Vacances de Papes et d'Eminences

Un article de Paolo Rodari ... et d'autres choses (8/8/2012)

Qui dit vacances du Pape pense immédiatement à une multitude d'images glanées depuis 7 ans, et dont j'ai rassemblé pêle-mêle quelques unes ici.

Période estivale (donc creuse) oblige, Paolo Rodari a compilé pour les lecteurs de son journal, Il Foglio (qui ne sont pas forcément des suiveurs assidus de l'actualité du Vatican) des anecdotes dont beaucoup sont déjà connues et peuvent passer pour des lieux communs. Les allergiques aux "petites nouvelles" peuvent zapper... mais ils pourront aussi découvrir une histoire savoureuse et inédite sur Pie XII, et une autre sur ce cardinal qui passe ses vacances comme... remplaçant d'un curé!.
Au moment où les medias français nous informent avec le plus grand respect que nos ministres de Socialie vont passer leurs vacances "studieuses" dans des masures très près de Paris, où ils se sont rendus en train (j'exagère à peine), et en gardant toujours leur téléphone portable à portée de main, on ne sera pas surpris d'apprendre que les "éminences" (suivant en cela l'exemple de Benoît XVI) font de même.
Mais ont-ils jamais fait autre chose?
Il est question dans cet article de prélats et de lieux en Italie pas forcément connus chez nous. Je me suis abstenue de mettre des liens explicatifs, laissant les lecteurs intéressés faire leurs propres recherches.

En préambule, ces lignes issues du livre de Vittorio Messori "Entretiens sur la foi".

Certains pensent peut-être encore aux membres du Sacré Collège, aux Cardinaux de la Sainte Église Romaine comme à des princes qui, l'été, se déplacent de leur fastueux palais de Rome pour aller en villégiature dans quelque lieu de délices.
Pour Son Éminence Joseph Ratzinger, le Cardinal Préfet, la réalité est bien différente. Les très peu de jours où il parvient à s'arracher à la Rome caniculaire, il les passe dans cette vallée peu fraîche de Bressanone. Là, il n'habite pas quelque villa ou un hôtel, mais loge au séminaire, qui loue à prix modique quelques chambres : le diocèse en tire un petit revenu pour subvenir à l'entretien des étudiants en théologie.
Dans les corridors et le réfectoire du vieil édifice baroque, on rencontre des ecclésiastiques âgés, attirés en ce modeste lieu de villégiature par les prix de pension peu élevés ; on croise des groupes de pèlerins allemands et autrichiens qui font étape dans leur voyage vers le Sud.
Le Cardinal Ratzinger habite là, il prend les simples repas préparés par les Soeurs tyroliennes, assis à la même table que les prêtres en vacances ; tout seul, sans le secrétaire allemand qui l'aide à Rome, en la compagnie temporaire de personnes de sa connaissance qui viennent le voir depuis la Bavière proche.
(Entretien sur la foi, pages 8-9)

 

Cardinal holidays (Paolo Rodari)

Texte en italien
Le mot d'ordre pour les prélats et les monsignori en vacances est l'austérité. Ratzinger à «Castel» travaille, et fait école.
L'ère Wojtyla est maintenant terminée
6 août 2012 -
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La longue soutane noire filetée de rouge reste dans l'armoire, suspendue sur des cintres du XIXe siècle, prête pour un nouveau commencement, le travail ordinaire, qui reprend généralement après la fête de l'Assomption, c'est à dire après la mi-Août.

Aujourd'hui, pour les Cardinaux de la Sainte Eglise romaine aussi, c'est le temps des vacances: clergyman sur pantalon sombre, c'est bien d'avoir une tenue décontractée, mais pas trop. Bien sûr, il y a ceux qui osent plus, surtout après les années ébouriffantes du pontificat de Karol Wojtyla.

C'est Jean-Paul II qui banalisa le look montagnard, y compris pour les cardinaux: chemise à carreaux, pantalons bouffants et chaussures à clous. Un look effarant pour les monsignori qui avaient eu du mal à s'habituer au chahut post-conciliaire, mais une tenue qui a fait école à tel point qu'aujourd'hui encore, on trouve des princes de l'Eglise de passage dans les montagnes italiennes, qui prennent le risque de l'endosser.

Bien sûr, les temps ont changé. Les années quatre-vingt, années d'agapes, pas seulement à Milan, années de champagne comme jamais, sont un lointain souvenir, même derrière les murs léonins. Les années Wojtyla étaient un événement, jours pétillants d'années festives.

