Bilan du voyage aux Etats-Unis (IV)

La leçon de méthode de Benoît XVI. Un article de Mgr Albacete, dans la revue "Tracce" (10/6/2008)



Il a déjà été question ici, mais séparément, de Mgr Lorenzo Alacete, répondant aux question de l'Avvenire (Bilan du voyage aux Etats-Unis (II) ) et de la revue de Communion et Libération, "Tracce" (Bilan du voyage aux Etats-Unis (III) ), publiant une interview de Mgr Mamberti.

Cette fois, le théologien américain a écrit un article pour Tracce.
Je retiens ce passage magnifique:
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Beaucoup s'attendaient à ce que Benoît XVI ne soit pas à la hauteur des défis d'une visibilité si étrangère à son caractère ... Et au contraire, rien qu'en le regardant, pour ne pas dire en le rencontrant, même les plus cyniques ont été forcés d'admettre qu'il arrivait quelque chose d'inattendu et fascinant. Beaucoup (y compris les croyants d'autres religions non chrétiennes) ont même été jusqu'à parler d'une origine divine de la Présence qui se manifeste à travers la rencontre avec cette personne d'une grande humilité ; d'autres, simplement, ont pleuré.
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On pourrait objecter que l'article a été écrit par un inconditionnel, tout acquis à la cause du Saint-Père, et que donc son jugement en aurait moins de valeur.
Il n'en est rien.
John Allen que l'on peut difficilement soupçonner de complaisance aveugle ne disait pas autre chose, dans son article écrit juste après le voyage: "Leçons à tirer de la visite papale", qui s'achevait par ces mots:

La leçon à tirer est que les chefs spirituels n'ont pas besoin de chorégraphies élaborées, de multitudes en adoration, ou de rhétorique "à indice d'octane élevé" pour remuer les cœurs. Tout ce qu'ils ont à faire est de montrer au monde un visage pastoral, et le reste suit généralement.
.....
Pour l'église, mon défi est [..]: N'oubliez pas les leçons de la visite de Benoît.
En fin de compte, ce n'était ni une mise en scène, ni une habile stratégie de "public relation" qui ont fait du voyage un succès.
C'était l'impression profonde de bonté et de sincérité qui rayonnait du pape. Si le catholicisme espère obtenir une audience favorable, sa capacité à projeter ces deux qualités apparaît comme le préalable indispensable.
Et pourtant: Il ne suffit pas simplement de donner une i
mpression de gentillesse et de sincérité. Il faut vraiment être gentil et sincère...Y parvenir, personnellement et institutionnellement, représente peut-être le défi le plus durable laissé par Benoît XVI durant ses six jours passés en Amérique.


Texte original en italien sur le blog de Raffaella.
Ma traduction



Une extraordinaire leçon de méthode

Benoît XVI aux USA:
"Il nous a donné une extraordinaire leçon de méthode"
Lorenzo Albacete
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Depuis les évêques à la recherche de réponses sur l' évangélisation, jusqu'aux non catholiques les plus sceptiques et les plus lointains, tous sont restés surpris d'un fait: une rencontre humaine

Au terme de son discours aux évêques des Etats-Unis, le pape Benoît XVI a répondu aux questions de trois évêques, qui avaient auparavant été choisies par la Conférence Episcopale. Les évêques étaient d'accord avec le Saint Père sur le « défi du sécularisme en augmentation dans la vie publique, et sur le relativisme dans la vie intellectuelle », comme le prouvait le fait que « les catholiques abandonnent la pratique de la foi, parfois au moyen d'une décision explicite, mais plus souvent calmement et graduellement en s'éloignant de la participation à la messe et de l'identification avec l'Église ».
Les évêques demandaient en somme « comment affronter de tels défis du point de vue pastoral, afin de pouvoir accomplir l'oeuvre d'évangélisation plus efficacement ».
Ces questions ont touché un point crucial, peut-être le plus important de la visite du Pape aux Etats Unis.

C'était une question sur la méthode. Le problème de l'évangélisation réside vraiment là. Il y a des programmes d'évangélisation dans la plupart des diocèses et dans beaucoup de paroisses des Etats Unis.

Et cependant, les questions des évêques suggèrent une inquiètude quant aux résultats de tous ces programmes. Quel est leur réelle efficacité, si on ne remarque apparemment pas de changements substantiels ?

Le Pape a donné des réponses concrètes à ces questions, mais la meilleure réponse qu'il aurait pu donner est peut-être celle-là: « Suivez-moi ».

La visite du Pape aux Etats Unis a fait beaucoup plus que fournir les contenus d'une nouvelle évangélisation; elle a été une extraordinaire leçon sur la méthode nécessaire pour l'accomplir de manière efficace.

La première composante de cette méthode est l'événement d'une rencontre humaine à travers laquelle une Présence exceptionnelle réveille ou stimule les désirs fondamentaux du coeur, peut-être en grande partie endormis. Tôt ou tard, l'attrait de cette Présence poussera à se demander : « Peut-on vivre ainsi ? ». Ce type d'expérience est amplement témoigné par tous ceux - catholiques pratiquants ou sceptiques invétérés - qui ont suivi le Saint-Père dans son voyage. Beaucoup s'attendaient à ce que Benoît XVI ne soit pas à la hauteur des défis d'une visibilité si étrangère à son caractère (surtout en comparaison avec Jean-Paul II, d'un grand charisme communicatif)(*). Et au contraire, rien qu'en le regardant, pour ne pas dire en le rencontrant, même les plus cyniques ont été forcés d'admettre qu'il arrivait quelque chose d'inattendu et fascinant. Beaucoup (y compris les croyants d'autres religions non chrétiennes) ont même été jusqu'à parler d'une origine divine de la Présence qui se manifeste à travers la rencontre avec cette personne d'une grande humilité ; d'autres, simplement, ont pleuré.

