Sentiment de culpabilité

(reprise). ou comment l'Occident pratique l'auto-dénigrement, laissant le champ libre aux attaques de ses ennemis. Une page d'un livre de Vittorio Messori datant de 1992, d'une étonnante actualité. (24/7/2012)

C'est un passage d'un livre de Vittorio Messori paru en 1992, "Pensare la storia. Una lettura cattolica dell'avventura umana", apparemment pas traduit en français;
Je l'avais traduit en octobre 2008.
Vittorio Messori relate ici une rencontre personnelle avec l'écrivain belge Leo Moulin .
Son pessimisme nous fait penser aux avertissements du Saint-Père: l'Occident prend congé de lui-même, et, oublieux de son histoire, il se prête complaisament à toutes les calomnies. Pire, il les accompagne, et parfois même les suscite..

Sensi di colpa
(Sentiments de culpabilité)
("Pensare la storia", 1992, Vittorio Messori)
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Léo Moulin, depuis un demi siècle professeur d'histoire et de sociologie à l'université de Bruxelles, auteur de dizaines de livres rigoureux et fascinants, est parmi les intellectuels les plus prestigieux d'Europe. Il est peut-être le plus grand spécialiste des Ordres religieux médiévaux, peu comme lui ont admiré la sagesse de ces moines. Pourtant, s'il s'est éloigné des loges maçonniques, où il a milité (« Souvent - me dit-il - s'affilier est une condition indispensable pour faire carrière dans les universités, dans les journaux, dans les maisons d'édition : l'aide mutuelle entre les « frères maçons » n'est pas un mythe, c'est une réalité encore actuelle »), il est resté un laïque, un rationaliste, d'un agnosticisme qui confine à l'athéisme.

Moulin me recommande de répéter aux croyants sa conviction, mûrie au cours d'une vie d'étude et d'expérience :
« Croyez-en un vieil incrédule qui s'y connaît: le chef-d'oeuvre de la propagande antichrétienne est d'avoir réussi à créer chez les chrétiens, chez les catholiques surtout, une mauvaise conscience ; à leur instiller l'embarras, sinon la honte, pour leur histoire À force d'insister, de la Réforme jusqu'à aujourd'hui, ils ont réussi à vous convaincre que vous étiez les responsables de tous ou presque tous les maux du monde. Ils vous ont paralysés dans l'autocritique masochiste, pour neutraliser la critique de ceux qui ont pris votre place ».

Féministes, homosexuels, tiers-mondialistes et tiersmondistes, pacifistes, représentants de toutes les minorités, contestataires et mécontents de tous poils, scientifiques, humanistes, philosophes, écologistes, animalistes, moralistes laïques : « Vous avez laissé chacun d'eux vous présenter la note, souvent truquée, presque sans discuter. Il n'y a pas de problème ou d'erreur ou de souffrance de l'histoire qui n'aient été portée à votre débit. Et vous, souvent ignorants de votre passé, avez fini pour les croire, peut-être par leur donner main forte. Moi, au contraire (agnostique, mais historien qui cherche à être objectif) je vous dis que vous devez réagir, au nom de la vérité. Souvent, en effet, ce n'est pas vrai. Et si parfois il y a du vrai, il est aussi vrai que, dans un bilan de vingt siècles de christianisme, les lumières prévalent de loin sur les ombres. Et puis: pourquoi ne pas demander à votre tour des comptes à ceux qui vous présentent ainsi les leurs ? Auraient-ils été meilleurs, par hasard, les résultats qu'eux-mêmes ont obtenu par la suite ? C'est vraiment l'hopital qui se moque de la charité !».
Il me parle de ce Moyen âge que, depuis toujours, il fréquente comme chercheur: « Ce honteux mensonge des « siècles obscurs », parce qu'inspirés de la foi de l'Évangile ! Pourquoi, alors, tout ce qui reste de ces temps est-il à ce point beauté fascinante et sagesse? La loi de cause à effet vaut aussi en l'histoire...».

Je pensais à l'historien Bruxellois en voiture, un matin quelconque, en traversant la banlieue milanaise. Ici, comme dans chaque périphérie urbaine, un Dante contemporain pourrait acclimater quelques cercles de son enfer : bruits assourdissants, odeurs méphitiques, accumulations de déchets et d'ordures, eaux croupies, trottoirs encombrés de voitures parquées, cafards et rats, béton devenu fou (aujourd'hui, on ajouterait murs taggés, ndt). Partout, on ressent la colère et la haine de tous contre tous : automobilistes contre routiers, piétons contre motorisés, acheteurs contre vendeurs, nordiques contre méridionaux, italiens contre étrangers, ouvriers contre maîtres, enfants contre parents. La dégradation est dans les coeurs, avant même d'être dans l'environnement.

Et finalement le but, le grand monastère, l'antique maison religieuse. Libéré avec soulagement de la voiture, je franchis le portail. De coup, le monde change autour de moi. La grande cour séculaire, fermée sur quatre côtés par des arcades qui placent l'esprit en harmonie avec elles. Silence, beauté des peintures à fresque, rythme de l'architecture, fraîcheur de l'ombre. Au-delà de la cour, un vaste jardin, dernière plage dont les arbres servent de refuge à ce qui survit et vole encore dans la terre désolée tout autour. Dans l'accueil, ensuite, des religieux on sent que ce sont des gens qui - malgré tout - cherchent à aimer, qui croient qu'aimer est encore possible.

Avec un mélange d'ironie et d'angoisse, je pense aux vengeances de l'histoire au cours des deux derniers siècles, peuplés de gens différents mais unis dans la fureur de supprimer les signes chrétiens, à commencer par les congrégations religieuses ; du besoin de détruire, avec elles leurs lieux de paix et de beauté, vus comme repères immondes d'obscurantisme, obstacles anachroniques sur la route pour édifier un « monde nouveau » rêvé.

A présent, les voilà, les fruits des lendemains radieux promis, au-delà du mur qui délimite le jardin. Au nom de l'humanité, jamais monde ne fut rendu plus inhumain. Les attentes se sont retournées: la réalité et l'espoir d'un monde plus vivable continent à résister - mais pour combien de temps ? - dans ces lambeaux religieux, survivant (par miracle, par hasard, par l'obstination des chrétiens qui reviennent après chaque suppression) à la fureur des « éclairés ». Dont, maintenant, les enfants et les petits-enfants se réfugient aussi ici, à regretter ce qui a été perdu. Et à se réjouir que quelque chose ait été sauvé de la rage des destructeurs.

Si c'est au fruit qu'on reconnaît l'arbre, il y a peut-être quelque conséquence à en tirer, y compris pour suivre l'avertissement aux croyants de Moulin, le vieil historien agnostique : « cause et effet… ». Nos squelettes dans l'armoire nous les avons nous aussi ; et gare à nous, si nous faisons comme si de rien n'était. .. Mais regardons autour de nous, sans être ainsi honteux et timorés. Il n'y a pas de charité possible sans vérité ; sur nous et sur les autres.