Quand les medias veulent surprendre...

au lieu d' enseigner, et sont pris au piège de leur superficialité. D'où le hiatus profond avec le Saint-Père. Réflexion d'un lecteur, C.J, qui part de la récente programmation de France 3 (l'ombre d'un doute), et du livre sur l'Enfance de Jésus (29/12/2012)

     

Vous avez raison de dire ce que vous dites dans l’article « Ne laissons pas le pape seul», Monique a également raison de s’indigner au sujet d’émissions, comme celle de France 3 (cf. Qui était Jésus (suite)), concernant l’historicité de Noël.
Vos deux prises de position sont complémentaires et bien au-delà du thème commun de « l’oubli » du pape et de ses ouvrages, elles mettent le doigt sur les manquements d’un système médiatique qui ne cesse de dériver au rythme des ruptures qu’il cultive mais en sciant la branche sur laquelle il est assis.

De fait, ces « oublis » me semblent caractéristiques d’une société vouée à la consommation et qui a besoin d’un vernis de culture pour légitimer ce qu’elle fait, et dont les élites et autres rouages médiatiques ne cessent de rompre avec ce qui n’alimente pas le système et son vernis : donc, quand on ne dénigre pas ce qui n’alimente pas le système, on « l’oublie ». Ceci vaut pour un ensemble fort hétéroclite de personnes et de choses, par exemple le pape, mais aussi les pauvres, les malades, la persévérance, l’esprit critique etc. A vrai dire, la machine me semble « utiliser » et « oublier » alternativement à peu près tout le monde.

L’émission de France 3 exprime tous ces problèmes, et pas seulement lorsqu’il s’agit de l’Histoire de Jésus.
J’ai observé que, sur bien d’autres sujets, et souvent plus faciles à traiter, en Histoire médiévale, moderne ou contemporaine, elle donne un récit apparemment exact quant à la chronologie mais dans une méconnaissance de l’arrière-plan culturel qui fausse automatiquement le contenu de l’émission.
Par exemple dans tel programme sur l’élimination des Templiers, où les explications à donner reposent sur la manière dont le roi de France entendait alors exercer son pouvoir, le vocabulaire concernant ce pouvoir était pauvre, jamais expliqué et souvent anachronique avec la répétition du qualificatif « absolu » qui caractérise une forme de monarchie théorisée puis mise en œuvre bien plus tard. Quant à évoquer, même très simplement, les heurs et malheurs de la construction de l’Etat : rien ou à peu près… comme si l’Etat était né et avait grandi en toute quiétude, intervenant comme un Zorro de l’Histoire, de France en l’occurrence.
Tout cela parce que la problématique de l’émission n’est pas d’apprendre, d’instruire, mais de surprendre : le vernis flou qui recouvre l’esprit du téléspectateur au départ (il a vaguement entendu parler du sujet) est remplacé par un autre vernis, très flou, à la sortie, mais cela marche parce que cela surprend.
Souvent la surprise n’en est pas une pour qui se tient un minimum au courant, je me souviens d’une émission de F. de Closets, il y a une vingtaine d’années, qui présentait comme inouïes des informations dont Daniel Rops avait fait la synthèse près de trente ans auparavant dans des ouvrages sur le peuple d’Israël et sur Jésus !
N’empêche que j’ai pu souvent vérifier combien tout cela fait mouche, même si je pense que le système commence à s’user, parce que « surprendre » demande beaucoup d’imagination, laquelle commence à coûter trop cher aux concepteurs de programmes, et parce que des spectateurs réguliers de telles émissions me le disent tout en me demandant mon avis. En prenant des exemples, je leur fais remarquer que, dans les émissions de ce type, on abuse de termes comme « scientifique » ou « historique », et de grands principes comme celui de « critique », parce que ça fait sérieux, mais il suffit de les regarder pour voir, qu’en fait, ces émissions « oublient » à peu près tout ce que peuvent signifier ces termes et principes, et légitiment ainsi l’idée hautement contestable qu’être surpris équivaut à réfléchir.
Par ailleurs je me demande toujours ce que peuvent bien penser les quelques invités que j’estime sérieux quand ils voient ce qui reste de leurs interventions dans une heure d’émission où cascadent naïvetés, anachronismes, jugements péremptoires et téléologiques énoncés par des experts qui n’en sont pas, il suffit de nommer M. Messadié dont les œuvres sont à la méthode historique ce que le vélo-cross est à la philosophie.
En vertu de la problématique du « surprendre », un même auteur de valeur peut, en outre, « subir » un traitement fort différent suivant le thème de l’émission, c’est le cas de Jean-Christian Petitfils qui fut « utilisé » dans l’émission de France 3, le jour où elle évoqua « l’Affaire des Poisons » mais « oublié » au sujet de Jésus ; on peut d’ailleurs être « oublié » tout en étant cité, il suffit que les concepteurs du programme placent l’intervention de manière à la vider de sa signification, comme le fit si adroitement la série « Corpus Christi ». Enfin je dirai qu’en rhétorique classique, voir Cicéron et autres auteurs, y compris saint Augustin, « surprendre » est un « truc » admis au début de l’introduction d’un discours ; si l’on considère ce repère classique, on comprend que ces émissions en restent la plupart du temps au début de l’introduction du sujet qu’elles prétendent traiter donc que, dans leur composition comme dans leur diffusion, elles assument parfaitement la fonction de vernis culturel que le système leur assigne.

