Bilan du voyage aux Etats-Unis (V)

Benoît XVI a redonné courage à l'Eglise américaine. Interviewe de Mgr Pietro Sambi, nonce apostolique à Washington (11/6/2008)



Texte original en italien sur le blog de Raffaella (et sur l'Osservatore Romano du 11 juin).

Benoît XVI a redonné courage à l'Église catholique américaine
Gianluca Biccini

Ma traduction




 

« L'image que les américains avaient de Benoît XVI a changé, comme a changé aussi l'image de l'Église catholique, qui a repris courage ».
A la veille de la visite du président George W. Bush au Vatican, le nonce apostolique Pietro Sambi trace un bilan très positif du voyage du Pape aux Etats Unis d'Amérique (15-20 avril).
Dans cette interviewe à notre journal il rappelle le climat cordial, familial et l'enthousiasme avec lequel Benoît XVI a été accueilli en terre américaine, soulignant que le Pape a été "découvert" par les américains comme « apôtre de l'espérance »: un expert « de ce qui se passe dans le cœur de l'homme d’aujourd’hui » , un « porteur de réponses substantielles et vivifiantes, offertes avec clarté, avec humilité, presque avec timidité; comme un connaisseur passionné de Jésus-Christ et un serviteur de son Eglise ».




 

Ainsi, il s'est gagné « la sympathie, l' attention, le respect, l'amour d'un peuple entier».
Un succès qui trouve son explication dans la capacité du Pontife à pénétrer dans l'âme de la société américaine et d'y apporter, avec humilité, les réponses dont elle semble avoir besoin. Surtout pour ce qui concerne la dimension religieuse « qu'il ne faut pas reléguer dans la sphère du privé, mais valoriser comme garantie fondamentale des droits et des devoirs de l'homme».
Le représentant pontifical à Washington a aussi relevé le thème sous-jacent, au-delà du principal « Le Christ est notre espérance », il a pénétré toutes les interventions de Benoît XVI: « L'urgence de la formation comme base pour relancer la nouvelle évangélisation aux Etats-Unis ».




 

En parlant du voyage en Amérique, Benoît XVI a dit plusieurs fois que les catholiques du Pays l'ont "confirmé dans l'espérance". Ce feeling entre le Pape et les américains a-t'il été dicté par l'émotion de l'instant ou a-t'il des racines plus profondes? Et dans ce cas, quelles sont ces racines ?

A la radio catholique de l'archevêché de New York, le Pape a dit: "J'étais venu pour vous confirmer dans la foi, mais en réalité, c'est vous qui m'avez confirmé, avec votre réponse, avec votre enthousiasme, avec votre affection".
Ces paroles spontanées ont atteint le cœur des catholiques américains et ont été perçus comme une appréciation et un encouragement. Dimanche 27 avril, à l'instant du Regina Caeli, Benoît XVI a remercié Dieu qui lui a concédé de se faire moyen de l'espérance du Christ pour l'Église des Etats Unis et pour le Pays : « En même temps je le remercie parce que j'ai moi-même été confirmé dans l'espérance par les catholiques américains: j'ai trouvé en effet une grande vitalité et la volonté décidée de vivre et de témoigner la foi en Jésus ». Sur le thème de l'espérance, il s'est tout de suite créé une profonde syntonie des esprits entre le Pape et les américains. Dans l'homélie au stade national de Washington le Pontife a dit : « Les américains ont toujours été peuple d'espérance... Mais l'espérance, l'espérance dans le futur fait profondément partie du caractère américain. La vertu chrétienne de l'espérance a caractérisé, et continue de caractériser, la vie de la communauté catholique dans ce Pays ».
Le 11 septembre 2001, lors de l'attaque des Tours jumelles à New York et du Pentagone à Washington, le peuple américain, comme toujours dans les instants difficiles, a afflué dans les églises et dans les temples, trouvant dans la présence de Dieu confiance, unité et courage. Ce peuple ne s'est pas jamais séparé de la Parole de Dieu: la Bible reste le livre qui accompagne le plus le citoyen américain ; il ne s'est jamais séparé de la prière, qui continue à rythmer les instants les plus significatifs de la vie personnelle, familiale et nationale; le Jour de Remerciement à Dieu (Thanksgiving) est la fête la plus importante des Etats Unis et il n'y a pas un citoyen qui ne ressente le devoir de l'observer. Jésus Christ n'a jamais été ici une icône, mais une personne, le terme ultime de l'espérance. En parlant de l'espérance, le Pape a touché un thème profondément enraciné dans l'histoire et dans la culture de ce peuple, et a fait vibrer une corde particulièrement sensible en ces temps.

En plus d'une occasion, le Pontife a défini le séjour à Washington et à New York comme "une singulière expérience missionnaire". Les Etats-Unis ont-ils besoin aujourd'hui d'une nouvelle évangélisation?

