La revanche des soutanes

En Espagne

A la veille des élection législatives du 9 mars, la hiérarchie catholique, soutenue par la droite, pourfend le « radicalisme laïc ». Du coup, les socialistes, affolés, ont radié la réforme de l'IVG de leur programme!
DIANE CAMBON, Marianne

Sur l'écran d'onordinateur défilent en boucle des photos du rassemblement « pour la défense de la famille chrétienne », organisé le
30 décembre à Madrid par l'épiscopat espagnol.
Des bambins souriants, des évêques espagnols disant la messe sur une estrade et une marée de drapeaux nationaux sang et or. « C'était une magnifïque journée», lance, enthousiaste, Carlos Martinez-Cava, avocat madrilène et responsable du parti Alternativa espanola ( Alternative espagnole »), une modeste formation politique née il y a quelques mois pour « défendre les valeurs catholiques ».
Ce jour-là, ce quadragénaire aux cheveux gominés était accompagné de ses enfants pour assister à la dernière grande manifestation de l'Église espagnole avant les élections législatives du 9 mars.
Au cours de cette fastueuse cérémonie, la hiérarchie catholique s'en est donné à cœur joie contre le « radicalisme laïc,» dont le Premier ministre José Luis Rodriguez Zapatero serait le héraut.
«La culture de la laïcité radicale est une tromperie qui ne conduit qu'à l'avortement et au divorce express ! Elle mène à la dissolution de la démocratie », lance l'ultra-conservateur archevêque de Valence, Agustin Garcia Gasco. Pour l'archevêque de Tolède, Antonio Canizares, le gouvernement «fait trembler les bases de la famille avec des lois iniques et injustes ». Quant au cardinal de Madrid, Antonio Maria Rouco Varela, il fustige « un retour en arrière des droits de l'homme ».
Le porte-parole du Parti socialiste espagnol José Blanco a eu beau exiger une rectification des propos « mensongers » tenus par certains prélats, la Conférence épiscopale espagnole n'a rien rectifié du tout. Au contraire, elle est repartie à la charge. Le 31 janvier, les évêques espagnols publient une « note d'orientation morale » dans laquelle ils accusent les socialistes d'avoir négocié avec l'organisation terroriste basque ETA. « Une société qui veut être libre et juste ne peut reconnaître explicitement ou implicitement une organisation terroriste comme représentant politique d'une quelconque couche de la population, et ne peut l'avoir comme interlocuteur politique», indique le document. Ses signataires ont la droite avec eux.
La hiérarchie catholique espagnole est entrée de plain-pied dans la campagne électorale aux côtés des conservateurs du Parti populaire (PP).
«Cette Église rappelle les pages les plus sombres du national-catholicisme », estimait récemment José Blanco pour qui tout cela sent bigrement les nostalgies franquistes.

« Ils ont cédé au goupillon ! »
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C'est effectivement la première fois que la hiérarchie catholique espagnole s'interroge ainsi sur la légitimité d'un dialogue avec i'ETA à la veille d'un scrutin. Elle ne l'avait fait ni en 2000, ni en 2004 sous le gouvernement de droite de José Maria Aznar. Cette ingérence de l'Eglise dans les affaires politiques a marqué toute la législature de Zapatero. Qui vient d'ailleurs d'adresser une protestation officielle au pape. Depuis le retour à la démocratie en 1978, jamais les prélats catholiques n'avaient été aussi présents dans la vie sociale. « La révolution des moeurs entreprise par Zapatero a déstabilisé la hiérarchie ecclésiastique de nature très conservatrice. Elle a perdu ses repères et constaté que son influence au sein de la société civile était menacée», explique l'historien Santos Julia.
Les soutanes ne digèrent pas les réformes menées par José Luis Zapatero : adoption du « divorce express », recherches scientifiques à partir de cellules souches, droit pour les transsexuels de modifier leur état civil, réhabilitation des victimes du franquisme.
Deux autres événements focalisent la fureur des prélats : le catéchisme facultatif à l'école publique et la légalisation du mariage homosexuel avec possibilité d'adoption. La mobilisation contre cette dernière loi a suscité une bonne dizaine de manifestations, toutes appuyées par le Parti populaire, où on dénonçait carrément « le plus grand attentat contre la foi en deux mille ans de christianisme »

Autre coup de massue : la réforme de l'enseignement. Sous le gouvernement du conservateur José Maria Aznar, l'Eglise avait non seulement obtenu que le catéchisme soit ohligatoire à l'école, mais aussi que cette matière soit décisive pour l'entrée à l'université. Avec Zapatero, la religion devient une discipline optionnelle. Elle est même désormais supplantée par l'instruction civique, maintenant matière obligatoire. « L'Église prétend posséder le monopole de la morale et de l'éducation. Elle enrage de ne pas pouvoir ren forcer son influence dans l'enseignement », assure le sociologue Rafael Diaz-Salazar, auteur de l'ouvrage l'Espagne laïque. L'animosité des prélats est d'autant plus forte que les préceptes catholiques sont en perte de vitesse. Si 80 % des Espagnols se disent croyants, seulement 24 % sont pratiquants contre 53 % en 1981. Les mariages civils ont doublé en dix ans et le pourcentage d'enfants baptisés est passé de 65 à 57% en quatre ans.
Si, idéologiquement, l'Eglise perd de son influence, elle conserve presque tous ses avantages sur le plan financier.
«L'Église jouira de tout son poids dans la société tant que l'Etat ne lui aura pas coupé les vivres. La rupture doit passer par la fin des concessions financières », résume l'analyste catalan Josep Ramoneda, qui milite pour un état laïc et non plus «aconfessionnel» selon les termes de la Constitution de 1978.
Aucun gouvernement, pas même celui de Zapatero, n'a osé toucher aux privilèges sonnants et trébuchants dont bénéficie l'épiscopat espagnol. Au grand dam de la gauche unie (verts-communistes), alliée parlementaire des socialistes, Zapatero s'est montré trop timide au moment de réformer le concordat signé avec le Vatican en 1979. Celui-ci prévoit à terme l'autofinancement de l'épiscopat. Or, si le nouveau système envisage la suppression d'une dotation annuelle gouvernementale d'environ 30 millions d'euros, il prévoit des compensations. La part de l'impôt sur le revenu que versent à l'Eglise les contribuables espagnols qui le souhaitent a été relevée de 0,52 à 0,70 %. Résultat: entre les exemptions fiscales, le paiement des salaires des 30 000 professeurs de religion et le reversement d'une généreuse obole, l'Eglise a reçu de l'Etat près de 175 millions d'euros en 2007, contre 144 millions en 2004.

Mais le poids de l'Eglise catholique au sein de la société espagnole n'est pas seulement économique. L'épiscopat dispose d'une multitude de relais: associations de défense de la famille et réseau de l'Opus dei. «Nous sommes la voix de l'Eglise dans la vie civile », claironne l'avocat Carlos Martinez-Cava. Soutenu par l'épiscopat, il se réjouit que son parti soit à l'origine de nombreuses plaintes contre des cliniques privées pratiquant l'avortement. Il se félicite aussi que la dépénalisation de l'avortement ne figure pas dans les programmes électoraux. Car, pour les laïcs, les socialistes ont fait preuve de lâcheté en repoussant aux calendes grecques la réforme sur l'lVG réclamée par la base. Josep Ramoneda, comme une grande partie de l'opinion, celle de la movida et de l'Espagne neuve, enrage : « ils ont cédé au goupillon ! » ?



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