Benoît XVI au Liban

Le très beau commentaire de Maroun Chabel, le correspondant de "Présent" au Liban (18/9/2012)

(Merci à Jeanne Smits)

 

Ecclesia in Medio Oriente : repenser le présent pour envisager l’avenir avec le regard même du Christ
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Beyrouth, le 17 septembre 2012, minuit. – Ils étaient une vingtaine, en tee-shirt vert fluo à aveugler le soleil, à applaudir, rire et chanter… Le plus jeune devait bien être presque octogénaire. Ils étaient venus d’Australie avec leur aumônier, aussi voyant mais plus jeune, pour saluer « leur » pape sur la terre de « leurs » ancêtres. Les quittant pour rejoindre les prêtres sur la tribune réservée au clergé, il leur dira : « Ne bougez pas avant que je revienne vous chercher… » Il aurait pu dire cela une classe de maternelle mais nos seniors de ce dimanche matin avaient cette âme d’enfant, ce cœur d’enfant confiant et serein dès que nous nous mettons à l’écoute de notre pape.

Les curés avaient dit : personne chez soi dimanche, tout le monde à la messe du pape? Ils y étaient. J’ai même croisé une dame marchant par la grâce d’un déambulateur et une autre le pied dans le plâtre, sa canne à la main, faisant fi et de la chaleur et de la longueur du trajet. Combien étions-nous ? Selon la salle de presse du Vatican nous étions plus de 350 000. Au départ les organisateurs ne pensaient pas pouvoir réunir plus de 100 000… Ce matin il y avait plus de 350 000 fidèles dans l’enceinte de la messe. Mais cela ne comptabilise pas les rues avoisinantes qui étaient noires de monde. Ma photo est ratée. Sinon elle aurait été là pour prouver mon propos.

Le pape est arrivé. Le pape est parti. Il y a aujourd’hui une génération Benoît XVI au Liban. Une génération de 7 à 77 ans tant il a réussi à bouleverser les esprits et à retourner les cœurs.

Vendredi dernier, 14 septembre, le jour de l’exaltation de la Sainte-Croix, nous nous demandions encore si le voyage aurait lieu. Si Benoît XVI serait effectivement parmi nous. La situation était tendue et nous ne savions pas encore si le Hezbollah « bénissait » la visite.

« Je puis dire que personne ne m’a conseillé de renoncer à ce voyage, et pour ma part, je n’ai jamais pensé à cette hypothèse parce que je sais que, si la situation devient plus compliquée, il est encore plus nécessaire de donner ce signe de fraternité, d’encouragement, de solidarité », a déclaré Benoît XVI aux journalistes au cours du vol Rome-Beyrouth. Ce n’est que jeudi soir tard que le Hezbollah se fendait d’une déclaration appelant « tous » les Libanais à accueillir le Saint-Père. L’aéroport international de Beyrouth et toute la route qui mène jusqu’au centre-ville est sous sa stricte domination. Qui osera s’y masser pour saluer le chef de la chrétienté ? Vous vous imaginez bravant ses interdits avec votre belle-mère et votre mère, vos enfants, votre épouse et le petit dernier dans son landau ? Pas moi !

Il y a eu du monde pour saluer le Saint-Père sur ce trajet. Ces mêmes escouades de femmes toutes en noir avec des grappes d’enfants que l’on envoie sur la frontière israélienne pousser quelques youyou militants. Elles étaient là dans leur tchador à l’iranienne agitant leurs petits drapeaux aux couleurs du Saint-Siège. J’oubliais ! Le parti s’est fendu d’une grande affiche « Bienvenue au Liban au pope Benoît XVI ». Ce n’est pas une coquille, c’est bien pope, à l’anglaise.

Mais nous nous sommes bien rattrapés dans nos régions, obligeant les très stricts services de sécurité du Vatican à revoir leur copie et à faire faire au pape tous ses trajets en papamobile au lieu du convoi de Mercedes noires blindées aux vitres fumées.

Que retenir de ce voyage ?
Tout. D’abord les textes de Benoît XVI. Ciselés à la manière du cardinal Ratzinger ! Il a su trouver les mots, les formules pour dire la vérité. Rien que la vérité dans un pays déchiré. Dans un Moyen-Orient livré à tous ses démons et au fondamentalisme. J’ai choisi quelques extraits. Mais choisir veut dire renoncer. Et des textes de ces trois jours je ne renonce à aucun. Allez sur le site du Saint-Siège et gouttez-en tout le miel.

