Le destin de Natasha

Sur Religión en Libertad, l'histoire incroyable d'une religieuse russe orthodoxe qui est décédée en février dernier. Où l'on apprend que Vladimir Poutine a un confesseur!! Traduction de Carlota (22/10/2012).

Natacha, femme maquisard, ingénieur spatial puis religieuse orthodoxe
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En février 2012 mourait une vieille religieuse orthodoxe de 90 ans, qui depuis longtemps ne pouvait même pluas marcher à la suite d’une fracture de la jambe. Il s’agissait de la Mère Adriana Málysheva. Mais le fait d’être enfermée dans sa cellule en dépendant des autres ne l’avait pas empêché de plaisanter, chantonner et montrer une mémoire prodigieuse. Parce que la Mère Adriana avait beaucoup à raconter et la journaliste Anna Danílova, rédactrice en chef, du portail « Pravoslavie i Mir » (ndt Православие и мир ici – portail sur « l’Orthodoxie et le monde » qui a une version en anglais moins complète mais qui donne de temps en temps des info. sur Rome comme ici) a pris des note et a présenté le 2 octobre dernier son livre « D’exploratrice à religieuse » qui rassemble les souvenirs d’une vie intense (1)


Une enfant non désirée
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En naissant, la petite Natacha Málysheva n’a pas apporté le bonheur à sa mère : elle attendait un garçon et personne d’autre. « La déception en voyant sa petite qui venait de naître a été insupportable pour la mère et dès les premiers jours cela a compliqué la vie d’une fillette qui n’était coupable d’aucune faute », dira ensuite la vieille Mère Adriana.
La fillette a dû gagner l’amour et l’attention dès sa plus jeune enfance, elle a appris à lire à cinq ans, elle répétait tous les devoirs que préparait sa grande sœur, comme de même par la suite quand les maîtres au collège ne savaient pas quoi faire d’elle. Elle a appris à s’amuser toute seule. Par exemple, elle aimait jouer à courir pour prendre le soleil qui descendait derrière l’horizon, persuadée qu’elle y arriverait cette fois-ci (2).

L’enfant et l’Homme sur la Croix
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Quand elle avait cinq ans (donc en 1927), Natalia (3) a rencontré le Christ. Dans le monastère moscovite de la Passion, à cette époque pas encore détruit, on lui a montré une Croix sur laquelle était un Homme. Des clous lui traversaient les pieds. La Natalia de cinq ans a fait tout ce qu’elle put pour enlever avec ses dents les clous des pieds du Sauveur. Sans succès. Mais quelque chose est restée plantée dans son âme.

La Seconde Guerre Mondiale
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« En 1941 (4) la guerre éclate avec l’Allemagne. D’abord, on a pensé qu’elle durerait quelques jours, que l’on vaincrait l’ennemi sans même avoir le temps d’aller défendre la Patrie. Mais les mois ont passé et la guerre s’est prolongée. Les bombes tombaient dans la rue centrale de l’Arbat, en face du théâtre Bolchoï. Je me rendais compte que les choses ne se passaient pas comme nous l’imaginions. Nous nous préparions à célébrer une victoire mais à la radio ils parlaient de prisonniers et d’une grande quantité de blessés… »
Natalia part pour le front, comme volontaire, en octobre 1941. Elle n’avait pas de doute, elle savait ce qu’elle devait faire. « Je suis passée à la maison pour seulement prendre deux petites choses dont j’avais besoin. Comme avant aussi je partais de nuit pour rejoindre mon poste à l’hôpital comme infirmière de nuit, ma maman n’a donc rien soupçonné » se rappelle-t-elle.

Espionne dans une équipe de reconnaissance
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On la destina tout de suite à une équipe de reconnaissance. Elle parlait un bon allemand et son aspect d’adolescente l’aidait. Elle a appris à marcher en rampant, à s’orienter dans l’immense forêt russe, à observer et, surtout, à ne pas laisser ses compagnons dans le malheur.
Une fois elle a dû sauver un compagnon blessé: il avait été abandonné en terrain découvert contrôlé par les nazis. Natalia a ignoré l’ordre de l’abandonner et est partie le chercher. « Quand j’ai trouvé Youri (ndt diminutif de Georges), il a ouvert les yeux et a murmuré : Tu es venue ! J’avais déjà peur que tu m’aies abandonné. Et il m’a regardé ainsi, avec ces yeux-là et j’ai compris : « si je me vois de nouveau dans une telle situation, j’irai chercher n’importe qui pour voir de nouveau tant de gratitude et tant de bonheur dans les yeux ». Nous devions nous traîner par un lieu découvert. Moi, petite et agile, je pouvais réussir, mais « que faire avec un homme blessé ? Je l’ai bandé comme j’ai pu et je lui ai demandé qu’il m’aide avec ses bras et sa jambe valide. Et pendant que nous approchions à découvert, il a commencé à neiger. Ils tombaient des flocons de neige humide, gros, comme des morceaux de coton au théâtre ! Et sous ce manteau de neige nous avons passé l’endroit dangereux.

Une femme entourée d’hommes
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Le pire au front c’est la vie quotidienne. La vie d’une jeune fille entourée d’hommes. « Ce qui était difficile, parmi nos gars, c’était aller derrière un arbuste ! Imagine, nous avançons à ski et je me laisse peu à peu distancer, pour faire mes petites commissions pendant qu’ils ne me regardent pas. Mais voilà, que toute de suite ils sont inquiets : Les gars, moins vite, Natalia est fatiguée. Une fois j’ai choisi le plus vieux d’entre eux et je lui ai dit : Vraiment vous êtes à ce point idiots ? Il n’était pas venu à l’esprit du pauvre homme qu’il y avait des choses qui ne se disaient pas directement ».

