Nous n'avons pas la vérité, c'est elle qui nous a

L'extraordinaire homélie du saint-Père, en conclusion du «Ratzinger Schülerkreis». Ma traduction complète (5/9/2012)

Evidemment, le titre que j'ai choisi n'est qu'un titre, et ne rend aucunement compte de la richesse du propos, dont il faut bien se laisser pénétrer.

Lectures du jour, 2 septembre, 22e dimanche du temps ordinaire, auxquelles le Saint-Père se réfère: http://espritdumonde.free.fr/lit.php?date=20120902

  • 1ère lecture: Dt 4-1 à 4-8 (Le DEUTERONOME)
  • 2ème lecture: Jc 1-17 à 1-27 (Epître de Jacques)
  • Evangile: Mc 7-1 à 7-23 (Évangile selon Saint MARC)
 

Centre Mariapolis de Castel Gandolfo
Dimanche 2 Septembre 2012

(Texte original en allemand. J'ai traduit le texte en italien: http://www.vatican.va )

Chers frères et sœurs,

Résonnent encore profondément en moi les paroles avec lesquelles, il y a trois ans, le cardinal Schönborn a fait pour nous l'exégèse de cet Evangile: la mystérieuse relation entre l'intime et l'externe, et ce qui rend l'homme impur, ce qui souille, et ce qui est pur. Aujourd'hui, donc, je ne veux pas faire l'exégèse de cet Evangile, ou je ne vais le faire que de façon marginale. Je vais essayer à la place de dire un mot sur les deux lectures.

Dans le Deutéronome, nous voyons la «joie de la loi»: la loi non comme une contrainte, comme quelque chose qui nous enlève notre liberté, mais comme un don et un cadeau. Quand d'autres peuples se pencheront sur ce grand peuple - dit la lecture, dit Moïse - alors ils diront: Quel peuple sage! Ils admireront la sagesse de ce peuple, l'équité de la loi et la proximité de Dieu qui est à ses côtés et qui répond à l'appel. C'est cela, la joie humble d'Israël: recevoir un don de Dieu? C'est différent du triomphalisme, de l'orgueil pour ce qui vient de nous-mêmes: Israël n'est pas fier de son droit comme Rome pouvait l’être du droit romain comme don à l'humanité, comme la France, peut-être du «Code Napoléon», comme la Prusse "Landrecht Preussisches», etc. - œuvres du droit que nous reconnaissons. Mais Israël sait: cette loi, ce n'est pas lui-même qui l'a pas faite, ce n'est pas le fruit de son génie, c'est un don. Dieu lui a montré ce qu’est le droit. Dieu lui a donné la sagesse. La loi est sagesse. La sagesse est l'art d'être homme, l'art de pouvoir bien vivre et bien mourir. Et l'on ne peut bien vivre et mourir que quand l'on a reçu la vérité et que la vérité nous montre le chemin. Etre reconnaissants pour le don que nous n'avons pas inventé, mais qui nous a été donné comme un cadeau, et vivre dans la sagesse; apprendre, grâce au don de Dieu, à être des hommes dans le droit chemin.

L'Évangile nous montre, cependant, qu'il y a aussi un danger - comme le dit directement le début du passage d'aujourd'hui du Deutéronome: «Ne rien ajouter, ne rien enlever». Il nous enseigne qu'avec le passage du temps, au don de Dieu ont été ajoutées des applications, des oeuvres, des coutumes de l'homme, qui croissent en cachant ce qui est propre à la sagesse donnée par Dieu, jusqu'à devenir une véritable contrainte, qui doit être brisée, ou bien porter à la présomption: c'est nous qui l'avons inventé!

Mais venons-en à nous, à l'Église. Selon notre foi, en effet, l'Eglise est l'Israël qui est devenu universelle, dans lequel nous devenons tous, à travers le Seigneur, les enfants d'Abraham; l'Israël devenu universel, dans lequel persiste le noyau essentiel de la loi, libre des contingences du temps et du peuple. Ce noyau est tout simplement le Christ Lui-même, l'amour de Dieu pour nous et notre amour pour Lui et pour les hommes. Il est la Torah vivante, il est le don de Dieu pour nous, dans lequel, aujourd'hui, nous recevons tous la sagesse de Dieu. En étant unis au Christ, dans le «marcher-avec» et «vivre-avec» avec Lui, nous apprenons nous-mêmes comment être des hommes dans le droit chemin, nous recevons la sagesse qui est vérité, nous savons vivre et mourir, parce qu'Il est Lui-même la vie et la vérité.

Il convient donc, à l'Eglise, comme pour Israël, d'être remplie de gratitude et de joie. «Quel peuple peut dire que Dieu lui est aussi proche? Quel peuple a reçu ce don?». Nous ne l'avons pas fait nous-mêmes, nous l'avons reçu. La joie et la gratitude pour le fait que nous savons que nous avons reçu la sagesse de la vie bonne, qui est ce qui doit caractériser le chrétien. En effet, dans le christianisme des origines, c'était cela: être libéré des ténèbres, d'aller à tâtons, de l'ignorance - que suis-je? pourquoi suis-je? comment puis-je continuer? - le fait d'être devenu libre, d'être dans la lumière, dans l'ampleur de la vérité. C'était cela, la prise de conscience fondamentale. Une gratitude qui irradiait tout autour et qui ainsi unissait les hommes dans l'Église de Jésus-Christ.