Les Etats-Unis aussi, comme tous les Pays du monde, ont besoin aujourd'hui de nouvelle évangélisation. Elle doit commencer à la maison, c'est-à-dire au sein l'Église elle-même afin que chrétien retrouve la gratitude, la joie et la force de l'être. Le Pape a ouvert le chemin, il a donné la voie, avec ses discours aux évêques, aux prêtres et aux religieuses, aux enseignants, aux fidèles, aux jeunes: tous les secteurs de l'Église ont été appelés à cet engagement, à être les moyens de l'Esprit Saint pour une nouvelle Pentecôte. Spécialement lorsqu'on est une minorité, quatre attitudes fondamentales sont nécessaires pour avoir une influence positive sur la société.
Premièrement, une claire identité catholique : savoir ce qu'on est et veut être, autrement on devient comme une goutte de vin qui se perd dans un verre d'eau.
Deuxièmement, un fort sens d'appartenance: chacun a besoin d'une communauté et la communauté a besoin de chacun; qui se promène tout seul finit pour se perdre. Troisièmement, le culte de l'excellence dans la vie personnelle, familiale, professionnelle, pour être le phare sur le port, la ville sur le mont.
Enfin, enrichis d'une claire identité, d'un sentiment fort d'appartenance et du culte de l'excellence, voilà la quatrième attitude : une pleine disponibilité à collaborer avec quiconque veut construire un avenir meilleur.
Au Stade National de Washington le Pape a dit : « Les défis qui viennent à notre rencontre demandent une instruction vaste et saine dans la vérité de la foi. Mais ils demandent aussi de cultiver une mode de penser, une "culture" intellectuelle qui soit naturellement catholique, confiante dans l'harmonie profonde entre foi et raison, et préparée à porter la richesse de la vision de la foi au contact avec les questions urgentes qui concernent le futur de la société américaine ».
Ailleurs, Benoît XVI a parlé d'urgence de la formation : ce thème me semble constituer la toile de fond de toutes ses interventions aux Etats Unis, comme base pour relancer la nouvelle évangélisation.

Lors de la rencontre avec George W. Bush les deux les parties ont souligné les convergences entre la vision du Pape et celle du président. Pourtant dans l'histoire récente il a semblé qu'il y avait des divergences évidentes dans quelques domaines, comme la guerre en Irak et la peine de mort. Qu'en pensez-vous?

L'accueil que le président Bush a réservé au Pape a été absolument extraordinaire. Quant à l'entretien entre les deux, il a été de par sa nature privé. Nous connaissons ce que les parties ont rendu public, sans pouvoir exclure que d'autres thèmes aient été abordés.
Dans ses réflexions sur le voyage apostolique aux Etats-Unis, lors de l'audience générale du 30 avril, le Pape lui-même s'est servi d’un argument de grande épaisseur : « Lors de la rencontre avec monsieur le président dans sa résidence, j'ai eu l'occasion de rendre hommage à ce grand Pays, qui depuis l'aube a été édifié sur la base de l'heureuse conjugaison entre les principes religieux, éthiques et politiques, et qui continue de constituer un exemple valide de saine laïcité, où la dimension religieuse, dans la diversité de ses expressions, n'est pas seulement tolérée, mais valorisée comme âme de la Nation et garantie fondamentale des droits et des devoirs de l'homme ».
Donc, la dimension religieuse à ne pas reléguer dans la sphère du privé, mais à valoriser comme âme de la Nation et garantie fondamentale des droits et des devoirs de l'homme.
Benoît XVI n'a pas oublié qu'il se trouvait sur le territoire d'une super puissance mondiale et a tracé les contours de la mission de l'Église locale dans ce contexte: « L'Église peut accomplir avec liberté et engagement sa mission d'évangélisation et de promotion humaine, et même de "conscience critique" en contribuant à la construction d'une société digne de la personne humaine et, au même temps, en stimulant un Pays comme les Etats Unis, que le monde regarde comme un des principaux acteurs de la scène internationale, vers la solidarité globale, toujours plus nécessaire et urgente, et vers l'exercice patient du dialogue dans les relations internationale » .
Jean Paul II rappela à l'Amérique : « Lazare est assis à ta porte » .
Si la tentation du puissant est de s'imposer par la force, le constructeur du futur se fie à la patience de dialogue que ne fait pas plier, mais convainc.
Dans le "communiqué conjoint", de nombreux sujets de l'entretien ont été recensés, parmi lesquels la paix, les communautés chrétiennes en Moyen Orient, la pauvreté et la maladie en Afrique, l' Amérique Latine et le problème de l'immigration.

Les foules considérables accourues aux célébrations eucharistiques, le long des routes et à la rencontre du Pape avec les jeunes ont offert un témoignage sans précédents. Quelle est la clé de lecture de ce succès?