Les journalistes lui faisaient la chasse partout où il s'échappait et improvisait. Joaquín Navarro-Valls, son porte-parole, construisait une légende: le Pape salue une vache? Voilà que l'on appelle les journalistes pour le photographier, le filmer, aider à créer une certaine image de l'homme vêtu de blanc. En bref: c'étaient des années d'abondance, dans tous les sens du terme, y compris papal. Et les cardinaux, les évêques et les monsignori qui en quelque sorte s'adaptaient: cela ne surprenait personne que ce banquier de Dieu, Paul Casimir Marcinkus, organise ses vacances loin du Vatican et se déplace comme un ministre ou le dirigeant d'une grande entreprise, hommes et surtout moyens à sa disposition.

Cette année, au contraire, la règle d'or est autre: austérité. Les cardinaux en vacances savent que pour eux aussi 'mala tempora currunt'. Les caisses sont pleines, certes, mais pas comme avant.

Les salaires sont garantis, heureusement, mais les paroles prononcées le 16 février lors de la réunion des cardinaux consacrée au budget de 2012 par Mgr Lucio Ange Balda Vallejo, secrétaire de la Préfecture pour les Affaires économiques - il a parlé de «la nécessité de nouvelles réflexions et perspectives» sur les estimations des dépenses du Saint-Siège de cette année - ont donné le souffle court à plus d'un 'porporato'.

Alors, en route pour des vacances bon marché, plus sobres, dans le plus pur style Ratzinger. Et bien sûr, sans oublier d'emmener son porte-documents, parce qu'aujourd'hui, le travail ne doit jamais cesser. Le pape Benoît XVI a amené le sien à Castel Gandolfo. C'est un vieux sac en cuir noir dont il se servait déjà quand il était préfet du Saint-Office. Aujourd'hui encore, il l'emporte avec lui dès qu'il quitte son appartement, bien que cette année, il ait aussi un iPad que lui a offert Mgr Claudio Maria Celli, responsable de la communication. Il peut y télécharger les journaux italiens, ceux en anglais et surtout en allemand.

Mais il est difficile de dire si de cet iPad, il s'en sert vraiment. Le Professeur Ratzinger aime toujours le papier imprimé, des montagnes de livres sur les étagères en bois intégrées dans les murs de son appartement privé au troisième étage du Palais apostolique. Autre chose que les technologies numériques et les nouveautés, en somme. Au point que certaines personnes sont prêtes à jurer que cette année ils ont vu entrer dans la résidence d'été deux lourdes malles: les «coffres-forts» contenant les livres du Pontife. Et quant aux journaux, on pense aux photos qui ont été prises l'été dernier dans son bureau de Castel Gandolfo, le pape à sa table en bois feuilletant les pages de L'Osservatore Romano.

Que les temps aient changé, a aussi été confirmé par le directeur de l'Osservatore, Gian Maria Vian. Dans la Stampa, il a dit que «Benoît XVI profite de l'été pour se concentrer davantage sur les dossiers, réduisant au minimum les engagements publics et travaillant à ce qu'il considère comme son opus magnum: l'œuvre sur Jésus de Nazareth».

Ainsi, un «été laborieux» dans lequel le Souverain Pontife, précise Vian, «prépare les discours pour la visite apostolique au Liban et ceux pour le Synode ordinaire des évêques, qui, en Octobre précédera de quatre jours l'ouverture de l'année de la foi». Un événement convoqué «sur le modèle de son prédécesseur Giovanni Battista Montini, qui, pour le dix-neuvième centenaire du martyre des saints patrons de Rome, Pierre et Paul inaugura l'Année de la Foi qui prit fin avec la proclamation du Credo du Peuple de Dieu». Et puis - a dit tout récemment le Secrétaire d'État, le cardinal Tarcisio Bertone - une encyclique sur la foi pour compléter la trilogie des vertus en relation avec Dieu, théologales, justement. Mais pas seulement: les yeux sont aussi tournés vers le dossier Vatileaks: l'ancien camérier Paolo Gabriele sera sans doute bientôt renvoyé en jugement pour un procès que le Vatican veut rapide, mais sans aucune remise pour lui et d'éventuels complices.

