La grotesque polémique espagnole

Décidément, l'histoire de la disparition du boeuf et de l'âne de la crèche par décret papal (!) fait couler beaucoup d'encre au-delà des Pyrennées, au point de susciter des réactions épiscopales. Dernière en date, celle de l'archevêque d'Oviedo dans sa lettre hebdomadaire à ses ouailles. Traduction de Carlota (30/11/2012)

Sur ce sujet:
¤ Le boeuf, la mule... et les ânes
¤ La question de Dieu dans le monde d'aujourd'hui

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On dira que ce sujet n’est pas vraiment capital par rapport à toutes les misères du monde, mais les mots de Mgr Jesús Sanz Montes, archevêque d’Oviedo (Asturies), qui revient avec humour mais fermeté sur ce qu’il faut bien appeler désormais l’affaire de la Crèche, me semblent aller bien au-delà de cet épisode ridicule.

Par chance (??), nous y avons échappé en France. La sortie du livre du Pape a été recouverte d'une chape quas-unanime de silence (à l'exception d'une micro-polémique sur la date de Noël), et on peut se demander ce qui est le pire, de la caricature, ou du black-out (il n'y a hélas pas d'alternative!).
Ce qui ressort une fois de plus, c'est la perversité d'un système de caisse de résonnance qui permet à une non-nouvelle (en plus, fausse!), d'un intérêt nullissime, de se répandre comme une traînée de poudre via medias "classiques" puis réseaux sociaux, pour "recouvrir", déformer, étouffer, effacer le vrai message du Pape, en se substituant à lui. Cela ne peut évidemment pas être innocent.


Un certain individu cornu doit encore s’en frotter les mains. Une preuve supplémentaire de qui est son ennemi !

Texte en espagnol de la lettre hebdomadaire de Mgr Jesús Sanz Montes: http://www.iglesiadeasturias.org/.

     

Dés-armer la Crèche (1)
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Ç'a été la nouvelle religieuse de la semaine: le Pape s’en prend à la mule et au bœuf (cf. Le boeuf, la mule... et les ânes).
Beaucoup sont tombés docilement dans le panneau.
Le problème est qu’il n’y avait pas de bruit, ni même un beau taureau de combat, et la fougue qui va avec. Tout est venu d’un montage que personne ne s’est fatigué à vérifier au préalable, donnant comme acquise une chose inexistante mais dont la divulgation, elle, fut belle et bien certaine. Le résultat a été aussi comique que pathétique. Il a semblé que les restrictions en matière d’emploi, la réduction des effectifs, affectaient jusqu’à la crèche, d’autant plus que l’on se rapprochait de sa pieuse apparition annuelle. Ainsi, combien ont répété comme des slogans, leurs lamentations, leur indignation, leur moquerie et leur confusion. Et c’est que… il faut écouter ce qui vient de tomber, car c’est par ordre de Sa Sainteté, le bœuf et la mule doivent sortir immédiatement de la Crèche.

Aussitôt, les compositeurs de chants de Noël, leurs interprètes, les fabricants des petits personnages de la Crèche, les gens en réunion et les plumitifs, se mirent à pérorer, racontant des sornettes, mettant en garde contre les inconvénients, lançant des injures et menaçant de s’associer à quelque freluquet indigné (ndt « indignado », bien sûr !). Mais, tiens, la tempête escomptée passée, il n’y a plus lieu de suivre avec la pancarte [comprendre manifester dans la rue avec une pancarte, « on veut le bœuf et la mule » !). Qu’est ce qui est arrivé ?

Qu’ils disent que le Pape a dit je ne sais quoi au sujet de ce singulier comparse animal dans la fameuse crèche. Mais en lisant ce bref paragraphe à la page 77 de son nouveau livre sur l’Enfance de Jésus (ndt: pages 100-101 de l'édition en français, cf. Notes ), là non seulement il n’en est rien, mais justement tout le contraire : d’abord il explique l’origine de ces animaux dans la prophétie d’Isaïe, deuxièmement il rappelle ce qu’ils symbolisent pour l’humanité, et troisièmement il commente que jamais nous ne renoncerons à cette scénographie si enracinée dans la tradition chrétienne. Ainsi d’un coup de plume dans le sens de l’écriture, ceux qui ont écrit ces titres de presse et ceux qui joué à les commenter d’une manière frivole, doivent sûrement avoir quelque raison : du piège réducteur à l’ignorance crasse. Un moyen de résumer et d’annuler le livre du Pape d’une manière malhonnête.

