La réception du Concile Vatican II

Un document exceptionnel: extrait d'un livre écrit par Joseph Ratzinger en 1982, aujourd'hui malheureusement indisponible - "On n'a pas le droit de présenter comme produit du concile tout ce qui a bouleversé l'Eglise en ces années" (11/10/2012)

Monique T m'écrit:

Ce document (Les principes de la théologie catholique: esquisse et matériaux) peut-il être porté à la connaissance de ceux qui ne l'ont pas lu et qui s'interrogent sur les suites du concile et sur sa réception?
Je relève deux phrases p. 414:
"On n'a pas le droit de présenter comme produit du concile tout ce qui a bouleversé l'Eglise en ces années".
"Il faut prendre conscience que la crise post-conciliaire de l'Eglise catholique coïncide avec une crise spirituelle globale de l'humanité, tout au moins dans le monde occidental".

Elle a eu la gentillesse d'effectuer une photocopie des pages 414 à 422, que j'ai pu passer au logiciel d'OCR sans trop de difficulté.

 

Comment en est-on venu à l'évolution post-conciliaire?
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Pour expliquer les événements, je vais essayer de donner quelques indications - quelques-unes seulement.
Tout d'abord, il faut prendre conscience que la crise post-conciliaire de l'Église catholique coïncide avec une crise spirituelle globale de l'humanité, tout au moins dans le monde occidental : on n'a pas le droit de présenter comme produit du concile tout ce qui a bouleversé l'Église en ces années. La conscience humaine n'est pas seulement marquée par les décisions volontaires de l'individu ; elle est aussi formée dans une large mesure par les conditions extérieures qui résultent de facteurs économiques et politiques: la parole de Jésus, selon laquelle il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume des Cieux, est une référence à une situation de ce genre, et il est impossible de ne pas l'entendre. Je donnerai un seul exemple tiré de notre propre histoire: l'effondrement de l'ancienne Europe lors de la première guerre mondiale a immédiatement modifié aussi de fond en comble le panorama spirituel, et spécialement celui de la théologie. Le libéralisme qui régnait auparavant, produit d'un monde rassasié et sûr de soi, avait perdu soudain toute signification, alors que ses grands représentants étaient toujours vivants et enseignaient encore. La jeunesse ne suivit plus Harnack mais Karl Barth: une théologie inspirée strictement par la foi révélée, et voulant tout-à-fait consciemment être d'Église, se formait au milieu des troubles d'un monde transformé.
Le retour de la prospérité d'antan au cours des années soixante s'est accompagné d'un revirement semblable de la pensée. La nouvelle richesse, et la mauvaise conscience qui lui faisait pendant, ont provoqué cet étonnant mélange de libéralisme et de dogmatisme marxiste que nous avons tous connu. C'est pourquoi on n'a pas le droit d'exagérer la part de Vatican II dans l'évolution la plus récente; le monde protestant a aussi, sans concile, à surmonter une crise semblable, et les partis politiques sont dans la nécessité de se confronter à des phénomènes de même origine. Et pourtant, en sens inverse, le Concile a bien été l'un des facteurs qui appartiennent à l'évolution de l'histoire mondiale. Lorsqu'une réalité aussi profondément enracinée dans les âmes que l'Église catholique est ébranlée dans ses fondations, le tremblement de terre atteint l'humanité tout entière.

