Le septennat de Benoît XVI

C'est vrai qu'il a maintenant sept ans derrière lui à la tête de l'Eglise, mais le choix du mot n'est pas très heureux, il évoque trop la république... Le dossier mi-figue mi-raisin de la revue "Le spectacle du monde"[1]... avec les contributions de Plunkett et Levillain (21/12/2012)

Addendum

J'avais à peine achevé cet article que le Saint-Père délivrait son Discours annuel à la Curie Romaine.
Un discours incroyablement énergique (et très habile) dédié en grande partie à la famille, et adressé, je n'en doute pas, spécialement à la France.
En attendant de voir le texte écrit...
Mais il confirme mon impression que le "dossier" du Spectacle du Monde est largement à côté de la plaque...

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Mon regard a été attiré à la vitrine d'un kiosque par cette belle photo d'un Benoît XVI souriant; c'est trop rare pour passer à côté et je n'ai pas résisté.
J'ai donc dépensé huit euros, et j'ai pu lire au calme (plutôt que le feuilleter sur place, ce que j'aurais pu faire) plusieurs pages du dossier en question - tout ne m'intéresse pas, c'est le cas en particulier de l'article sur les évangéliques et autres "mutants" de la religiosité: il n'a pas de rapport direct avec Benoît XVI, et on se demande ce qu'il fait là, à part étoffer un dossier au final maigrelet.
Les articles sont signés Patrice de Plunkett et Jacques de Guillebon, auxquels on peut joindre une interviewe de Philippe Levillain. Mes lecteurs savent que je ne suis pas spécialement fan, mais on peut aussi penser que je suis de mauvaise foi. Pourquoi pas? Je connais tellement le sujet, et je me sens si concernée, que je suis très, ou trop exigeante.
Et à lire les articles, j'avais l'impression que l'on parlait d'une autre personne que celle que je suis au jour le jour depuis sept ans et demi - estimable, certes, mais différente.
Un non initié qui lit les articles voit en effet dresser un portrait très favorable du Saint-Père, et nous ne devons pas bouder notre plaisir sur ce point.
Mais, ce portrait est-il vraiment celui de Benoît XVI? Ou bien est-celui que les auteurs voudraient faire passer pour tel auprès de leurs lecteurs, pour légitimer leurs propres idées? J'aurais tendance à opter pour la seconde option. Ce qui me met la puce à l'oreille, c'est que nulle part dans ce portrait, il n'est question de la laïcité (avec son expression française spécifique), ni de la défense de la vie et de la famille (si attaquées en ce moment en France!!) qui sont pourtant indéniablement parmi les marques les plus fortes de ce Pontificat. Ils ne se passe pas de semaine que le Saint-Père ne les évoque dans un discours, un message, une lettre, une homélie... A comparer à ses quelques interventions sur l'environnement, la plupart du temps incluses dans une réflexion bien plus large, sur l'écologie intégrale, dont fait partie le respect de la vie humaine.

Le premier article (qui contient par ailleurs de très belles paroles) [2] reprend le titre du livre de Bernard Lecomte: le dernier Pape européen.
L'entretien avec Philippe Levillain (lui non plus pas avare d'éloges, bien qu'il soit l'homme qui a déjà prétendu que Benoît XVI avait été élu sur les huées) se termine par l'espoir de la convocation d'un Vatican III !! (cf. ici et ici)

Jacques de Guillebon dans son article revient sur l'élévation de Hildegarde de Bingen au rang de docteur de l'Eglise - qu'il avait salué en son temps, dans Témoignage Chrétien (!), à l'instar de la nomination de Mgr Müller à la tête de la CDF, comme une preuve du caractère "révolutionnaire" de Benoît XVI.... Cette fois, c'est pour souligner que "cette décision éclaire la spiritualité de Benoît XVI, indissociable de sa fibre écologique"!! Je note cette anecdote, reprise de TC, destinée à prouver les oeillères des vieilles barbes cléricales (et s'il existe des preuves, qu'il les donne!): "... elle ne répugne pas à évoquer par le menu la nature physiologique de l'orgasme féminin. Mais en butte à la fureur de son évêque qu'une telle liberté de ton indispose...", etc. Je doute que ce soit la raison qui a fait d'elle un Docteur de l'Eglise.

Je garde Patrice de Plunkett (brièvement) pour la fin. Il se taille la part du lion avec deux articles auxquels on ne peut rien trouver à redire pour leur bienveillance envers le Saint-Père, mais où il ressasse les obsessions que les lecteurs de son blogue connaissent (trop) bien: dans le premier, la manie de vouloir faire passer lui aussi le Pape pour un écolo - allant jusqu'à citer le célèbre discours au Bundestag, en septembre 2011, sans percevoir le moins du monde la nuance d'humour de Benoît XVI, se moquant gentiment des verts, qui, au mépris de la simple bonne éducation, avaient massivemend boycotté sa visite au Parlement -.
L'autre article, "Rome-Ecône: le grand quiproquo", énumère, pour s'en réjouir, toutes les raisons pour lesquels les "intégristes" n'accepteront jamais de revenir en communion avec le Saint-Siège. On sait qu'il leur voue une hostilité tenace, pour rester dans la litote.
Tout cela sent l'amateurisme et le peu de soin dans la préparation du matériel.
Un exemple éclairant: Plunkett confond Mgr Gerhard Ludwig Müller (dont il prétend souvent prendre la "défense" dans son blogue au prétexte qu'il n'aime pas - et c'est réciproque - les lefebvristes, et qu'il est ami d'un théologien proche des idées de la Théologie de la libération) , ex-évêque du petit diocèse de Ratisbonne, et curateur des oeuvres complètes de Joseph Ratzinger, devenu cette année préfet de la CDF, et Reinhard Marx, dont on dit qu'il a été associé à la rédaction de Caritas in veritate, depuis 2007 archevêque du très prestigieux Siège de Münich-Freising, et que Benoît XVI a créé cardinal en 2010!!!

En conclusion: oui, on peut acheter le dossier du Spectacle du Monde, et même le lire sans bouder son plaisir pour certains passages, mais en gardant son esprit critique bien aiguisé!

Notes

[1] Cf. la liste des collaborateurs: fr.wikipedia.org/wiki/Le_Spectacle_du_Monde
La revue est publiée par le même groupe que "Valeurs Actuelles".

[2] Voici le dernier paragraphe... dont la dernière phrase gâche un peu l'ensemble!

C'est peut-être le génie singulier de l'Eglise que de s'être donnée pour pape un homme tel que lui, attaché à l'unité et à la pluralité de l'Eglise, produit d'une haute culture, que tout éloigne des modes tapageuses et dont la présence au monde est musi­cale, lui qui ne conçoit pas l'existence sans Mozart. Une paix sereine habite sa pensée, en dépit d'un pessimisme tout augustinien. Heureux les doux, car ils hériteront la terre. Tous ceux qui l'ont rencon­tré le confirment : émane de lui une aménité sans pareille. Il s'adresse aux foules ex cathedra avec une douceur évangélique; intransigeant sur le dogme, mais ouvert au dialogue ; soucieux de l'éminence de la fonction et d'une discrétion quasi monacale. .
Peut-être le dernier pape européen !


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>>> A propos de Mgr Müller, Plunkett cite l'interviewe de la Bayerische Rundfunk, qui avait été traduite en français sur ce site, ainsi que la longue interviewe par Edward Pentin: http://benoit-et-moi.fr/2012(III)/fts.php?criteria=Rundfunk+&x=12&y=11