est bien réelle. Les sociologues le confirment, les « psys », confesseurs de notre époque désacralisée et dont la mode n'est pas passée, de plus en plus sollicités pour soigner des bobos de l'âme qui échappent de plus en plus à leurs compétences, également.
Quel est ce nouveau mal français ? Un besoin inassouvi de transcendance ? Quelque chose de non conceptualisé mais qui pourrait se définir ainsi.
Cela, Nicolas Sarkozy le sait depuis fort longtemps. Dans "La République, les religions, l'espérance", paru au Cerf en 2004, dialogue entre un homme qui se préparait à se lancer pour de vrai à la conquête de l'Elysée et deux interlocuteurs, un agrégé de philosophie, Thibaud Collin, et un jeune religieux dominicain, Philippe Verdin, il l'avait déjà exprimé clairement : « Les religions constituent un enjeu majeur pour notre société car elles sont le support d'une espérance [...] Je crois au besoin de religieux pour la majorité des femmes et des hommes de notre siècle. La place de la religion dans la France de ce début de troisième millénaire est centrale. » II ajoutait : « Le besoin spirituel, l'espérance ne sont pas satisfaits par l'idéal républicain. La République est une façon d'organiser l'univers temporel, la meilleure façon de vivre ensemble. Elle n'est pas la finalité de l'homme. »
Un constat, somme toute, mais qui, dans le débat sur la nécessité de réformer ou non la loi de 1905, était passé assez inaperçu. Un constat ? Evidemment. Mais un constat iconoclaste et, pour le coup, « en rupture » avec ce qu'il professe par ailleurs, par exemple sur l'identité nationale, dont la défense est réduite, depuis qu'il est au pouvoir, à l'acceptation des « valeurs républicaines », contradiction dont il cherche à se défaire au prix de contorsions dialectiques dans lesquelles Dieu reconnaîtra certainement les siens mais pas la France. Dans le non-dit, il y a un fait évident, qui est qu'il ne se trouverait pas grand monde pour donner sa vie pour une simple « façon de vivre ensemble », prudence qui vaut défiance, ou du moins désintérêt. Cela relève de l'accessoire. L'essentiel, lui, est ailleurs. Là-haut ? Peut-être.

« Il cherche moins à convaincre qu'à se faire l'écho »
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Le problème, avec Nicolas Sarkozy, c'est que sous couvert d'essentiel se cache bien souvent l'opportunité. Il n'est jamais dans l'intangible. Pas même dans la nécessité pure. Il est dans le calcul et la contingence. Dans la position [..] du commercial à la recherche de l'adéquation avec la demande. Le peuple demande du spirituel ? Qu'on lui en donne ! Surtout s'il ne le sait pas, car plus efficace sera le discours s'il parle à la part inconsciente de l'électeur.
Joseph Macé-Scaron se trompe, dans « Marianne », en établissant un parallèle entre Nicolas Sarkozy et, excusez du peu, Charles Maurras, le théoricien contre-révolutionnaire, le « maître » de l'Action française royaliste, voyant chez l'un comme chez l'autre une attirance pour l'Eglise catholique qui ne s'expliquerait que par leur désir de renforcer une structure d'ordre. D'abord parce que cela fait fi de la quête spirituelle de Maurras ; ensuite parce que Nicolas Sarkozy ne cherche pas à retrouver l'ordre qui sied à la société, mais à instaurer son ordre, fût-il un désordre, dès lors qu'il peut donner l'illusion qu'il le contrôle. « Quand les événements vous dépassent »... Tout juste peut-on imaginer que le pouvoir qu'exerce le pape le fascine.
Péché... d'envie, un des sept péchés capitaux avec la paresse, l'orgueil, la gourmandise, la luxure, l'avarice, la colère. Reconnaissonslui qu'il n'est pas paresseux...
C'est Chantal Delsol qui, tout en saluant le discours qu'il a prononcé à Saint Jean-de-Latran, donne les clefs du comportement sarkozien. Chantal Delsol est philosophe et écrivain. Conservatrice et catholique, elle collabore très régulièrement à « Valeurs actuelles ». Sur le personnage Sarkozy, elle voit juste : « Sarkozy croit-il en ce qu'il dit ? Pas sûr. Comme c'est un président doué pour la communication, ce discours signifie plutôt que les Français sont plus conservateurs qu'on ne le croit, et que le président sert à son électorat ce qu'il veut entendre. Il cherche moins à convaincre qu'à se faire l'écho. » II en dirait donc moins sur lui... que sur les Français. La preuve par nos analyses sociologiques évoquées plus haut. Parfait exemple de symbiose entre le non-dit populaire et le dit présidentiel. Ton portefeuille est malade, je parle à ton âme... Et ça marche ? On verra...
Pour l'heure, ça fait des vagues dans le bénitier. Légères. Les laïcards ne sont plus ce qu'ils furent. Ça s'indigne dans les gazettes mais peu dans les bistrots ni devant les récepteurs de télévision. Pour information, l'un, un « historien de la laïcité », dénonce une « tentative néocléricale [...] d'instrumentalisation du religieux par le politique », instrumentalisation réelle mais justement à ce titre nullement cléricale ; un autre, philosophe (de la laïcité), se dit blessé (si, si) par la « profession de foi spirituelle » du chef de l'Etat - mais n'a jamais livré d'écrits sur les blessures, plus certaines, provoquées par les militants de la laïcité depuis plus de deux siècles, terme d'ailleurs fort mal approprié puisqu'à en croire le linguiste Alain Rey, lui-même assez anti-calotin, le terme n'est apparu qu'à la fin du XIXe siècle, tout au début de la IIIe République. Comme quoi, parfois, la pratique crée le mot pour la définir.