J’en admire d’autant plus le Pape, ses ouvrages sur Jésus, sa persévérance face à un système qu’il a fort bien analysé et que seuls de gros naïfs (notamment catholiques) ou de grands malintentionnés (pas seulement à l’égard de Benoît XVI mais aussi envers tout le public à qui ces malintentionnés font gober un tas de choses) prétendent qu’il ne comprend pas.
En effet, si on replace la parution de ces ouvrages dans le contexte général que permet d’esquisser la description du fonctionnement d’émissions comme celle de France 3, on comprend d’autant mieux la pertinence des interventions de Benoît XVI grâce à ces ouvrages-là qui, non seulement traitent d’Histoire, mais aussi et surtout entendent montrer en quoi l’étude de l’Histoire s’articule avec l’intelligence de la Foi.
Là où le spectateur sort de telle émission avec l’idée confuse qu’on ne sait rien de vrai concernant Jésus, confusion liée à une surprise, par exemple celle que le spectateur a ressentie en entendant dire que, chronologiquement parlant, Jésus n’est pas né un vingt-cinq décembre, le pape rappelle comment la critique la plus avertie peut vraiment parler de la naissance de Jésus et que c’est fabriquer un faux problème en refusant de voir tout ce qu’on sait de Jésus, tout cela sous prétexte qu’on ne maîtrise pas tous les mécanismes de la conception du calendrier: c’est comme si un explorateur se mettait à transpirer au pôle nord sous prétexte que le thermomètre qu’il y a apporté s’est cassé et indique +40° ; le Pape rappelle aussi que la conception du calendrier et le choix du vingt-cinq décembre, trouvent leur cohérence dans l’intelligence de la Foi, laquelle s’articule avec l’étude de l’Histoire mais ne se confond pas avec elle parce que l’intelligence de la Foi n’est pas enfermée dans le passé comme l’est nécessairement l’Histoire (ceci étant très vite dit) mais s’adresse à Jésus-Christ vivant aujourd’hui et pour les siècles sans fin.
Ainsi le vingt-cinq décembre, dans le choix du jour comme dans les pratiques chrétiennes qui lui sont liées, fait mémoire d’un véritable événement mais pas jour pour jour ni en reconstituant un accouchement d’il y a deux mille et quelques années, il fait mémoire d’un événement en rappelant, par les pratiques qui lui sont liées, en quoi tout cela dit aujourd’hui l’importance des croyants pour Jésus-Christ et l’importance de Jésus-Christ vivant pour les croyants.
Toutes choses dont se fichent les concepteurs d’émissions télévisées qui préfèrent « surprendre » et, à la limite, on n’aurait rien à leur reprocher puisque tout le monde est libre de dire des bêtises sauf que, ce faisant, ils dénigrent la Foi et s’expriment comme si les croyants étaient forcément des sots qui gobent des fables.

Le comble est que les concepteurs d’émissions télévisées se comportent en parfaits fondamentalistes puisqu’ils confondent allègrement l’étude de l’Histoire et l’intelligence de la Foi en composant leurs émissions avec le préjugé suivant lequel si on parle sérieusement de Jésus on risque d’être identifié comme un croyant, alors, pour ne pas être identifié à des croyants, ils se fabriquent un faux esprit critique, qui est en fait un esprit de contradiction souvent doublé d’un esprit de persiflage, et ils mettent donc prioritairement en valeur tout ce qui semble contredire et/ou dénigrer la Foi.
Le pape Benoît XVI a très bien compris que c’est ce faux esprit critique qui perturbe beaucoup de croyants depuis des années, et que, hélas, beaucoup de membres du clergé et autres responsables dans l’Eglise, par exemple dans la presse ou l’édition catholiques, ne semblent pas en avoir pris conscience. Benoît XVI fait donc, dans ce domaine comme dans tant d’autres domaines, un travail de base sur la base de la raison, travail qui aurait pu ou aurait dû être fait par beaucoup d’autres, sur le terrain, depuis des années ; le pape affronte ainsi beaucoup de nullité avec une persévérance admirable et communicative… à tel point que certains médias ont commencé à prendre en considération les ouvrages du pape dont ils ne parlent pourtant pas ou pas bien et, même si c’est encore d’une manière très superficielle, les discussions au sujet du vingt-cinq décembre amènent les uns et les autres à remettre les pendules à l’heure : ils commencent à s’apercevoir que fêter un anniversaire ne correspond pas à la reconstitution d’une naissance, que l’anniversaire sera plus réussi si l’on apporte un gâteau et des bougies plutôt que de mimer un accouchement en coupant un cordon ombilical sanguinolent, que la date de la fête d’anniversaire est parfois décalée par rapport à la date de naissance pour permettre à mamie d’être là, à tonton d’être rentré de voyage etc. et que tout cela ne nuit en rien à la réalité de la naissance de celui dont on fête l’anniversaire mais revient à la mettre en valeur l’événement et la personne... toutes choses rationnelles qu’un petit enfant peut parfaitement comprendre mais que des experts en confusions surprenantes sont surpris d’apprendre de Benoît XVI lui-même. Ils sont ainsi pris à leur propre piège, signe, à mon sens, du fait que le piège est usé.

Dans son admirable persévérance, Benoît XVI sait que ce sera long, il privilégie d’une manière générale ce qui s’inscrit dans le temps long des continuités, au service de Jésus-Christ toujours vivant et vrai, par rapport au temps court de «l’événementiel» et des ruptures surprenantes, au service de la consommation auto-légitimée par un vernis de culture dont les médias sont le pinceau aux poils à gratter qui vont se clairsemant.


C.J.