Il y a évidemment l’exhortation apostolique Ecclesia in Medio Oriente pour nous permettre « de repenser le présent pour envisager l’avenir avec le regard même du Christ ». Benoît XVI n’est pas venu nous donner une solution miracle. Une solution magique. Le grigri pour supporter notre quotidien, pour vivre avec nos peurs et nos angoisses. Benoît XVI est venu nous apporter la méthode : « A la lumière de la fête d’aujourd’hui – exaltation de la Sainte-Croix – et en vue d’une application fructueuse de l’Exhortation, je vous invite tous à ne pas avoir peur, à demeurer dans la vérité et à cultiver la pureté de la foi. Tel est le langage de la Croix glorieuse ! Telle est la folie de la Croix… celle de savoir aussi transformer des êtres attaqués et blessés dans leur foi et leur identité, en vases d’argile prêts à être comblés par l’abondance des dons divins plus précieux que l’or… »

Il y a un pays rassemblé autour du Saint-Père. Les chefs des communautés non catholiques étaient présents à toutes les manifestations comme d’ailleurs les Musulmans. Tous les bords politiques étaient là. Et nous avions vite fait d’oublier la bouderie du Hezbollah. Cette parenthèse de sérénité pure – comme de l’or en barre – est aujourd’hui refermée. Jeudi – normalement – une réunion de dialogue nationale est prévue. Répondront-ils tous présents ? Nous verrons bien.

Il y a une langue. Le français remis à l’honneur dans un Liban qui oublie jour après jour que le français fut sa langue seconde. Tous les discours et sermons du Saint-Père ont été dits en français, la célébration en latin et dans chacune des langues liturgiques de chacune des Eglises orientales : syriaque, grec, arménien, arabe…

Il y a aussi un président chrétien, le général Michel Sleiman, présent avec son fils à la veillée des jeunes et fidèle parmi les fidèles à la messe de dimanche.

Il y aussi les hasards du calendrier ou les clins d’œil de la Providence. Le 14 septembre 1982, le président-élu du Liban, celui qui en portait tous les espoirs, Bachir Gemayel, était assassiné. 30 ans plus tard – jour pour jour – le Saint-Père arrive, et résonne dans nos cœurs la voix de celui qui disait : on nous a attaqués comme Chrétiens, nous nous sommes défendus comme Libanais.

Le protocole libanais exige la présence de tous les anciens présidents de la République lors de cérémonie de ce type. Autour de Benoît XVI nous avions deux veuves de présidents assassinés, Solange Gemayel et Nayla Mouawad. Mais nous n’avions pas Emile Lahoud, le prédécesseur de Michel Sleiman. Homme lige des Syriens des années de plomb, il a peut être choisi de s’abstenir.

Certains amis ne comprenaient pas notre inquiétude autour de ce voyage alors que celui de Jean-Paul II s’était si bien passé sous la tutelle syrienne. Eh bien ! justement est là toute la différence. Pour le bienheureux Jean-Paul II les Syriens occupaient le Liban. Une fois qu’ils avaient décidé d’accepter la visite il fallait qu’elle soit une réussite. Aujourd’hui la Syrie est hors du Liban et ses moyens de détruire demeurent, bien qu’affaiblis. Tout au long de la visite du Saint-Père les villages chrétiens des zones frontalières ont été systématiquement bombardés.

A travers le Liban c’est à chacune des Eglises d’Orient que le Saint-Père a rendu visite. Prenant son temps pour écouter, pour dire, pour indiquer le chemin, pour réconforter, renforcer… Pour être un semeur d’espérance : « Vous visitant, c’est comme si Pierre venait à vous, et vous avez reçu Pierre avec la cordialité qui caractérise vos Eglises et votre culture… Le monde arabe et le monde entier auront vu, en ces temps troublés, des chrétiens et des musulmans réunis pour célébrer la paix. Il est de tradition au Moyen-Orient, de recevoir l’hôte de passage avec égard et respect, et vous l’avez fait. Je vous en remercie tous. Mais, à l’égard et au respect, vous avez apporté un complément ; il peut se comparer à l’une de ces fameuses épices orientales qui enrichit la saveur des mets : votre chaleur et votre cœur, qui m’ont donné le goût de revenir. Je vous en remercie particulièrement. Que Dieu vous bénisse pour cela ! »