Ce n’est pas la faune de la crèche qui nous préoccupe mais la réalité de cette autre crèche qui est la vie quotidienne de tant de personnes. Dieu est aussi là, au milieu de la pénurie, en soutenant l’espérance des plus défavorisés et des plus secoués par la crise. C’est ce qu’a rappelé à la dernière assemblée plénière des Évêques espagnols, le cardinal Roucou (ndt: archevêque de Madrid et président de la CEE) dans son discours inaugural. Nous sommes dans une crise globale et extensive qui ne paraît pas avoir touché le fond. Immergés dans une situation où la tension sociale croit et oùe certaines propositions politiques déterminées en sont venues à ajouter des éléments de préoccupation à des moments en eux-mêmes déjà difficiles.

Il y a des aspects urgents et douloureux où la crise se manifeste: le chômage de trop de personnes, en particulier beaucoup de jeunes, l’affaiblissement de la conscience de l’unité et de la solidarité entre tous les Espagnols ; les drames dont souffrent de nombreuses familles, en particulier celles qui se voient obligées de quitter leurs maisons du fait des expulsions (2). C’est pour cela que l'on appelle à la conversion à la vérité grâce à la foi, à la solidarité animée par la charité et à l’esprit de dépassement, encouragé par l’espérance en Dieu. Et on demande aussi, que les coûts de la crise ne retombent pas sur les plus faibles, comme le sont les émigrants (4); et on recherche en urgence des solutions qui permettent aux familles délogées, comme cela a été fait avec d’autres institutions sociales, de faire face à leurs dettes sans avoir à les jeter à la rue

En inventant des mystifications, on peut dénaturer le livre du Pape et camoufler les vrais problèmes des gens. Pour le même prix.

+ Fr. Jesús Sanz Montes, ofm (3)

     

Notes de traduction
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(1) Jeu de mots en espagnol sans doute, avec plein de références. Armer dans le sens d’armer un fusil mais aussi de monter, installer, fournir (comme l’armement en personnel d’un navire), et l’opération inverse de démontage ou de désarmement. Dés-armer (avec le tiret bien marqué dans le texte original) la crèche, peut donc faire allusion au montage et démontage physique des petits personnages de la Crèche mais aussi, au prétexte des animaux de trop, une charge contre l’Institution catholique.

(2) Le diocèse de Bilbao par exemple a mis 30% de son parc immobilier louable à la disposition d’expulsés à des prix très bas. L’augmentation des chiffres avancés par le Secours Catholique (Caritas en Espagne) des aides alloués et du nombre de bénéficiaires (y compris qui étaient jusqu’à récemment de la classe moyenne) par rapport aux années précédentes est bien sûr en très forte augmentation. Le suicide récent d’une ancienne conseillère municipale du Parti Socialiste a entraîné le vote de mesures par le Parlement pour geler les remboursements sinon encourager les moratoires des banques pour les crédits immobiliers, et faire mettre à la disposition des logements dans certaines conditions plus favorables. Il est évident que la fragilité des familles (favorisée par les nouveaux mœurs devenus modèles et les lois sur le mariage express n’aident pas non plus).

(3) Monseigneur Jesús Sanz Montes est né en 1955. Après son baccalauréat, il commence des études d’économie et de droit du commerce tout en travaillant dans une banque privée madrilène. Puis il s’oriente vers la théologie. En 1981 il intègre l’Ordre des Franciscains. Il est ordonné prêtre en 1986. Nommé évêque de Huesca-Jaca (Aragon) en 2003, il est archevêque d’Oviedo depuis janvier 2010 où dès son arrivée il a commencé à « réduire la bureaucratie diocésaine et réorganisant les paroisses ».

(4) Si évidemment les immigrants (notamment d’Amérique hispanophone) dans une Espagne en pleine explosion de la bulle du bâtiment, souffrent de cette crise, le terme employé est bien celui d’émigrants. Il peut faire aussi référence au retour d’une émigration espagnole (notamment des jeunes diplômés et en âge de procréer) vers d’autres pays dont l’Allemagne.
La migration existe aussi à l’intérieur de nos pays où nos jeunes doivent quitter leur environnement pour essayer de se trouver un travail dans les grandes villes, où ils souffrent de l’isolement et peuvent face à l’adversité manqué des soutiens moraux indispensables. Est-ce que en Espagne comme ailleurs la très médiatisée « pastorale des migrants » pense aussi à eux ?
On peut imaginer dans une Espagne déjà dramatiquement vieillissante, ce que tout cela signifie. L’on a froid dans le dos en pensant à l’irresponsabilité coupable des « élites » de nos pays (car la France malgré les beaux discours des politiques de tous bords, est bien dans une position approchante) depuis des décennies. Et pourtant sur des sujets essentiels, l’Église catholique aux travers, notamment, de ses encycliques avaient donné tellement déjà de conseils plein de sagesse, mais il est tellement facile de succomber à toutes les tentations quand l’on a décrété orgueilleusement que l’on était devenu assez grand pour se débrouiller tout seul…face au Père du Ciel.