La lettre de Jeannine du 28 octobre

Elle a suivi le Synode, et nous fait partager son regard à la fois aigu et plein de bon sens (29/10/2012).

--> Image ci contre sur Vatican Insider.

     

Chère Béatrice,

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Grâce à F. Mounier je sais ce que peut recouvrir comme motif la mention «au titre de l'article 401 § 2 du code de droit canonique» accolée à une démission «acceptée par le pape» sans autre précision. Etant donné que je lis le VIS, c'est une phrase qui revient dans les autres actes pontificaux. J'avais bien remarqué que les départs pour limite d'âge atteinte étaient précisés mais je n'avais pas pensé que cette formule administrative était en relation avec le rejet par Benoît XVI de la culture du secret. Il pratique la «tolérance zéro» pour les évêques comme pour les prêtres, même si ce n'est pas apprécié par tous au Vatican. Voilà pourquoi Benoît XVI «fait le ménage» (cf. F. Mounier, 22 octobre).

Je vous suis toujours avec fidélité. J'ai apprécié le très beau commentaire de la journaliste Angela Ambrogetti (Une journaliste du vol papal raconte) qui était à bord du vol papal pour le Liban. Si une de nos plumes inspirées ou qui devraient l'être était capable d'écrire un récit aussi vivant, spontané, sincère, simple dans la forme mais terriblement éloquent, je crois que l'on pourrait créer un jour férié dédié aux journalistes français. Vu le courage de mes concitoyens il serait apprécié même par les plus farouches opposants à l'Eglise.

Le synode est fini. Je l'ai suivi à travers les célébrations de notre Pape, avec La Croix qui a fourni des textes d'interventions mais je me suis tenue à l'écart de tout ce qui est blog, tweets (ce genre d'information a disparu très vite), et avec le Figaro. Lorsque j'ai lu tous les commentaires et les paroles de certains Pères, tous ces avis qui fusaient librement et dans toutes les directions, j'ai eu l'impression d'une classe d'écoliers lâchés dans la cour de récréation après une matinée d'attention. Mes connaissances en matière religieuse sont modestes il m'a cependant semblé qu'il y avait un amalgame entre concile et synode; les médias ont eux-mêmes parlé de mini-concile.

Tous les sujets ont été abordés avec une très grande liberté même en présence de Benoît XVI. Ceux qui espéraient des prises de position très nettes sur les divorcés-remariés et l'institutionnalisation des laïcs avaient tort car ce sont des problèmes fort importants, graves, à régler.
Cela demandera un long travail, un profond mûrissement, beaucoup de doigté.
Des Pères synodaux sont sûrement déçus mais il s'agissait d'un synode en non de la refonte de l'Eglise, d'un Vatican III. Les médias insistaient beaucoup sur ces points particuliers car ils savaient que la frange progressiste de l'Eglise attendait qu'ils en parlent.
Le cardinal Turkson (en l'absence de Benoît XVI) a fait sensation, provoquant beaucoup d'émotion, d'indignation. Il y a pourtant une grande part de vérité dans ce qu'il a montré (La «gaffe» du Cardinal Turkson). J'habite une banlieue très favorisée mais lorsque je me rendais à Saint-Denis pour voir mes enfants, petit immeuble très protégé à côté de la Basilique, dans une rue piétonne, je ne me sentais pas à l'aise: j'étais l'étrangère. De toute façon que ce soit Benoît XVI ou le cardinal J-L Tauran, tous deux reconnaissent que l'on ne peut faire autrement que d'entretenir des relations avec l'islam. A une certaine époque notre Pape avait fortement insisté sur la notion de réciprocité, ce qui avait choqué les musulmans; ce terme a disparu.

De ces trois semaines de travail intense je retiens surtout la figure lumineuse, solide, de notre Saint-Père; discret, présent mais non pesant, attentif, veillant à maintenir la cohésion. J'ai aimé le repas offert à tous ses frères, ses paroles restant toujours dans la ligne fixée, les célébrations assurées avec simplicité, dans le respect de la belle liturgie même dans le cadre grandiose de la basilique vaticane.
Le temps passe, 7 ans et 6 mois de pontificat depuis le 19 octobre, des aménagements se sont imposés mais tout a été mis en place dans le calme, pas de révolution, de communiqués fracassants. L'intelligence hors norme renforcée par une foi indestructible, la voix douce et ferme, le sourire si plein de bonté, la bienveillance naturelle qui émane du personnage, tout cela reste présent à travers homélies, catéchèses, méditations, Angelus, discours, messages improvisés. Son enseignement dispensé suivant toujours le même rituel prend l'auditoire par la main et le guide vers le sujet annoncé au début de la rencontre.

Alors que ce mois d'octobre s'annonçait très chargé, j'ai trouvé que son visage était plus reposé; à croire que son temps morcelé suite à ses différentes occupations lui a été bénéfique en maintenant bien vivant le lien avec les forces vives de l'Eglise présentes et lui. Les pèlerins en grand nombre qui viennent pour les audiences générales ne s'y trompent pas.
Même le déroulement un peu perturbé de ce mois ne les a pas fait déserter et je retrouve toujours avec autant de plaisir la foule des visages joyeux, les gestes affectueux, familiers, destinés au Saint-Père. Cette joie qui l'inonde, cette affection qui le porte, autant de positif dans un quotidien lourd à assumer mais Dieu est là et lui continue son chemin pour bien Le servir. Comment fait-il pour tout organiser, ne pas se laisser dévorer, garder la prescience de la phrase à dire, du geste à mettre en place. A la fin du voyage au Liban un prélat interrogé (impossible de retrouver le nom et l'article) disait que le Pape avait bien raison, à l'ère des nouveaux moyens de communications, de ne faire qu'un voyage principal bien ciblé en ayant l'art de l'étendre à toute une vaste région, au monde, au lieu d'aller de ville en ville. L'intervenant disait avoir reçu lui-même des messages de musulmans (il me semble) qui n'avaient pu être présents mais avaient apprécié.
Soumis à la loi du temps qui passe inexorablement, notre Pape accepte sa condition et en tire le meilleur sans jamais renoncer. Je trouve cela magnifique et je lui voue une fervente et affectueuse admiration.

Les deux mois à venir, en particulier le mois de décembre, vont représenter une période de préparation intense pour toutes les célébrations et rencontres qui vont de dérouler. Le nouveau consistoire, présenté avec beaucoup de clarté par le Saint-Père, va donner lieu à de nouvelles rencontres dont il paraît se réjouir. Qui a dit qu'il était isolé et ne voyait personne au Vatican? Il faudrait ne jamais oublier que, pour notre Pape, même les moments difficiles sont source de joie: du grand art et une sublime abnégation; j'apprécie au plus haut point mais je me sens bien petite.