Mais peut-être qu’il n’y aurait pas eu de Mère Adriana sans un soldat allemand. Elle s’est fait surprendre une fois. C’était une guerre très cruelle, des deux côtés il y a eu d’authentiques actes de barbarie réalisés avec les civils et avec les militaires. Mais le soldat allemand l’a regardée et lui a murmuré. : « Je ne me bats pas avec une sale gamine ». Et il l’a laissée s’en aller. Qui sait ce qu’il est advenu de ce militaire sur ce front teinté de sang ?

La paix avec des fusées
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Après la guerre, la paix est venue, et Natalia a été promue dans la réserve au grade de commandant de l’Armée de Terre. Elle a étudié à l’Université des Techniques Aérospatiales et a commencé à travailler avec Sergueï Koroliev (5) le légendaire ingénieur et concepteur de fusées spatiales. Ce furent d’abord des années d’un travail enthousiasmant dans l’équipe de Koroliev, mais après la mort tragique de celui-ci (ndt en 1966), Natalia s’est vue dans une typique « entité » soviétique où personne ne se passionnait pour son travail, personne ne restait travailler de nuit, etc. On venait pour toucher son salaire, par pour l’effort. Et elle se sentais vide.

La cabane d’un pope, fils de colonel
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Á cette époque une amie lui a révélé un secret : son fils Sergueï venait d’être ordonné prêtre orthodoxe et elle l’a invitée avec venir avec elle pour lui rendre visite dans un petit village. « Le jeune homme, en réponse à mon bonjour, "Salut, Sergueï" avec une sévérité tranquille m’a dit : "Père Sylvestre". Nous nous sommes installées dans une "isba" avec un minuscule jardin. Une chambre servait de cellule pour le Père Sylvestre, dans l’autre il y avait le minimum pour héberger des invités. Les murs étaient faits de troncs reliés par un matériau isolant qui sortait par toutes les fentes, la maison n’avait même pas de rideaux. Pour les autres "commodités", c'était là-bas, dehors. Je me rappelai le luxueux appartement de son père colonel à Moscou, mais au lieu de m’horrifier ou de protester, j’ai senti une vague d’enthousiasme et de joie : Seigneur, ai-je pensé, combien forte est la foi que tu as donnée à ce jeune pour qu’ainsi, volontairement, il ait voulu laisser une vie aisée et vivre ici, au "sapin n°5", seul mais avec une telle tranquillité et paix en son âme ! »
Le changement observé chez le père Sylvestre a transformé Natalia. Elle a commencé par fréquenter l’église, lire l’Évangile… Tout ce qu’avant elle valorisait comme sens de sa vie, le travail, l’activité sociale, appeler l’attention des autres… tout cela a perdu rapidement de son attrait. Elle a rencontré un directeur spirituel et a commencé à collaborer à la restauration de la filiale moscovite du monastère de Pyhtää, un monastère orthodoxe en Finlande. Elle a pris sa retraite à l’étonnement de ses collègues pour se dédier complètement à sa nouvelle vie.

Soeur Adriana
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Là, dans ce monastère restauré, elle a embrassé la vie religieuse. Elle aimait beaucoup son prénom de toujours, Natalia. Quel serait le nouveau nom de moniale que lui imposerait l’évêque ? « Je n’oublierai jamais le moment où l’évêque a dit : notre sœur Adriana. J’ai pu à peine contrôler ma joie. Dès lors je restais pour toujours avec ma sainte patronne Natalia, parce qu’elle et son saint époux Adrien était une seule âme et une seule chair » (6). […]

Les deux règles de sa vie
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« Dans ma vie il y a deux règles », résumait la vieille religieuse: « Ne reste jamais là où tu désires rester. Je l’applique dans toutes les situations de ma vie La seconde règle vient avec les ans : ne montre jamais à personne que tu es fâchée. Ne réagis pas à des remontrances acerbes ou à un manque de respect. Le mieux est de te contrôler et de répondre tranquillement: "Il t’arrive quelque chose ? Tu es de mauvaise humeur?". Peut-être que cette forme d’humilité est quelque chose d’égoïste mais au moins c’est de l’humilité. Même pas une minute je n’admets la grossièreté dans mes relations. Cela fonctionne toujours ».

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Le livre sur la vie de la Mère Adriana a été édité par Nikea, une maison d’édition et de diffusion de livres orthodoxes. Un autre livre de cet éditeur « Des saints non saints et autres histoires » (ndt voir ici en russe et , la traduction de la préface en français. Pour l’instant le livre n’a connu à l’étranger qu’une édition anglaise) écrit par l’archimandrite (7) Tikhon Shevkunov (né en 1958 - supérieur du Monastère Sretensky de Moscou, réputé sur certains sites comme le confesseur du Président russe Vladimir Poutine). Ce livre a été vendu en un an à plus d’un million d’exemplaires et a gagné le prestigieux prix du Livre [russe] pour l’année 2012-catégorie prose.

(1) Voir ici la publicité sur l’ouvrage: symbooks.ru/catalogue...

(2) Natacha est né en 1922 – sans vouloir défendre sa mère, l’époque était épouvantable pour le peuple russe, notamment avec la grande famine de 1921-22, en attendant la suite…

(3) Natacha est le diminutif de Natalia – Nathalie

(4) Début de l’opération Barbarossa 22 juin 1941

(5) http://http ://fr.wikipedia.org/wiki/Sergue%C3%AF_Korolev

(6) cf. le supplice de St Adrien de Nicomédie et de son épouse Ste Nathalie: http://fr.wikipedia.org/wiki/Adrien_de_Nicom%C3%A9die

(7) Dans les églises d’Orient titre honorifique accordé au supérieur d’un monastère ou au curé (ou pope) d’une paroisse importante