Jusqu'à quel point le style actuel du Vatican est éloigné de l'ère Wojtyla, personne ne peut le dire. Le pape polonais n'aimait pas beaucoup le «castello», comme on appelle au Vatican la résidence papale sur les collines d'Albano. «Il s'ennuyait», confirme Bruno Bartoloni, vaticaniste de valeur et auteur du récent «Les oreilles du Vatican». «On lui avait offert une piscine, qui existe encore aujourd'hui dans les jardins du château. Il y nageait avec ses amis polonais. On dit qu'ils venaient nombreux, et même des familles entières. Rizzoli (ndt: l'éditeur) a réussi à se procurer quelques photos de lui flânant en maillot de bain. Ils les ont offert au Vatican qui les a achetées tout de suite pour on ne sait quelle somme. Personne n'a jamais vu les photos, mais elles existent quelque part, à moins que quelque Monsignore particulièrement scrupuleux ne les ait détruites».

Une chose est sûre: dans la piscine "Wojtyla", Ratzinger n'a jamais plongé. On l'a vu seulement, il y a deux étés, casquette de baseball blanche sur sa tête, vers un étang des jardins rempli de poissons rouges auxquels il a offert un peu de pain. Mais rien de plus.

« En le voyant ici , à Castello - dit aujourd'hui le doyen des Vaticanistes Benny Lay - il vient inévitablement à l'esprit Pie XII. Papa Pacelli aimait autant Castel Gandolfo que Papa Ratzinger. Un jour, il faisait une courte promenade en dehors des heures habituelles. Il entendit un sifflement prolongé dans le lointain, se pencha au-dessus d'un mur du jardin et vit, en dessous, un train. C'était la ligne qui reliait les collines à Rome et le train, peut-être en l'honneur du Pape, à chaque fois qu'il passait sous sa résidence, avait l'habitude de se faire entendre. Pie XII fut électrisé, au point que depuis ce jour-là, il voulut faire sa promenade toujours à cette même heure, et se diriger vers le muret. Il voulait voir passer «son» train. C'était son divertissement d'été. Les étés de Pacelli me rappellent beaucoup ceux de Ratzinger. Mais il faut dire que Wojtyla aussi, en vieillissant, a dû ralentir le rythme, même si je ne pense pas que Castel Gandolfo ait jamais été dans son cœur. "

Donc, Karol Wojtyla dans la piscine. Chose inhabituelle, même pour lui. Parce que plus que la natation, il aimait escalader. Il aimait les montagnes. Bien que quelques mois avant le 16 Octobre 1978, ce conclave qui le fit monter sur le trône de Pierre, il était encore dans l'eau. Où? A Palidoro, dans la localité de Passoscuro, un lieu peu fréquenté au nord de Rome, juste au-dessus de Fregene.

A l'endroit où les parasols sont de couleur blanche et jaune en l'honneur du Vatican et où une chapelle pour prier se trouve à quelques mètres de la plage, là où il y a quelques années fut photographié en maillot de bain l'archevêque actuel de Turin Cesare Nosiglia, Karol Wojtyla nageait, inconscient de ce qui allait bientôt lui arriver: en fait, l'élection. Mais une fois élu, il quitta la mer pour toujours.

Bartoloni dit: «Il a choisi les montagnes. Il aimait grimper, marcher, manger sur les plus hauts sommets une boîte de sardines avec un couteau de poche ... Un jour, on lui a offert des skis. L'artisan qui les lui remit lui demanda: Vous reviendrez bientôt pour faire du ski?». Il répondit: «Je prie chaque jour pour éviter les tentations». Mais ce n'étaient pas des tentations. C'était juste ce dont son esprit avait besoin. Il avait besoin de ces choses, de ces sorties, d'une certaine liberté. Nous les journalistes, nous pouvions lui parler sans difficulté particulière. Je me souviens des skis, je les avais pris. Je me dirigeai vers le remonte-pente, convaincu que je devais lui faire la politesse de les porter. Mais un garde m'appela et me dit: «Où pensez-vous aller avec les skis du Pape?» C'est lui qui les a pris et personne ne les a jamais revus. À mon avis, ils sont toujours là, propres et neufs, dans quelque sous-sol du Vatican».

Autres années, autres temps, autre pontificat. Mais la montagne est restée le but favori pour les hommes d'église. Même si, aujourd'hui a c'est la «ligne de Benoît XVI» qui a cours, vacances low cost, d'étude et même de travail. Une ligne qu'a faite sienne son secrétaire d'état Tarcisio Bertone, bien que la maison qu'il occupe durant l'été - Bertone loge pour quelques jours dans la «papale» Les Combes d'Introd, dans la maison qui a déjà accueilli non seulement Papa Ratzinger mais avant lui, Jean-Paul II - ait intégré un confort notable: il y a même une sorte d'ascenseur conçu pour transporter une personne, qui monte au premier étage, où se trouve la chambre où dort son éminence. Au même étage, une autre pièce, celle qui a hébergé à plusieurs reprises le secrétaire particulier du pape, et un petit bureau. En bas, la salle à manger, la cuisine et les chambres destinées à d'autres personne éventuellement au service du cardinal. Enfin, devant le chalet, un jardin avec un barbecue sous un grand parasol, qui donne directement sur les bois environnants. Que fait Bertone pendant les vacances? Le Secrétaire d'Etat répond: «Il ne manquera pas de suivre à distance les activités ordinaires du gouvernement de l'église, comme d'habitude, et il s'accordera, nous l'espérons, quelques promenades."

