Quand Paul VI s'en prenait aux médias
Angela Ambrogetti, comme toujours remarquable, a retrouvé des propos prononcées a bracio en 1971, lors d'une audience générale, où le Pape dénonçait durement la responsabilité des medias dans la (dé)formation de l'opinion. Des propos qui nous semblent prophétiques, et qui pourraient fort bien être dans la bouche de Benoît aujourd'hui (28/8/2012)
Article en italien (et illustration) ici: www.korazym.org
Ma traduction.
>>> Voir aussi: La prophétie de Paul VI
1971: le Pape contre les manipulations des médias
Angela Ambrogetti
Lundi 27 Août 2012
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Les médias créent ce qu'ils décrivent. En fait, les médias ne devraient pas créer, mais décrire. Au besoin, ils devaient créer, ou plutôt, former, l'opinion publique (ndt: c'est malheureusement ce qu'ils font, mais pas dans le sens souhaité par Angela). Mais plus le systèmes médiatique évolue, plus les nouvelles sont construites et finalement conduisent le lecteur ou l'auditeur à «faire et à penser ce que les médias nous racontent». Même si ce n'est pas vrai.
Un vieux mal, celui de «brouiller les pistes», qui a suscité la critique du pape Paul VI lui-même, fils de journaliste.
C'était en 1971, une autre époque, vraiment. Une émission de la Rai, une interviewe croisée du cardinal Jean Daniélou et du père Ernesto Balducci (ndt: pour faire court: prêtre de gauche). Un débat on ne peut plus post-conciliaire, mais aussi très actuel: le «contraste» entre l'Eglise-appareil et l'Eglise des pauvres. L'émission était réalisée en prévision du Synode des Évêques, qui s'était ouvert le 30 septembre par une messe dans la chapelle Sixtine, et qui avait pour thème Justice dans le monde et Sacerdoce Ministériel; mais de ce thème, il a été peu question. Ce sont les positions de Balducci et Daniélou qui se sont taillées la part du lion.
Le cardinal français était du côté de l'Église institutionnelle et le Père mettait en cause l'Eglise éloignée des opprimés, ne s'ouvrant pas à la justice et ne recherchant pas la paix. Balducci généralisait sans prendre en compte le travail de nombreux prêtres, religieux et évêques, et le cardinal semblait peu en mesure de répondre. Les journaux de l'époque reprirent non pas tant l'événement télévisuel, mais la réaction du pape Paul VI.
Le lendemain, en effet, le pape tenait l'audience générale. C'était le 29 Septembre et le thème préparé pour la réflexion que le Pape proposait aux fidèles était justement la façon dont l'Église était communément considérée dans ses aspects «négatifs» plutôt que pour ce qu'elle est vraiment. Une réflexion qui, quelques années après le Concile, était destinée à populariser le contenu de Lumen Gentium. La réaction du pape, qui avait apparemment suivi la transmission et la regrettable confrontation, fut inhabituellement directe.
A un certain moment il quitta le texte écrit et «a braccio», il dit: «Hier soir encore, à la télévision italienne - disons-le quand même - il y a eu de terribles attaques contre l'Eglise, pourquoi elle est constituée ainsi, pourquoi elle est construite ainsi. Que n'est-il pas entré dans l'âme et le cerveau de beaucoup de personnes, pourtant bonnes et honnêtes, en entendant retourner en critiques tous les biens qu'ils ont reçus de l'Église institutionnelle? S'il n'y avait pas cette Église du Christ ainsi constituée, qu'en serait-il aujourd'hui de tant d'âmes?».
Puis il a repris son texte. Un texte qui, à le relire aujourd'hui, au-delà du style assez difficile, semble extrêmement actuel. Le Pape s'adresse aux pèlerins qui viennent sur la tombe de saint Pierre, qui cherchent «une impression sensible et en même temps spirituelle, de ce point central de l'Eglise» et tentent de «jouir des aspects positifs de l'Eglise, alors qu'aujourd'hui, par une déformation presque devenue habituelle, et brandie comme une supériorité de l'esprit moderne, nous voyons tant de gens disposés à reconnaître les aspects négatifs de celle-ci, ou du moins réputés tels, de sorte qu'on voit chez de nombreux observateurs de l'Eglise une tendance critique, indifférente à la réalité ecclésiale, qui, avec le prétexte de s'orienter vers une Eglise idéale, prend en grippe tout contact positif avec l'Eglise comme elle est. (...) Ils voudraient une Eglise purement spirituelle qui se glisse facilement dans leurs propres schémas de pensée. On voit se répandre cet état d'esprit critique, contestataire, insatiable, et, finalement, décadent, dépourvu d'admiration, d'enthousiasme, d'amour, et donc de joie et de sacrifice».
Dans le texte officiel, les propos «a braccio» ne figurent pas, on les retrouve en revanche dans les journaux des jours suivants. Mais il est clair que la question tenait beaucoup à cœur au Pape, qui était très déçu de voir que les médias, à l'époque la RAI-TV, contribuaient d'une certaine façon à la confusion des idées. Certains commentateurs ont vu dans ce geste du pape une «crise de nerfs», tandis que d'autres ont critiqué durement l'émission, disant que le pape «ne pouvait qu'agir de cette façon».
A relire ces pages d'il y a 41 ans, il semble évident que de nombreux sujets de débat de l'Église catholique sont loin d'être résolus. Mais aussi que souvent, la façon des médias de raconter l'Eglise est entièrement tendu vers la polémique, au point, en fait, de créer ce qu'ils décrivent.
Et la question que nous pouvons nous poser aujourd'hui est la même que Paul VI: que se passe-t-il dans le cœur et la tête des gens bons et honnêtes qui entendent parler uniquement de mal et de corruption au sein de l'Eglise? Qu'est-ce qui se déclenche dans l'esprit de ceux qui, comme Paolo Gabriele, à la lecture de certains éditoriaux, à la fin se laissent conditionner, et pensent: «En voyant le mal et la corruption partout dans l'Eglise ... j'étais sûr qu'un choc, même médiatique, pourrait être slutaire pour faire revenir l'Eglise dans la bonne voie» ?