La laïcité sur le même plan que le baptême de Clovis
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Au demeurant, ce qui a ému dans les rangs des défenseurs d'une laïcité offensive, anti-catholique, est bien peu de choses par rapport à ce qui est de nature, dans les propos tenus par le chef de l'Etat, à faire bondir les catholiques. Certes, Nicolas Sarkozy, à Rome, a affirmé solennellement que « les racines de la France sont essentiellement chrétiennes », regretté que la laïcité ait eu la tentation de couper la France desdites racines, noté que « la désaffection progressive des paroisses rurales [...], la disparition des patronages, la pénurie de prêtres n'ont pas rendu les Français plus heureux ».
Il est allé plus loin encore en affirmant : « Dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s'il est important qu'il s'en approche, parce qu'il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d'un engagement porté par l'espérance. » Une phrase qui a provoqué un début d'ulcère dans les syndicats d'enseignants, et un sacré changement, si l'on ose l'expression, avec le discours de son prédécesseur [..] quand il prétendait que « les racines de l'Europe sont tout autant musulmanes que chrétiennes ».
Mais après ? Après, la confusion et le relativisme. La laïcité mise sur le même plan que le baptême de Clovis. Les droits de l'homme présentés, en une filiation hâtive avec Jean Paul II, comme la perpétuation de l'enseignement de l'Eglise. Une aspiration à la spiritualité qui s'arrête aux portes de l'avion qui le ramène à Paris, où l'attend le rapport Attali, le slogan inépuisable du « travailler plus pour gagner plus », un matérialisme personnel ostentatoire.
Et puis l'Arabie saoudite. A Rome, devant un parterre d'éminences catholiques, il a pleuré « le désert spirituel des banlieues ». Chacun a pensé à la disparition des prêtres, aux églises qui se sont vidées. A Riyad, il pense aussi aux banlieues. Mais pour vanter, cette fois, l'islam de France, opposé à l'islam en France, qu'il se flatte d'avoir instauré. La « diversité », explique-t-il, est « la valeur qui m'inspire quand je veux faciliter la construction de mosquées en France pour que les musulmans français puissent prier dans des lieux de culte décents ».
A Rome, il a loué le travail des congrégations, « les Pères du. Saint-Esprit, les Pères Blancs et les Soeurs Blanches, les fils et filles de la charité, les franciscains missionnaires [...] toutes ces communautés qui, dans le monde entier, soutiennent, soignent, forment, accompagnent, consolent leur prochain dans la détresse morale et matérielle ». Et convertissent ? Ce n'était pas dans le discours. C'eût été mal vu ? Aussi. Mais ce n'est pas sa préoccupation.