Mais dans l'Église aussi, il y a le même phénomène: des éléments humains s'ajoutent et conduisent ou bien à la présomption, au triomphalisme qui vante soi-même au lieu de louer Dieu, ou bien à la contrainte, qu'il faut enlever, briser et écraser. Que devons-nous faire? Que devons-nous dire?
Je pense que nous sommes à ce stade, où nous voyons dans l'Eglise seulement que ce qui est fait par nous-mêmes, et que la joie de la foi nous est gâchée; que nous ne croyons plus et n'osons plus dire: Il nous a montré qui est la vérité, ce qu'est la vérité, il nous a montré ce qu'est l'homme, il nous a donné la justice de la vie juste droite. Nous nous préoccupons uniquement de nous louer nous-mêmes, et nous avons peur de nous laisser lier par des règles qui sont un obstacle dans la liberté et dans la nouveauté de vie.

Si nous lisons aujourd'hui, par exemple, dans l'Épître de Jacques: «Vous êtes engendrés par une parole de vérité», qui de nous oserait se réjouir de la vérité qui nous a été donnée? Il nous vient tout de suite la question: mais comment peut-on avoir la vérité? Ceci est de l'intolérance! Les notions de vérité et d'intolérance ont aujourd'hui presque complètement fusionné entre elles, et ainsi, nous n'osons plus croire à la vérité ou parler de la vérité. Elle semble éloignée, elle semble quelque chose auquel il vaut mieux ne pas recourir. Personne ne peut dire: j'ai la vérité - c'est l'objection que l'on avance - et à juste titre, personne ne peut avoir la vérité. C'est la vérité qui nous possède, c'est une chose vivante! Nous n'en sommes pas les propriétaires, mais nous sommes saisis par elle. C'est seulement si nous nous laissons guider et animer par elle que nous restons en elle, ce n'est que si nous sommes avec elle et en elle, pèlerins de la vérité, qu'alors elle est en nous et pour nous. Je pense que nous devons réapprendre ce «ne-pas-avoir-la-vérité». De même que personne ne peut dire: j'ai des enfants - ils ne sont pas notre possession, ils sont un don et comme don de Dieu, ils nous sont donnés pour un devoir - pareillement nous ne pouvons pas dire: j'ai la vérité, mais la vérité est venue à nous et pousse. Nous devons apprendre à nous laisser mouvoir par elle, à nous faire conduire par elle. Alors, elle brillera à nouveau: si elle-même nous conduit et nous pénètre.

Chers amis, nous voulons demander au Seigneur qu'il nous fasse ce don. Saint Jacques nous dit aujourd'hui dans la Lettre: vous ne devriez pas vous limiter à écouter la Parole, vous devez la mettre en pratique. Ceci est un avertissement sur l'intellectualisation de la foi et de la théologie. C'est l'une de mes craintes en ce moment, quand je lis tellement de choses intelligentes: qu'elle devienne un jeu intellectuel dans lequel «nous nous passons la balle », où tout n'est qu'un monde intellectuel qui n'imprègne ni ne forme nos vies, et qui donc ne nous introduit pas dans la vérité. Je pense que ces paroles de saint Jacques s'adressent justement à nous comme théologiens: non seulement l'écoute, non seulement l'intellect - faire, se laisser former par la vérité, être guidé par elle! Prions le Seigneur pour que cela nous arrive, et qu'ainsi la vérité devienne puissante sur nous, et qu'elle conquiert de la vigueur dans le monde à travers nous.

L'Église a placé la parole du Deutéronome - «Où y a-t-il un peuple à qui Dieu est aussi proche que notre Dieu est proche de nous chaque fois que nous l'invoquons?»- au centre de l'Office divin du Corpus Domini, et lui a donné ainsi un sens nouveau: Où y a-t-il un peuple à qui Dieu est aussi proche que notre Dieu est proche de nous? Dans l'Eucharistie, ceci est devenu pleine réalité. Certes, ce n'est pas seulement un aspect externe: quelqu'un peut rester auprès du tabernacle et, en même temps, loin du Dieu vivant. Ce qui importe, c'est la proximité intérieure! Dieu nous est devenu si proche qu'il est lui-même un homme: ceci doit nous déconcerter et nous surprendre encore et encore! Il est si proche de nous qu'il est l'un d'entre nous. Il connaît l'être humain, le «goût» de l'être humain, il le connaît de l'intérieur, il l'a éprouvé avec ses joies et ses souffrances. Comme homme, il est proche, voisin, «à portée de voix» - si près qu'il m'écoute et que je peux savoir: il entend ma voix et l'exauce, même si ce n'est peut-être pas comme je me l'imagine.

Laissons-nous remplir à nouveau de cette joie: Où y a-t-il un peuple à qui Dieu est aussi proche que notre Dieu est proche de nous? Si proche qu'il est l'un de nous, au point de nous toucher de l'intérieur. Oui, d'entrer en moi dans la Sainte Eucharistie. Une pensée qui peut être déconcertante. Sur ce processus, saint Bonaventure a utilisé, une seule fois, dans ses prières de Communion, une formulation qui secoue, qui effraie presque Il a dit: Mon Seigneur, comment a-t-il pu te venir à l'esprit d'entrer dans les latrines sales de mon corps? Oui, Il entre dans notre misère, il le fait avec conscience et il le fait pour nous pénétrer, pour nous nettoyer et pour nous renouveler, afin que, grâce à nous, en nous, la vérité soit dans le monde et le salut se réalise.

Demandons pardon au Seigneur pour notre indifférence, pour notre misère qui nous fait penser seulement à nous-mêmes, pour notre égoïsme qui ne cherche pas la vérité, mais suit sa propre habitude, et donne peut-être souvent l'impression que le christianisme n'est qu'un système d'habitudes. Demandons-lui d'entrer, avec force, dans nos âmes, qu'Il se fasse présent en nous et à travers nous - et qu'ainsi la joie naisse aussi en nous: Dieu est ici, et il m'aime, Il est notre salut! Amen.

© Copyright 2012 - Libreria Editrice du Vatican