Benoît XVI était peu et mal connu aux Etats Unis.
Ceux qui attendaient "l'inflexible gendarme du Saint-Office" ont été conquis par le pasteur, le père, le maître persuasif. Le Pape a été "découvert" comme connaisseur attentif de ce qui se passe dans le cœur de l'homme d'aujourd'hui, comme porteur de réponses substantielles et vivifiantes, offertes avec clarté, avec humilité, presque avec timidité comme connaisseur passionné de Jésus Christ et serviteur de son Église, comme apôtre de l'espérance.
Et la sympathie, l'attention, le respect, l'amour du peuple tout entier, ont explosé. Les rencontres œcuméniques et interreligieuses ont créé un lien personnel du Pape avec les autres dénominations chrétiennes et avec les fidèles des autres religions. La visite à
Ground Zéro a été un instant d'intense identification du peuple américain, indépendamment de sa foi, avec Benoît XVI. Même ces mass media, qui d'habitude ne cachent pas leur âpreté contre l'Église catholique, ont écrit ou transmis avec intérêt, respect et sympathie les activités du Pape. Les expressions les plus communément utilisées ont été, dans le monde catholique: « Une visite pastorale pleine de bénédictions pour toute l'Église, pour le Pays », et dans le monde laïque: « Succès au-delà de toute attente ».
Et, étant donnés le pouvoir et la résonance des mass media aux Etats Unis, succès ici, signifie succès dans le monde entier.
Lors de la rencontre du Pape avec les jeunes à New York, chacun a pu voir la joie de Benoît XVI et la joie des jeunes lorsqu'il leur a dit: « Je vous promets de me souvenir de vous chaque jour dans mes prières », le cri a explosé, spontané et puissant: « Nous t'aimons ».
Le discours qu'il leur a adressé sera pour beaucoup un guide à trouver le sens de leur jeunesse et leur mission dans la vie.
A un jeune séminariste, j'ai demandé comment il avait vécu la rencontre avec le Pape, il a répondu: « J'ai conclu qu'il est exaltant, gratifiant, de devenir prêtre aujourd'hui ».
Le succès du Pape trouve son explication dans la capacité de Benoît XVI à comprendre l'esprit américain et à apporter, avec humilité, les réponses dont il a besoin.

Le Pape a parlé des Etats-Unis comme d'un « Pays laïque par amour de la religion ». Selon vous, est-ce un modèle auquel les autres sociétés occidentales aux prises avec le problème de la sécularisation peuvent aussi se référer?

Le Pape a parlé d'un « exemple valide de saine laïcité » aux Etats-Unis et il en a décrit les contenus : « Où la dimension religieuse, dans la diversité de ses expressions, n'est pas seulement tolérée, mais valorisée comme "âme" de la Nation et garantie fondamentale des droits et des devoirs de l'homme » . Une description de la " saine laïcité", qui mérite d'être étudiée attentivement. Chaque Pays a son histoire des rapports entre foi et raison, entre religion et nation. Mais les valeurs de la "saine laïcité" ici décrits sont une richesse pour tous.

Les interventions explicites et réitérés du Pape sur le scandale des abus sexuels du clergé ont-elles clos définitivement l'épisode, ou des questions restent-elles encore ouvertes?

Le Pape a parlé sur le scandale des abus sexuels du clergé de façon répétitive: à la Conférence Episcopale, aux prêtres, aux fidèles lors d'une rencontre pleine d'émotion il a ensuite reçu un groupe de victimes. Aux Etats-Unis, il y avait la crainte que "le Vatican" n'ait pas compris la gravité du phénomène. Cette idée a disparu après les interventions du Pape, inspirées par la vérité et la miséricorde. Il a indiqué le chemin pour le dépassement définitif de ces comportements humiliants. La surveillance sera toujours nécessaire.

Après le départ de Benoît XVI, qu'est-ce qui est resté dans les médias américains, les jours suivants?

Après le départ du Pape il y a eu des sondages d'opinion sur sa visite : le taux très élevé de satisfaction est impressionnant et peu commun aux Etats-Unis. L'image que les américains avaient de Benoît XVI a changé, comme a changé l'image de l'Église catholique, qui a repris courage. Des paroisses arrivent des informations selon lesquelles beaucoup de fidèles, qui depuis longtemps avaient abandonné la pratique religieuse, sont retournés à la confession et à la messe dominicale. Après les récits, plusieurs quotidiens et hebdomadaires ont publié des analyses, en général très positives, sur la totalité de l'évènement, les publications diocésaines sont pleines de photos, et de textes prononcés par le Pontife; sa visite reste présente surtout dans les discours des gens. L'Église est consciente et désireuse de continuer le chemin ouvert par le Pape : « Faire nouvelle chaque chose dans le Christ, notre espérance ».

©L'Osservatore Romano - 11 juin 2008



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Bilan du voyage aux Etats-Unis (IV)

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