Les vacances du cardinal Gianfranco Ravasi, en revanche, sont généralement toujours consacrées à l'écriture. Un flot d'écrits sort de la maison avec jardin où il se retire pour se reposer près du lac de Côme. Non loin de sa ville natale, Milan, mais dans un diocèse «étranger», donc, Ravasi écrit, aidé par ses deux sœurs. Mais cet été il devra également penser au Pavillon avec lequel l'année prochaine pour la première fois le Vatican débarquera à la Biennale (de Venise ndt). Moins de dix artistes se mesureront aux onze premiers chapitres de la Genèse, la création et le couple, l'amour et la sauvegarde de la création, la chute du péché originel et le mal, la violence, le déluge, et enfin le pélerinage vers la foi d'Abraham. Ravasi est déjà au travail avec un comité scientifique composé du critique de l'Osservatore Romano Sandro Barbagallo, du directeur de la collection d'art contemporain des Musées du Vatican Micol Strong, du secrétaire de la Commission pontificale pour le patrimoine culturel de l'Eglise Francesco Buranelli et du Père Andrea Dall'Asta, Directeur de la Collection Lercaro de Bologne et de la Galleria San Fedele à Milan.

Ceux qui n'ont pas une maison, choisissent généralement de petits hôtels, des endroits retirés souvent proches de sanctuaires amis. Ainsi l'ancien préfet de la Congrégation pour les évêques, le cardinal Giovanni Battista Re, qui est au Val Camonica, le cardinal Achille Silvestrini, qui passera une partie des vacances en accompagnant, comme il le fait depuis des années, les enfants de la Villa Nazareth à Dobbiaco, le préfet du clergé, le cardinal Mauro Piacenza, qui a choisi pour seulement quelques jours, le haut Val di Non, là où il y a le sanctuaire de Notre-Dame de Senale. Tandis que le préfet de Cor Unum, le cardinal Robert Sarah de Guinée, a choisi le sud de l'Italie et précisément Padula, la petite ville de la grande Charttreuse, où, entre autres, est né son secrétaire particulier. En revanche, le Cardinal Fiorenzo Angelini, aujourd'hui 96 ans prendra comme chaque année l'avion pour le cœur de l'Afrique, vers Butembo, dans la République démocratique du Congo, dans une maison de religieuses bénédictines de la Sainte Face de notre Seigneur Jésus-Christ, une congrégation religieuse fondée par le serviteur de Dieu l'abbé Ildebrando Gregori, dont Angelini était un fils spirituel.

Un cas particulier est celui du cardinal Roberto Tucci. Napolitain, de mère anglicane, il a dirigé de 1985 à 2001 Radio Vatican, où il se rend encore, chaque matin, pour une visite de courtoisie. Tucci a toujours été en vacances dans une petite ville de Toscane. Pour quoi faire? Pour remplacer le curé. Un cardinal-prêtre pendant quelques jours, donc. Un choix pastoral qui plaît beaucoup aux fidèles.

En revanche, comme chaque année, le cardinal Angelo Sodano, ancien secrétaire d'Etat, retourne dans les Abruzzes. Son but est toujours le même: Rocca di Mezzo. Vacances de travail pour lui aussi: à midi, on dit qu'il déjà lu tous les journaux. Il loge dans une maison appelée «Casa dei Papi», une habitation à un étage que le l'évêque de Rocca, Vittorio Di Paola a donné au Vicariat de Rome. La maison regarde vers le Gran Sasso d'un côté et Rocca di Mezzo de l'autre. C'est en 2009 que Sodano a offert symboliquement cette maison à Benoît XVI. Il a dit: «Il y a les maisons des hommes, et puis il y a les églises, nombreuses et belles, des villes et des villages. Et puis il y a cette petite maison qui, si le Pape veut, sera un lieu de résidence pour de courtes périodes, comme Castel Gandolfo. Il faut s'y adapter, mais on y est bien».
Il faut s'adapter, comme le font la plupart des hommes d'église dans ces vacances modestes, de style Joseph Ratzinger.