Bien sûr, la plus dramatique parmi ces rencontres a été celle avec les victimes des abus sexuels perpétrés par des prêtres. Il est important de rappeler que les participants n'ont pas été choisis parce qu'ils étaient plus « ouverts » à la réconciliation avec l'Église.
Tous ont parlé de leur totale perte de confiance dans une Église qui avait permis l'« abus spirituel » sur eux. En plus il ne leur était pas apparu que Joseph Ratzinger ait été particulièrement compréhensif. Et au contraire, déjà seulement en le rencontrant, en lui serrant la main ou en l'embrassant, ou en l'écoutant parler - tous ont souligné l'intensité de ce contact physique -, leur coeur a commencé à se dénouer. De cet instant, le contenu de beaucoup des discours du pape Benoît a été comme filtré à travers cette rencontre insolite.

L'expérience américaine
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Le Pape a loué de façon répétée l'expérience américaine et a affirmé la bonté et la valeur du rêve américain. Dans son discours à la Maison Blanche, il a affirmé : « Depuis l'aube de la République, la recherche de liberté de l'Amérique a été guidée par la conviction que les principes qui gouvernent la vie politique et sociale sont intimement liés avec un ordre moral, basé sur la domination de Dieu Créateur. (...) J'ai confiance que les américains pourront trouver dans leurs croyances religieuses une source précieuse de discernement et une inspiration (...) dans l'effort pour édifier une societé plus humaine et plus libre ».

La deuxième composante de la « méthode d'évangélisation » du Pape peut se définir comme une affirmation. Les américains aiment être aimés, mais l'appréciation du Pape pour l'expérience américaine de fonder et gouverner une nature vouée à la liberté a été perçue comme son jugement authentique et pas comme une simple tactique diplomatique. Dans un certain sens, c'était une expression de l'affirmation que les victimes des abus avaient expérimentée dans leur rencontre.

La troisième composante de la « méthode d'évangélisation » suivie par le Pape Benoît pendant sa visite pourrait se définir comme la « création de la proposition chrétienne » elle-même.
Le point de départ est un jugement sur les caractéristiques de l'instant actuel de l'histoire américaine à la lumière des leçons de l'expérience de la foi et de ses 2000 ans d'histoire. Le Pape Benoît a résumé le défi auquel l'Église des Etats Unis est confrontée avec des mots qui rappellent ses discours aux évêques latino-américains à Aparecida, au Brésil. Malgré le contexte social complètement différent de celui de l'Amérique Latine, séduite par la théologie de la libération, le jugement était le même: « je crois que l'Église en Amérique, en cet instant précis de son histoire, se trouve face au défi de retrouver la vision catholique de la réalité et de la présenter de manière "entraînante" et imaginative à une societé qui fournit toutes sortes de recettes pour la réalisation de l'être humain ».

Témoin de vérité
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Finalement, le Pape a rendu clair que le but de sa visite n'était pas de proposer une analyse de ce qui est juste ou problématique ou mauvais dans la religiosité américaine et dans la recherche de rêve américain. Il était le Successeur de Pierre, il a insisté là-dessus. Il est venu comme témoin de Jésus-Christ et de la vérité de Son identité et de Sa mission.
Il y avait le Christ derrière l'extraordinaire rencontre que la présence du Pape dans sa chair a rendu possible.
C'était la foi dans le Christ qui nous a permis de juger les circonstances qui nous entouraient et de reconnaître le vrai chemin vers la liberté.
Le Pape a rendu cela clair à plusieurs reprises, aux catholiques, aux autres chrétiens, aux juifs, aux fidèles d'autres religions, aux agnostiques et aux athées. Aux Etats-Unis le nom de Jésus se trouve partout, aussi le Pape a-t'il spécifié que le Jésus au nom dont il était venu est le fondateur de l'Église catholique.

Le jugement final sur l'impact de la visite du pape Benoît aux Etats Unis dépendra vraiment de cette liberté que les américains apprécient tellement. Trouveront-ils encouragement et réconfort pour dire oui à la proposition du Pape ? Seule la Providence peut le savoir…
Le lendemain, l'attention du Pays s'est de nouveau tournée vers la campagne electorale pour la présidence. Les politiciens cherchent comment ils peuvent attirer le vote catholique. Les mots du Pape auront-ils un impact quelconque sur le vote des catholiques?
...

Peut-être revient-il au chef de l'Église catholique romaine de pousser un peuple aussi totalement modelé par la modernité que l'est le peuple américain, à se remettre en cause. Si c'est le cas, Benoît réussira ».

© Copyright Traces, mai 2008



(*)

A ce sujet, j'avais relevé ces quelques lignes, dans le blog de La Croix, avant le voyage (il s'agissait d'un commentaire au message video que le Saint-Père avait adressé aux américains):

« On sait que ce pape a fait le pari qu’il serait écouté et jugé sur le contenu de son message, et non sa forme. Et que, par nature pudique et peu expansif, il refuse de se livrer au jeu et à la logique médiatique. Reste que, s’agissant du pays de la communication par excellence que sont les Etats-Unis, on peut trouver le pari un peu risqué…  »

L'auteur faisait visiblement partie de ceux qui doutaient des capacités de communication du Pape...



Bilan du voyage aux Etats-Unis (V)
Bilan du voyage aux Etats-Unis (III)

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