Sécularisme sournois

Lors d’une audience accordée jeudi dernier aux évêques de Slovénie, Benoît XVI a sévèrement condamné la laïcisation ou la sécularisation occidentale : « Le sécularisme qui porte le sceau de l’Occident, différent et sans doute plus sournois que celui du marxisme, présente des signes qui ne peuvent que nous préoccuper. »

Le Pape a réaffirmé que « tous les humanismes ne sont pas égaux et ne sont pas équivalents sur le plan moral » : « Selon la vision de l’homme que l’on adopte, les conséquences sont différentes pour la société. » Et il a déploré qu’en Europe « de nombreux intellectuels ont encore du mal à accepter le fait que raison et foi ont besoin l’une de l’autre pour réaliser leur vraie nature et leur mission ».

Le jour même, dans une tribune du Monde, un intellectuel de gauche précisément, Régis Debray ..., se faisait l’avocat subtil de ce sécularisme sournois contre le néocléricalisme présumé de Sarkozy et plus subrepticement contre le discours récurrent du souverain pontife : « Une République laïque n’a pas à promouvoir une quelconque Vérité, révélée ou “scientifique”. »

Comprenez : par religion démocratique, la République laïque n’a pas à promouvoir la vérité – même « scientifique » ! – notamment dans les domaines éthiques et sociaux. Elle n’a pas à choisir entre les religions et les humanismes, puisqu’elle fait primer religieusement la liberté sur la vérité, renversant en somme le principe évangélique : ce n’est pas la vérité qui rend libre, c’est la liberté qui donne la vérité ! On reconnaît dans cette inversion la marque du père du mensonge (Jn 8, 44). C’est le propre du culte de l’homme, qui construit ainsi sa vérité libérale selon un arbitraire collectif, quitte à y assumer une certaine « transcendance » (comme chez Régis Debray ou Luc Ferry) et même un certain culte de Dieu, selon certaines règles relatives à ce primat de l’autonomie humaine. En l’occurrence celles de la laïcité positive où raison et foi sont dévoyées de leur vraie nature et de leur mission sous l’apparence d’une fausse coopération (mise ostensiblement en avant par Sarkozy) ! C’est aussi un aspect de ce que Jean-Paul II appelait le totalitarisme sournois de la démocratie moderne…

Samedi, dans le même quotidien du soir, Henri Tincq revenait à la charge contre la supposée maladresse du Président en matière de laïcité ouverte (visant davantage en fait le propos romain) : « L’erreur de M. Sarkozy est de confondre la laïcité et la sécularisation des mœurs, des comportements, des idées. C’est l’erreur que commettent aussi, à leur manière, les épiscopats espagnol et italien [sic : mais pas l‘épiscopat français !] inscrivant sur le compte d’offensives laïques l’affaiblissement de la mémoire chrétienne, le déclin des pratiques religieuses, l’enlisement de la foi dans les délices du matérialisme. La sécularisation triomphe en Europe, fruit d’histoires nationales complexes et d’un effritement de valeurs fondées sur le christianisme. Mais, au nom d’une “laïcité positive”, en fait néocléricale dans la bouche de M. Sarkozy, est-ce à l’Etat de suppléer ce que le discours religieux a perdu de pertinence et de capacité à convaincre ? »

Et cet autre avocat mondain du sournois sécularisme ajoute : « C’est parce qu’ont émergé des droits et des nations libérés de la puissance religieuse qu’ont pu se créer des Etats démocratiques, indépendants de factions confessionnelles rivales. (...) Cette victoire de la laïcité n’exclut pas la reconnaissance de l’utilité sociale et du rôle d’animation démocratique que joue la religion. » Voici la religion en quelque sorte sécularisée, devenue comme partie du TOUT démocratique lui-même déifié, la religion subordonnée au « bien commun » de la laïcité triomphante et assimilée au fameux « MASDU » de l’abbé de Nantes : Mouvement d’animation spirituelle de la démocratie universelle !

N’est-ce pas aussi, en dépit de ses contempteurs si proches, le vœu (pieux) de Sarkozy-imperator ? Ce « cynique équilibre entre indécence matérialiste au temporel et [relative] déférence cléricale au spirituel », comme dit si bien Debray dans sa chronique publiée le jour de la Saint-François de Sales. « Il faut éviter que les médias deviennent le mégaphone du matérialisme économique et du relativisme éthique, véritables plaies de notre temps », prévenait également le Saint-Père dans un message à l’occasion de cette fête des journalistes…

REMI FONTAINE
Article extrait du n° 6516



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