Quels sont donc les facteurs de crise provenant du Concile ?
Il me semble que deux dispositions jouent ici un rôle et ont acquis une importance croissante dans la conscience des Pères conciliaires, des conseillers et des rapporteurs du Concile.
Le Concile se comprenait comme un grand examen de conscience de l'Église catholique, il voulait enfin être un acte de pénitence, un acte de conversion. Cela se manifeste dans les aveux de culpabilité, dans le caractère passionné de l'auto-accusation qui ne s'en est pas tenu aux grands points névralgiques, comme la Réforme et le procès de Galilée, mais amplifia dans la conception de l'Église pécheresse jusque sur le plan des valeurs communes et fondamentales. On en est arrivé à redouter comme triomphalisme tout ce qui ressemblait à une complaisance dans l'Église, dans les acquis du passé, dans ce qui s'était maintenu jusqu'à nous.
A cet émondage tortionnaire de ce qui est propre à l'Église s'unissait une volonté presque angoissée de prendre systématiquement au sérieux tout l'arsenal des accusations portées contre l'Église et de n'en rien négliger. Cela entrainait en même temps le souci inquiet de ne plus être coupable à l'égard de l'autre, d'apprendre de lui partout où c'est possible, et de ne chercher et ne voir en lui que le bon.
Une telle radicalisation de l'exigence biblique fondamentale de la conversion et de l'amour du prochain a conduit à une incertitude concernant notre propre identité qui reste toujours en question, et plus spécialement à une attitude de rupture à l'égard de notre propre histoire, qui est apparue comme viciée de toute part, en sorte qu'un radical recommencement s'imposerait comme une obligation pressante.
C'est en ce point que s'insère le deuxième thème sur lequel je voudrais attirer l'attention. Sur le Concile a soufflé quelque chose de l'ère-Kennedy, quelque chose de l'optimisme naïf du concept de la grande société : il nous est possible de tout faire si seulement noue voulons bien employer les moyens appropriés. La rupture de la conscience historique, le renoncement masochiste au passé ont introduit l'idée d'une heure zéro à laquelle tout allait recommencer à neuf et où enfin tout serait bien fait de ce qui jusqu'à présent avait été mal fait. Le rêve de la libération, le rêve du tout autre, qui, peu après, prendrait un caractère de plus en plus marqué dans la révolte des étudiants, régnait déjà d'une certaine manière sur le Concile. C'est lui qui d'abord entraina les gens, puis les déçut, de même que l'examen de conscience public soulagea d'abord, puis inspira de la répugnance.
Pour un psychologue, ce processus de l'esprit conciliaire constituerait un bon exemple de la manière dont les vertus, par leur exagération, se changent en leur contraire. La pénitence est une nécessité pour l'individu et pour la société. Mais la pénitence chrétienne ne signifie pas la négation de soi, mais découverte de soi. Les anciens Actes des martyrs chrétiens disent avec insistance que ceux-ci n'ont jamais eu sur les lèvres une parole d'insulte contre la création. En cela, ils se distinguent des gnostiques, chez qui la pénitence chrétienne s'est transformée en haine contre l'homme, en haine contre la vie personnelle, en haine contre la réalité elle-même. La condition intérieure préalable de la pénitence est précisément l'acquiescement à ce qui nous est propre, l'acquiescement à la réalité en tant que telle. Son inversion moderne s'exprime par exemple dans une déclaration du grand peintre Max Beckmann : « Ma religion est orgueil devant Dieu, révolte à l'égard de Dieu. Révolte parce qu'il nous a créés, parce que nous ne pouvons pas nous aimer. Dans mes tableaux, je jette à Dieu comme un reproche ce qu'il a mal fait ».
On voit ici quelque chose de tout-à-fait fondamental : la brouille radicale avec soi-même, où l'on entre en fureur contre soi-même, où l'on ne peut plus supporter la création ni en soi ni chez les autres, cela n'est plus pénitence mais orgueil. Là où cesse le oui fondamental à l'être, à la vie, à soi-même, là disparait aussi la pénitence, qui se change alors en orgueil. Car la pénitence présuppose qu'il est permis à l'homme d'acquiescer à lui-même. Elle est par nature une découverte du oui, en évacuant ce qui obnubile ce oui. C'est pourquoi la pénitence authentique mène à l'Évangile, c'est-à-dire à la joie - à la joie aussi qu'on trouve en soi-même. La forme d'auto-accusation à laquelle on en est arrivé au Concile, à l'égard de notre propre histoire, ne comprenait plus suffisamment cela, et a conduit à des manifestations de caractère névrotique.
Que le Concile ait abandonné des formes fausses de glorification de l'Église par elle-même sur la terre ; que, à l'égard de l'histoire de l'Église, il ait supprimé la tendance à défendre tout le passé, et donc une forme erronée de défense de soi, cela a été bon et nécessaire. Mais il faut absolument susciter à nouveau la joie de posséder intacte en sa réalité la société de foi qui provient de Jésus-Christ. Il est nécessaire de redécouvrir la voie de lumière qu'est l'histoire des saints, l'histoire de cette réalité magnifique où s'est exprimée victorieusement au long des siècles la joie de l'Évangile. Si quelqu'un, lorsqu'on évoque le Moyen Age, ne trouve plus dans sa mémoire que le souvenir de l'inquisition, il faut lui demander où il a les yeux : est-ce que de telles cathédrales, de telles images de l'éternel, pleines de lumière et d'une dignité tranquille, auraient pu surgir si la foi n'avait été que torture pour les hommes ? En un mot : il faut rappeler clairement que la pénitence exige non la désintégration de l'identité personnelle, mais sa redécouverte. Et lorsque commence à s'affirmer une attitude positive à l'égard de l'histoire, alors disparait d'elle-même l'utopie qui s'imagine que jusqu'à présent tout a été mal fait, et que désormais tout sera bien fait. Les limites du réalisable nous ont été assez clairement mises sous les yeux par la manière dont s'est terminée l'ère-Kennedy, et la pacification spirituelle qu'il nous semble remarquer aujourd'hui vient nécessairement, pour une part, de ce que l'on a retrouvé un meilleur équilibre entre réaliser et recevoir, entre le calcul et la méditation.

