L'offensive politique du Vatican

En Italie

Depuis l'élection de Benoît XVI, le Saint-Siège n'hésite plus à s'ingérer dans la vie politique. Raison de plus pour Berlusconi - mais aussi pour la gauche ! - de venir rôder autour des bénitiers...
ARIEL F. DUMONT, dans Marianne

Qui donc veut attirer la papauté dans l'arène des législatives qui se tiendront à la mi-avril ? C'est le nouveau scandale à l'italienne. Tout a commencé lorsque le cardinal Camillo Ruini, ex-patron de la Conférence épiscopale italienne et vicaire de Rome, a décroché son téléphone pour discuter avec l'éminence grise de Silvio Berlusconi, Gianni Letta. « Il faut sauver l'Union des démocrates-chrétiens centristes (UDC), les catholiques ne peuvent pas être humiliés et réduits à l'impuissance », a lancé le bouillant cardinal. Un coup de fil suivi d'une intervention en direct, sur la première chaîne du service public, du directeur de l'Avvenire, le journal des évêques : « La survie et l'identité d'un parti qui s'inspire directement de la doctrine catholique ne peuvent pas être balayées et doivent au contraire servir de point de repère aux chrétiens qui veulent se reconnaître dans le centre droit», expliquait ce prélat-journaliste sur le plateau du JT.
L'Eglise passait donc à l'attaque. Objectif : éviter aux démocrates-chrétiens centristes d'être absorbés dans la liste unique que vient de constituer Silvio Berlusconi. Celle-ci englobe aussi les post fascistes de l'Alliance nationale et les xénophobes de la Ligue du Nord désormais regroupés sous l'étendard du Peuple de la liberté (PDL). Mais cette opération de sponsorisation un peu trop directe déplaît au Vatican qui veut conserver son influence en y mettant les formes. D'autant plus que les Italiens commencent à renâcler face à l'ingérence du Saint-Siège, de plus en plus interventionniste depuis l'élection de Benoît XVI.

Echec au Pacs
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En juin 2005, après la mort de Jean Paul II, les divisions vaticanes se mobilisent pour faire échec au référendum sur l'insémination artificielle. L'ex-ministre de la Culture de Berlusconi, Rocco Buttiglione, constate avec satisfaction que « les Italiens ont refusé ici la deuxième phase de la sécularisation avec les risques qu'elle comporte au niveau de la manipulation de la nature ».
Le Saint-Siège s'ingère à nouveau avec la charte de Rome signée par les chefs de service des quatre grands hôpitaux romains. « Le droit de vivre est primordial, un nouveau-né même extrêmement prématuré doit recevoir une assistance médicale adéquate», résume le préambule de la charte. Autrement dit, un nouveau-né de moins de 22 semaines qui survivrait à un avortement thérapeutique doit être réanimé, même sans le consentement de sa mère.
Mais c'est sur l'affaire des Dico, version italienne du Pacs promise par le gouvernement Prodi, que l'offensive concentre ses troupes. A droite comme à gauche. Chapeautée par les associations catholiques, la manifestation du Family Day réunit 1 million de personnes. A Saint-Jean de Latran, l'ambiance est à mi-chemin entre Woodstock et les Journées mondiales de la jeunesse.
A droite, il y a tout l'état-major : Silvio Berlusconi, Gianfranco Fini, le patron de l'Alliance nationale, et Pierferdinando Casini, l'enfant terrible de ces démocrates chrétiens centristes cajolés par les évêques pour les législatives du 13 avril. Mais le centre gauche est là aussi! Les dissidents du gouvernement Prodi : Clemente Mastella, le ministre de la Justice de Romano Prodi, accompagné de trois de ses députés. Cet homme qui vient de faire tomber le gouvernement de centre gauche fanfaronne avec les journalistes : « Je suis là pour défendre, la famille!» On reconnaît aussi Giuseppe Fioroni, ministre de l'Education nationale du même malheureux Prodi «J'écoute les suggestions du peuple sur le soutien que nous devons accorder aux familles traditionnelles italiennes... »

Défense du pape
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De quoi faire sortir de ses gonds Emma Bonino, la ministre des Affaires européennes : « En Italie, le poids des hiérarchies ecclésiastiques est disproportionné et inacceptable. Aucun autre pays européen ne subit une telle ingérence. »

L'opinion commence donc à gronder. Benoît XVI a préféré annuler sa visite à l'université La Sapienza après la pétition signée par 67 professeurs. Les étudiants manifestaient, les Italiens réfléchissaient... mais la quasi-totalité de la classe politique a choisi de défendre le pape!
Au risque de basculer dans le ridicule en affirmant que BenoîtXVl avait été injustement censuré. « Dire que le pape a été empêché de parler, c'est le monde à l'envers. C'est la personnalité qui s'exprime le plus à la télévision. Même le président de la République n'a pas autantd'espac edans les JT», lâche le philosophe Paolo Flores d'Arcais, l'un des inventeurs avec le réalisateur Nanni Moretti des rondes citoyennes de 2002 contre Silvio Berlusconi.

Depuis, 1 500 nouveaux universitaires ont mis leurs noms au bas du texte de soutien aux enseignants de La Sapienza. Et 2 000 manifestants ont défilé à Rome pour protester contre l'ingérence du Vatican dans la vie politique.
Cette contestation ne décourage pourtant pas l'activisme du Vatican. Puisque le Saint-Siège a les hommes politiques avec lui l'Eglise italienne cause donc, à tort et à travers, sur tout: l'emploi, la sécurité dans le monde du travail, la gestion de Rome dont le maire, Walter Veltroni, est le leader du centre gauche aux législatives, «La politique a, besoin des catholiques qui sont aujourd'hui présents dans toutes les formations politiques », soutient le cardinal Renato Martino, président du Conseil pontifical pour la justice et la paix. Et, tout en affirmant que l'Eglise est « au-dessus des coalitions», l'institution ecclésiastique manoeuvre en coulisses pour placer ses candidats au sein des différents partis. On attend donc, avec une pieuse déférence, son fameux texte sur les « valeurs fondamentales » à défendre durant la campagne électorale. Un document politique, bien sûr.



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