La France a peut-être des « racines chrétiennes », mais elle a des surgeons musulmans. Les congrégations missionnaires ? Des associations humanitaires. On n'a pas su si le discours du Latran avait été écrit par Philippe Verdin, Henri Guaino ou Max Gallo, qui étaient tous trois du voyage. L'hypothèse Kouchner aurait mérité d'être étudiée. La « laïcité positive » - expression qui figurait aussi il y a quatre ans dans "La République, les religions, l'espérance", définie déjà comme « une laïcité qui garantit le droit de vivre sa religion comme un droit fondamental de la personne » -, c'est peut-être aussi cela : la laïcisation d'une part de l'action de l'Eglise.

« L'islam comme composante intime de notre pays »
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A vrai dire, on ne sait plus très bien. « Partout où vous agirez, dans les banlieues, dans les institutions, auprès des jeunes [... ], promet-il au Latran, je vous soutiendrai. » Il y a aussi, dans l'énumération, « dans le dialogue interreligieux ». Ce n'est pas le moins important. Car la France a changé. Elle est devenue terre de mission pour les catholiques ? Certes. Mais où a-t-il dit que les catholiques devaient la reconquérir ? Nulle part. Et pour quoi faire ? Les trois grandes religions monothéistes se valent. Il n'est qu'un seul Dieu et c'est le même, quel que soit le nom qu'on lui donne, Dieu, Allah ou Yahvé. Y croit-il ? Sérieusement ? Là n'est pas la question. La question, c'est de préserver la paix civile. De ne pas offenser les susceptibilités.
Le 1er octobre 2007, Nicolas Sarkozy est à la Grande Mosquée de Paris à l'occasion de la rupture du jeûne, l'iftar. Jamais chef de l'Etat français ne l'a fait mais cette fois, les apôtres de la laïcité ne s'émeuvent pas. Il y aurait pourtant de quoi. « J'ai souvent
eu l'occasion de le dire, l'islam est, par le nombre de pratiquants, la deuxième religion de notre pays. Nous sommes en période de ramadan, et chacun de nos concitoyens peut constater cette réalité s'il est attentif au monde qui l'entoure, à son voisin, son collègue de travail, son camarade de classe qui pratique ce pilier de l'islam, du lever au coucher du soleil. » Il ajoute : « Même au gouvernement, certains s'obligent à ce jeûne. Cette proximité illustre, du sommet à la base de notre société, la place de l'islam comme composante intime de notre pays. N'en déplaise à quelques-uns que je combats, l'islam, c'est aussi une partie de la France. »
Une « composante intime »... Qui a osé lui écrire cela ? Intime ? « Qui constitue l'essence d'un être, d'une chose », dit Le Petit Larousse. Ou « qui existe au plus profond de nous. »

Racines chrétiennes, branches musulmanes. comme la sève désormais ? Pourquoi pas, puisque Allah égale Dieu qui égale Yahvé (ce dont on doute qu'il ose aller l'expliquer au prochain dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France, que, fait unique dans les annales de la République, il a accepté d'honorer de sa présence alors qu'un juste partage des corvées voulait jusque-là que ce fût le premier ministre qui s'y rendît).
Nicolas Sarkozy l'a dit lors de ses voeux au corps diplomatique : le retour du religieux dans la plupart de nos sociétés sera l'un des défis majeurs qui « contribueront à structurer la société internationale du XXIe siècle ». Peut-être « plus profondément », pense-t-il, que ne l'ont fait les idéologies au XXe siècle. Alors autant occuper le créneau, tous azimuts. Jusqu'à l'absurde, jusqu'à l'odieux, en flattant mielleusement son auditoire à Riyad en ces termes : « Sur la condition des femmes, sur la liberté d'expression, l'Arabie saoudite elle aussi s'est mise en mouvement. » Non ! Si... « Lentement, certes, mais qui ne serait pas impressionné par les changements qui se sont produits en quelques années, dans le respect de l'intégrité des lieux saints de l'Islam, qui est une exigence avec laquelle le Royaume ne peut pas transiger et qui l'oblige à être pour les croyants du monde entier un modèle de piété et de fidélité à la tradition ? »
Parvenus à ce point-là, on se sent comme obligé de prendre quelques libertés avec les Evangiles : que celui qui n'a jamais péché, et même tous ceux qui ont déjà péché, lui balancent la première pierre qui leur tombera sous la main.
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Lionnel Imbert, Minute du 23/1/2008



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