Que faut-il faire ?

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Il est encore moins facile ici que pour la première question de donner une réponse exhaustive: ce serait mettre en débat toute la problématique de la pastorale aujourd'hui. Dans ce domaine, je voudrais seulement aborder deux points de vue qui me semblent importants: tout d'abord il sera question de la vraie place des conciles, et ensuite, je voudrais, en fonction de deux tendances fondamentales de Vatican II, faire une remarque sur la question de sa réception correcte.

a) Importance et limites des conciles.
Quelle est la situation exacte d'un concile dans l'Église ? Nous sommes par là ramenés au point de départ de nos réflexions : Grégoire de Nazianze et Basile, qui parlaient tous deux par expérience, avaient raison en ce que, comportant le rassemblement et les nécessaires démêlés d'un grand nombre d'hommes, un concile s'accompagne toujours de circonstances accessoires déplaisantes, comme l'ambition, la polémique et les blessures qui en résultent. De temps en temps, pour évacuer un mal plus profondément ancré, il faut bien prendre son parti de ces inconvénients accessoires, comme on accepte un médicament, malgré certains effets secondaires, pour combattre un dommage plus grand. Les conciles sont de temps en temps nécessaires, mais ils représentent toujours une situation extraordinaire dans l'Église et ne peuvent pas être considérés comme le modèle de sa vie en général, ou même comme le contenu idéal de son existence. Ce sont des remèdes, non une nourriture. Il faut assimiler les remèdes, et le corps doit conserver leur vertu immunisante, mais ils prouvent leur effet précisément en devenant superflus et en restant des cas exceptionnels. Pour parler sans image un concile est un organe de consultation et de décision. Comme tel il n'est pas un but en soi mais un instrument au service de la vie.

La nature propre de la réalité chrétienne n'est pas la discussion sur les contenus chrétiens ou sur la tactique de leur réalisation : le contenu du christianisme, c'est la communauté de la parole, du sacrement et de l'amour du prochain, à laquelle appartiennent fondamentalement la justice et la vérité. Le rêve de faire de toute la vie une entreprise de discussion, rêve qui a conduit parfois nos universités au bord de la paralysie, s'était un peu trop installé dans l'Église sous l'étiquette de l'esprit conciliaire. Si le concile devient le modèle du christianisme en général, la discussion continuelle sur les thèmes chrétiens semble être le contenu même du christianisme ; mais c'est alors justement qu'est méconnu le sens du christianisme.

b) Problème de la réception correcte de Vatican II.
Une analyse de l'histoire ultérieure de la constitution sur 1'Église dans le monde de ce temps m'avait conduit en 1975 à ce diagnostic que la réception correcte du Concile n'avait pas encore commencé.
Mais quelle forme devrait-elle prendre ?
Je vais essayer d'en donner des exemples en partant, comme je l'ai dit déjà, de deux thèmes fondamentaux du Concile ; et cela peut aussi montrer en même temps, jusqu’à un certain point, que le Concile formule, bien entendu, ses enseignements avec l'autorité qui lui est propre, mais aussi que son importance historique est d'abord et avant tout déterminée par le processus de décantation et d'élimination qui se réalise ensuite dans la vie de l'Église. De cette manière l'Église entière a part au concile ; celui-ci ne peut absolument pas être conduit à sa fin dans la seule assemblée des évêques.

L'un des maître-mots de Vatican II fut celui de collégialité. Le sens immédiat qu'on donnait à cette formule était que le ministère épiscopal est un ministère exercé en communion les uns avec les autres. Ce n'est pas un évêque déterminé qui succède à un apôtre déterminé, mais c'est le collège des évêques qui est la continuation du collège des Apôtres. C'est pourquoi on n'est jamais évêque tout seul, mais essentiellement avec les autres. Cela est vrai aussi pour les prêtres : on n'est pas non plus prêtre tout seul, mais devenir prêtre signifie entrer dans la communauté presbytérale unie à l'évêque. Enfin, cela met aussi en évidence un principe fondamental du christianisme en général : c'est toujours dans la communauté de tous les frères et sœurs de Jésus-Christ qu'on est chrétien, pas autrement. Le concile a cherché à faire passer dans la réalité pratique ces conceptions fondamentales, en créant des organismes grâce auxquels l'insertion des individus dans l'ensemble devient la règle fondamentale de toute activité dans l'Église.
C'est ainsi que, à la place des assemblées d'évêques qui jusqu'alors étaient restées informelles, on a créé la conférence épiscopale, dotée d'une solide organisation juridique et d'une substructure bureaucratique soigneusement mise au point. On a aussi créé, comme représentation de l'union de toutes les conférences épiscopales, le Synode des évêques, sorte de concile de remplacement siégeant régulièrement.
Les Synodes nationaux se sont rassemblés et ont annoncé leur intention d'évoluer dans le sens d'une organisation permanente de l'Eglise de leurs pays. Dans les diocèses se sont formés des conseils presbytéraux et pastoraux, et dans les paroisses des conseils paroissiaux.
Personne ne contestera que l'idée fondamentale est valable et que la réalisation communautaire de la mission de l'Église est nécessaire. Et personne non plus ne contestera que grâce à de tels organismes beaucoup de bien a été réalisé. Mais personne non plus ne peut douter que la multiplication non coordonnée de ces organismes a conduit à un excès de doublages, à un amoncellement insensé de papier et à des efforts inutiles, où les meilleures forces se sont perdues en des discussions sans fin que personne à vrai dire ne voulait, mais qui, du fait des nouvelles structures, semblent devenir inévitables. Les limites de ce christianisme paperassier et de la réforme de l'Église par le papier sont entre-temps devenues évidentes. Il est devenu visible que la collégialité est une chose, mais que la responsabilité personnelle en est une autre qui ne peut pas être remplacée, et qu'on n'a pas le droit d'écraser. La collégialité est l'un des principes de la réalité chrétienne, de la réalité ecclésiale ; la personnalité est l'autre principe, et ainsi c'est une des leçons de cette décennie que seul le bon équilibre des deux peut procurer liberté et fécondité.

Tournons-nous vers un autre thème fondamental du Concile l'un de ses principes est la simplicité ; « simplicité » est un des mots fondamentaux de la constitution sur la liturgie, toujours conque comme transparence et ouverture à la compréhension des hommes.
C'est pourquoi on peut dire qu'une rationalité bien comprise est une des idées directrices du Concile. Aujourd'hui, on fait remarquer de plus en plus que le Concile s'est situé par là dans la ligne de l'Aufklärung européenne. Mais cette volonté a été motivée autrement par les Pères du Concile ; elle provient chez eux de la théologie des Pères de l'Église, par exemple chez Augustin, où la simplicité chrétienne est opposée avec insistance à la pompe, vidée de toute substance, des liturgies païennes. Mais on peut bien dire qu'ici aussi, on a réalisé une ouverture à l'esprit moderne après le large échec, au cours des luttes du XIXe siècle, des premières tentatives pour une pareille rencontre.
En ce domaine aussi, nous pouvons mieux percevoir aujourd'hui les gains et les pertes. Dans le déroulement de l'histoire, il faut toujours émonder ce qui ne cesse de proliférer et faire toujours effort pour accéder au noyau centrai dans sa simplicité ; l'effort pour être compris, est indispensable à une religion missionnaire. Mais on a un peu oublié que l'homme ne comprend pas seulement avec la raison, mais aussi avec les sens et avec le cœur, et nous recommençons, petit à petit, à comprendre qu'il faut distinguer, lorsqu'on émonde, entre les excroissances, et ce qui résulte d'une croissance normale, ne pas prendre l'embryon comme mesure mais se laisser conduire par la loi de la vie.
Et par là nous sommes déjà dans la question du processus de réception, qui éprouve la parole dans la vie, et, dans un combat très pénible, lui confère la clarté de sens qu'elle ne peut pas avoir simplement en tant que parole. Ce processus de discernement est en plein cours, avec toutes les souffrances et les peines d'un accouchement, où c'est toujours l'homme lui-même qui est en jeu.
D'un côté il y a, après comme avant, des phénomènes de rupture qu'on n'a pas le droit de considérer comme bagatelles. Tantôt il s'agit plutôt d'une rationalité exclusive et donc aveugle qui exténue le mystère et l'évacue ; tantôt c'est la passion politique et sociale qui réduit la foi à être un catalyseur de l'action révolutionnaire. Je suis très éloigné de contester les nobles instincts qui sont ici présents. La foi chrétienne qui prend au sérieux le Sermon sur la montagne ne peut pas accepter tranquillement l'opposition entre pauvres et riches comme une nécessité économique ; elle ne peut pas, d'un simple haussement d'épaules, donner son aval aux guerres et aux oppressions comme étant des sous-produits du progrès, statistiquement inévitables.
Mais lorsque la foi se mue en un messianisme terrestre qui justifie la folie de destruction, et ampute l'espérance des hommes en la ramenant au niveau des réalisations temporelles, alors on commet une trahison du christianisme et une trahison de l'homme.


De l'autre côté, nous voyons surgir aujourd'hui un nouvel intégrisme qui ne protège qu'en apparence les positions strictement catholiques, et qui en réalité les dénature en profondeur. Il y a là une passion de suspicion, très éloignée, par son caractère haineux, de l'esprit de l'Évangile. Il y a une fixation sur la lettre, qui déclare invalide la liturgie de l'Église et se met par le fait même en-dehors de l'Église. On oublie que la validité de la liturgie dépend d'abord non pas de mots déterminés mais de la communauté de l'Église ; et ainsi, sous le prétexte du catholicisme, on nie précisément son principe propre et on établit, dans une large mesure, l'habitude en lieu et place de la vérité.
Dans un espace intermédiaire qui est plein d'incertitudes, mais en même temps plein de nobles combats et plein d'espérances, il y a d'abord les mouvements dans lesquels s'exprime le besoin indéfectible du religieux authentique, de la proximité du divin ; les mouvements de méditation, les mouvements de Pentecôte, les uns et les autres grevés d'ambigüités et de dangers, mais pleins de possibilités pour le bien. Et il y a aussi un certain nombre de mouvements qui sont spécifiquement d'Église et promettent de nouvelles possibilités : Focolari, Cursillos, Communion et Libération, mouvements de catéchuménat, nouveaux types de communautés. Là se manifeste une recherche qui va au centre, opposant un démenti au diagnostic de la fin de la religion et traçant les voies d'une nouvelle vie dans la foi, où fait à nouveau ses preuves la fécondité inépuisable de la foi de l'Église.

Essayons de dresser un bilan global.
Karl Rahner, à la fin du Concile, a utilisé une comparaison : il faut une immense quantité de pechblende (ndlr: minerai d'uranium) pour obtenir un peu de radium, lequel seul importe dans ce processus. Ainsi, pense-t-il, les moyens formidables mis en œuvre par le Concile sont en fin de compte utiles, du fait de l'accroissement qu'il a provoqué, si petit soit-il encore, de la foi, de l'espérance et la charité. Nous ne pouvions probablement pas apprécier alors dans son ampleur l'effrayante gravité de ces propos. Entre le radium et la pechblende il y a de toute façon une relation nécessaire : où il y a de la pechblende, il y a du radium, même si le rapport des masses est décourageant. Mais il n'y a pas un rapport nécessaire de ce genre entre la pechblende de paroles et de papier et la réalité chrétienne vivante.
Que le Concile devienne ou non une force positive dans l'histoire de l'Église, cela ne dépend qu'indirectement des textes et des organismes. Ce qui est décisif, c'est qu'il y ait des hommes - des saints - qui, par un engagement de leur personne que nul ne peut leur imposer, créent quelque chose de vivant et de neuf. La décision définitive, en ce qui concerne la valeur historique de Vatican II, dépend de l'existence d'hommes qui réussiront en eux-mêmes le drame de la séparation du bon grain et de l'ivraie, et donneront par là à l'ensemble cette clarté de sens qu'on ne saurait tirer de la lettre seule.
Ce que nous pouvons dire jusqu'à présent, c'est que, d'un côté, le Concile a ouvert des voies qui, par toutes sortes de bifurcations et de sens-unique, conduisent véritablement au cœur du christianisme. Mais, d'un autre côté, il nous faut faire assez d'auto-critique pour reconnaître que l'optimisme naïf du Concile, et la surestimation d'eux-mêmes de beaucoup de ses supporters et de ses propagandistes, justifient de manière inquiétante les sombres diagnostics des personnalités de l'Eglise ancienne concernant les dangers des conciles. Aussi bien, tous les conciles valides n'ont pas été fructueux du point de vue de l'histoire de l'Église ; pour certains il ne resta plus en fin de compte qu'un grand constat d'inutilité.
En ce qui concerne la place historique de Vatican II, le dernier mot n'a pas été dit, malgré tout le bien contenu dans ses textes.
Le fait de savoir si, en dernière analyse, il sera compté parmi les points lumineux de l'histoire de l'Église, dépend des hommes qui transformeront la parole en vie.